Quatre chutes d’opposants au projet d’autoroute Toulouse-Castres en trois semaines, lors d’opérations pour les déloger. Voilà qui soulève des questions sur la cellule nationale d’appui à la mobilité (CNAMO), un corps d’élite de la gendarmerie créé en 2011 pour lutter contre certaines actions de militants écologistes.
Le 30 août dernier, un opposant à l’A69 sur le site rebaptisé « la Cal’arbre », à Saïx (Tarn), sur le tracé de la future autoroute, faisait une chute qui lui a occasionné cinq fractures à la colonne vertébrale. Le jeune homme se trouvait sur une vigie en bois, « Bourg palettes », prise d’assaut par les gendarmes, dont un membre au moins de la CNAMO. Le 6 septembre, deux « écureuils », comme se nomment les militants occupant les arbres, ont aussi fait une chute vertigineuse qui a entraîné une fracture à la hanche et une vertèbre fêlée, suite à l’intervention surprise des militaires de la CNAMO. Le 18, au lieu-dit du Verger (Haute-Garonne), dernière « zone à défendre » le long de la future autoroute, une personne est tombée de plusieurs mètres se faisant une fracture, une autre est restée accrochée tête en bas pendant plusieurs minutes.
Pour tous ces accidents, la CNAMO est montrée du doigt. Une enquête est d’ailleurs en cours, confirme le service de presse de la Gendarmerie, le SIRPA : « Concernant les faits que vous évoquez sur le chantier de l’A69, une enquête est toujours en cours diligentée par les parquets de Toulouse et Castres. Comme vous le savez, nous ne sommes pas en mesure de répondre à vos interrogations tant qu’une procédure judiciaire est en cours. Pour autant, nous pensons utile de vous préciser que les militaires de la CNAMO sont auditionnés dans ces enquêtes en tant que témoins d’accidents graves. »
Cinq vertèbres brisées
Sacha*, 30 ans, blessé le 30 août raconte : « Il était 7 heures du matin, le site de la Cal’abre était calme quand 100 à 200 gendarmes se sont déployés. Ils ont foncé vers le fortin en bois de palettes que j’occupais. Un gendarme m’a mis en joue avec son LBD, j’ai levé les bras. Mon attention était toute à lui cependant que j’entendais un homme monter à l’intérieur de la tour où je me trouvais. J’ai vu qu’il avait un casque différent et des tas de systèmes d’accroches sur sa tenue, c’est en cela qu’il m’a paru appartenir à une unité différente, la CNAMO. Je lui ai demandé de partir car il nous mettait tous les deux en danger, mais il a refusé. J’ai dit et répété que j’étais pacifique, que je n’étais pas armé ni agressif, que mon action était non violente. La tension montait vraiment, je me suis placé sur la trappe d’accès, mais je suis plutôt léger et le gars en dessous poussait de toutes ses forces. Je lui ai dit d’arrêter, lui ne disait rien, ne communiquait pas du tout avec moi. Alors je suis monté sur le toit, la tour bougeait. Dans la panique, j’ai glissé. » La chute a duré sept longs mètres. Les policiers venus enquêter pour le compte du procureur de Castres pour « accident ayant entraîné des blessures graves » ont pu voir des vidéos prises du sol par les gendarmes confirmant les dires du jeune homme. Celui-ci se demande encore pourquoi la nacelle n’a pas été utilisée pour venir le déloger, pourquoi il a été mis sous une telle pression alors que par ailleurs tout le terrain était maîtrisé : « Cette intervention dans la précipitation ne m’a pas parue pertinente du tout. »
La CNAMO, « unité d’élite »
Les six hommes de cette unité d’élite sont arrivés dans le Tarn en février 2024. Leur mission est expliquée dans une vidéo sur le site du ministère de l’Intérieur par le gendarme « Matthieu » : « Intervenir sur tout point de blocage terrestre, que ce soit la réduction de barricades, le désentravement de personne ou la reconnaissance d’axes, le décrochage de personne et la destruction de toute structure faite par les manifestants. [Ce qui doit être accompli] sans blesser les activistes. »
Ce corps qualifié d’outil d’appui par la Gendarmerie a été créé en 2011 pour « faire face à la montée en puissance d’activistes anti-nucléaire, qui, à titre de protestation, procédaient à des blocages, aussi bien terrestres qu’aériens ». Il a à son actif : le G8 à Deauville, le G20 à Nice, le G7 à Biarritz, Notre Dame des Landes, les ZAD de Sivens, Roybon, Agen, Oléron, Bure ou encore Strasbourg. Des dossiers où la violence exercée par les forces de l’ordre a en général donné lieu à des plaintes et apporté son lot de matière au grand débat sur la violence d’État. Toujours est-il que la présentation officielle de ces « six sous-officiers ultra-expérimentés » est loin d’être recoupée par les témoignages recueillis sur le terrain.
Reva Viard Seifert, opposant à l’A69, élagueur de profession« [Ces gendarmes] ne m’ont pas parus professionnels »
L’opposant Reva Viard Seifert, élagueur de profession, est sans nuance lorsqu’il raconte son face à face avec la CNAMO en février/mars 2024, sur le site d’un bois classé à fort enjeu écologique baptisé par les zadistes la Crém’arbre. « Ils ne m’ont pas parus professionnels, leur discours sur la sécurité des personnes qu’ils décrochent, c’est du flan. Je les ai vus à l’œuvre, dans différentes conditions de stress ou de calme et, sans vouloir les humilier, dans certaines situations je les ai trouvés amateurs. » Par exemple, quand ils ont semblé découvrir le fonctionnement d’une nacelle, lorsque celle-ci s’est embourbée…
Se souvenant d’une action précipitée de cette unité alors qu’il n’y avait pas de situation de stress, Reva relate également l’incapacité d’un gendarme de la CNAMO à replacer correctement sa corde de rappel dans son descendeur. Il note encore leurs méconnaissances sur la résistance mécanique des branches, des difficultés à se déplacer dans les arbres, les mensonges, les insultes, la privation d’eau et de nourriture. Il n’est pas le seul. Le 25 septembre, la ligue des droits de l’Homme de Toulouse rendait public un rapport reposant sur de nombreux témoignages. En voici un court florilège : « J’ai vu la CNAMO au sol. Ce n’est pas du matériel de sécurité qu’ils avaient. Baudriers et mousquetons n’étaient pas sécurisés pour les arbres, les passages de cordes… » ; « Ils sont surtout spécialisés sur les activi[stes] écolos qui s’accrochent mais ils ne sont pas vraiment formés à évoluer dans les arbres. On a eu de la chance. »
Synthèse du rapport de la commission d’enquête sur les atteintes aux droits lors des opérations de police et de gendarmerie contre les opposants à l’A69 entre février et septembre 2024
Plus vite, plus fort, trop loin ?
Il semble que le retard accumulé dans la réalisation de l’autoroute Toulouse-Castres pousse les autorités à accélérer les expulsions des zads restantes, au mépris de la sécurité de ceux qui résistent. Pourtant, un article de la capitaine Sophie Bernard, publié le 29 décembre 2021 sur le site du ministère de l’Intérieur, l’assure : « Bien que la CNAMO intervienne sur des situations tendues, avec des individus souvent hostiles aux forces de l’ordre et récalcitrants, chaque intervention est considérée comme un secours. (…) De même, lorsqu’il s’agit de faire descendre une personne retranchée en hauteur, celle-ci est sécurisée et entravée pour éviter qu’elle ne bloque sa descente ou qu’elle ne se détache et se mette en danger. » Une contradiction flagrante avec ce qui a été observé ces trois dernières semaines.
Parfois, la responsabilité des gendarmes de la CNAMO n’est pas directement pointée. Médecin urgentiste, le docteur Mora, venu le 18 septembre en tant qu’observateur de la LDH au Verger, témoigne en effet d’un jeune « qui est tombé tout seul, probablement à la suite d’une mauvaise manipulation » alors que la tyrolienne à laquelle il était relié avait été coupée un peu avant . Après une chute de plusieurs mètres, et avant d’être évacué par les pompiers, le jeune homme a été assisté aussitôt « par des membres de la CNAMO très professionnels et très bienveillants avec le blessé. Pour moi, l’un d’eux avait une formation de niveau infirmier. » Compte tenu de la jeunesse des zadistes, de la précarité de leurs installations, des conditions d’intervention de la CNAMO, il avoue s’être attendu à des blessures plus nombreuses.
Depuis qu’ils ont été entendus comme témoins, il est possible que ces gendarmes spécialisés aient revu leurs méthodes puisque le 27 septembre, pour la première fois en sept mois de missions ponctuelles le long de l’A69, ils ont placé sous les arbres occupés un matelas gonflable destiné à amortir d’éventuelles chutes. Le capitaine en fonction le 1er octobre au Verger a même lâché quelques infos à l’observateur de la LDH venu constater l’état des cinq personnes encore présentes sur deux arbres. Il a expliqué que, sur le terrain, c’est le gendarme le plus gradé qui commande, tout en laissant faire la CNAMO pour le côté technique des opérations. Il fait appel à eux « selon les nécessités » mais avec l’autorisation de sa hiérarchie au plus haut niveau. Des informations partielles, voire contradictoires qui ne pallient pas l’absence de réponse à nos questions posées au SIRPA. Ici, dans le Tarn, le décès de Rémi Fraisse, 21 ans, tué le 26 octobre 2014 par une grenade lancée par un gendarme, alors qu’il s’opposait au projet de barrage de Sivens, reste un traumatisme pour les défenseurs de l’environnement. A chaque accident, l’image de l’étudiant mort il y a 10 ans ressurgit dans les esprits.
* Sacha : nom d’emprunt.
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