Affaire Clément Lanot
Le mensonge du préfet de police couvert par le gouvernement

Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, refuse de mettre en cause le policier qui a violenté le journaliste Clément Lanot

Violenté par un policier lors de la manifestation parisienne contre le racisme du 22 mars, Clément Lanot, journaliste indépendant, souffre encore de douleurs au dos. En dépit d’images accablantes, Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, refuse à ce stade de mettre en cause le fonctionnaire qui a mis à terre puis frappé notre confrère au sol. Un déni couvert par le gouvernement.

Le samedi 22 mars, le journaliste indépendant Clément Lanot couvrait à Paris la huitième édition de la Marche des solidarités, baptisée « Journée mondiale contre le racisme et le fascisme – l’heure de la riposte ». En fin d’après-midi, alors que la tension montait d’un cran entre une compagnie d’intervention et certains manifestants aux abords de la place de la Nation, notre confrère a été propulsé vers le sol par un policier lui faisant face, avant de se voir asséner un coup de matraque sur le casque.

Contacté par Off Investigation, Clément Lanot revient sur cet événement inédit. « C’était juste à la fin de la manif, juste avant la place de la Nation, sur le boulevard Diderot », décrit-il. Les manifestants viennent alors clore la marche en empruntant cette avenue du XIIe arrondissement de Paris, dans un climat tendu et alors que les forces de l’ordre sont ciblées par des projectiles. « En fait je filmais, j’ai vu que la police allait charger, donc je me suis mis sur le côté de la rue. Quand ils ont chargé, je me suis approché pour filmer la charge, comme tous les journalistes l’ont fait. » Il explique ensuite s’être positionné « derrière les policiers et sur le côté », dans l’objectif de ne pas gêner leur intervention.

« Quand la charge est terminée, il y a un policier qui, en reculant, se retourne, me voit et me frappe »

Clément Lanot, journaliste indépendant

Les secondes suivantes sont décisives : « Quand la charge est terminée, il y a un policier qui se retourne, me voit et me frappe », déclare le journaliste. Sur les images, on voit le fonctionnaire, qui appartient à la 12e compagnie d’intervention, faire face à Clément Lanot. Ce dernier identifiable comme journaliste, notamment au moyen d’un brassard prévu à cet effet. « Moi, c’est la première fois qu’un policier me fait un croche-pied, que je termine par terre », décrit-il. A la suite de quoi le policier voit le journaliste à terre, lui assène un coup sur le casque avec sa matraque, le tout en l’espace de quelques secondes. « J’ai reçu un coup à la tête, mais j’ai mon casque qui a pris, donc là-dessus, au niveau de la tête, tout va bien », déclare Clément Lanot.

Un acte de violence commis par un policier gradé

« Dans des manifestations qui sont tendues, je prends un peu des risques que je connais. Mais là, être identifiable comme journaliste et finir au sol après, c’est vraiment la première fois à ce niveau-là que ça se passe comme ça ! », assure Clément Lanot. Le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, prend la parole le jour même sur BFMTV à ce sujet et assure que l’incident s’est produit au moment où les effectifs « reculaient pour se repositionner » et qu’ « il était quasiment impossible (…) d’identifier qu’il y avait une personne derrière ce cordon et encore moins qu’il s’agissait d’un journaliste ». Il estime par ailleurs que le coup de matraque asséné à notre confrère n’a pas été « donné avec une grande vigueur ».

Pourtant, comme évoqué plus haut, Clément Lanot arborait en permanence un brassard le désignant clairement comme journaliste. Toujours sur BFMTV, Laurent Nuñez déclare qu’il compte demander aux policiers impliqués un « rapport » auquel il donnera « des suites, s’il doit y avoir des suites ». « Nous allons analyser cette situation », assure-t-il, a fortiori à la lumière des images diffusées depuis lors. « Je pense que là les images sont claires, il y a quand même un croche-pied, un coup de matraque sur quelqu’un qui est au sol, donc je ne doute pas que la préfecture va s’autosaisir du dossier », estime pour sa part Clément Lanot : « Je pense que la vidéo est assez parlante. »

Qu’à cela ne tienne, Laurent Nuñez a maintenu sa version à l’antenne de France info, deux jours plus tard, affirmant être en possession du rapport sur l’incident : « Le policier, en reculant, percute Clément Lanot […]. J’ai un rapport administratif qui ne me laisse pas penser qu’il y a de faute du fonctionnaire de police. »

« Cher Monsieur, cela ne fait pas partie du tout de l’ordre du jour du Conseil des ministres, […] je ne répondrai pas »

Sophie Primas, porte-parole du gouvernement, à Off Investigation

Qu’une compagnie d’intervention soit amenée à se replier face aux hostilités de manifestants est une chose. D’affirmer sur plusieurs plateaux de télévision qu’un policier a « percuté [notre confrère] en reculant » en est une autre. D’autant plus que des images en ligne attestent du contraire : le fonctionnaire de police faisait bel et bien face à Clément Lanot juste avant de le déséquilibrer avec sa jambe et de lui asséner un coup de matraque une fois au sol. Ce 26 mars, Off Investigation a donc décidé d’interpeller le gouvernement à ce sujet, au point presse du compte rendu du Conseil des ministres. Nous avons en effet demandé à la porte-parole du gouvernement si l’exécutif avait déjà pris ou prévu de prendre des mesures afin de sanctionner le mensonge du préfet de police. Visiblement agacée, la porte-parole du gouvernement Sophie Primas a refusé de s’exprimer sur les contrevérités du chef de la police que nous lui avons rapportées : « Cher Monsieur, cela ne fait pas partie du tout de l’ordre du jour du Conseil des ministres, et je ne réponds pas sur des cas particuliers qui sont aussi précis et dont je ne connais pas les éléments de base. Je suis désolée mais je ne réponds pas, je ne répondrai pas ! »

Clément Lanot souligne pour sa part que le policier filmé est identifiable par le numéro qu’il porte, qui correspond à celui d’un gradé. La compagnie à laquelle il appartient, la 12e CI (Compagnie d’Intervention), est basée dans le XVIIe arrondissement de Paris et apparaît comme « coutumière de ce genre de faits » : « c’est souvent eux en manif », décrit Clément Lanot qui indique « couvrir des manifestations depuis dix ans ». En 2023, c’est cette même unité qui blessait le journaliste de Brut Rémy Buisine, en marge des manifestations du 1er mai.

La préfecture de police nie l’évidence ?

Contactée par nos soins, la préfecture de police explique avoir « eu connaissance » de l’incident et des différentes vidéos montrant le déroulé des événements. Faisant écho aux éléments de langage de Laurent Nuñez, l’institution rappelle que « les forces de l’ordre étaient largement prises à partie comme l’attestent d’ailleurs ces images. Reculant pour se repositionner, il leur était pratiquement impossible d’identifier immédiatement la présence d’un individu et encore moins sa qualité de journaliste, lequel se trouvait derrière le cordon policier ». S’ensuit une autre paraphrase de l’intervention télévisée du chef de la police : « Un rapport a été demandé au policier comme à chaque fois et des suites seront données si elles doivent l’être », nous fait savoir la préfecture, sans évoquer en quoi pourrait consister les suites en question. Pour conclure, après avoir pris soin de ne pas remettre en cause le professionnalisme de la compagnie d’intervention concernée, le communiqué qui nous a été transmis appelle à « dénoncer » les jets de projectiles visant les forces de l’ordre, ainsi que les slogans anti-police constatés lors de cette manifestation.

Communiqué de la préfecture de police envoyé à Off Investigation le 24 mars 2025.

Toutes ces compagnies dépendent de la Direction de l’ordre public et de la circulation et forment notamment les BRAV, BRAV-L et BRAV-M. Le 18 mars 2023, Clément Lanot déclarait justement avoir été « visé par un coup de matraque de la BRAVM ». « En rangeant le matériel cassé suite à ce coup, un CRS m’intimide au sol en mimant un coup de pied », expliquait-il alors, en précisant que ce dernier « arrête en voyant que je suis journaliste. »

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