Affaire Nestlé : Alexis Kohler refuse à nouveau d’être auditionné

Alexis Kohler a refusé de témoigner le 8 avril 2025 au Sénat sur l’affaire des eaux Nestlé  | Photomontage Off Investigation

Le bras droit d’Emmanuel Macron refuse une fois de plus de témoigner devant une commission d’enquête, cette fois au Sénat, sur le scandale Nestlé. De quoi susciter la suspicion des sénateurs sur son rôle dans cette affaire.

Alexis Kohler fait de la résistance. Le bras droit d’Emmanuel Macron, qui doit quitter son poste et rejoindre la Société générale, refuse une nouvelle fois de témoigner devant une commission d’enquête, et ce, au nom « de la séparation des pouvoirs », fait savoir le palais ce lundi 7 avril. Le bras droit du président était pourtant attendu de pied ferme par les sénateurs le lendemain après-midi, mardi 8 avril, sur le scandale Nestlé. Après avoir déjà fait le coup aux députés sur le budget, ce nouveau refus fait bouillir les sénateurs. « Les commissions d’enquête ne sont pas à la carte », fulmine l’un d’eux, fustigeant « le mépris de l’exécutif. »

« Les documents ne seraient pas couverts par la séparation des pouvoirs mais le secrétaire général de l’Elysée le serait ? »

Alexandre Ouizille, rapporteur de la commission d’enquête

Mais c’est surtout la perplexité qui domine à la chambre haute, comme l’explique sénateur PS Alexandre Ouizille, rapporteur de la commission d’enquête. « L’Elysée a pourtant accepté de nous transmettre des documents sur le sujet. Les documents ne seraient pas couverts par la séparation des pouvoirs mais le secrétaire général le serait ? », s’interroge le parlementaire auprès de Off Investigation, voyant là « une incohérence majeure. »

Les sénateurs ont appris dans la presse que « AK » comme il est surnommé à l’Elysée, était dans la boucle des échanges avec Nestlé pour laisser le groupe commercialiser des eaux non conformes à la réglementation et dangereuses pour la santé, malgré les recommandations d’interdiction des autorités sanitaires, selon des révélations explosives du Monde et de Radio France au début de l’année. Ce dernier aurait même rencontré les dirigeants de la firme et figure parmi les destinataires de mails qui mentionnent explicitement le sujet de la contamination des forages. De quoi piquer la curiosité des sénateurs, qui ont prévu de communiquer les documents en lien avec le scandale Nestlé en lieu et place de l’audition qui était prévue ce mardi 8 avril, à 14 heures. « Nous regrettons bien évidemment l’absence d’Alexis Kohler », ajoute le sénateur Ouizille.

Rumeurs, gros sous et suspicion

L’élu rappelle aussi le mutisme de l’ex-directrice de Nestlé Waters France, Sophie Dubois, sous le feu des sénateurs le 18 mars dernier. Après avoir tenté de connaître les questions de la commission d’enquête en amont, comme nous l’avions révélé (Off Investigation, le 7 février 2025), l’ancienne dirigeante a joué les ingénues devant les parlementaires. « J’ai été informée de ces traitements non-conformes à l’été 2021 », a-t-elle indiqué, soit pile au moment où la firme a informé le gouvernement de ces pratiques. « L’entreprise a reconnu avoir utilisé des traitements non-conformes. C’est une situation héritée du passé, je ne sais pas de quand elle date. On est allé voir proactivement les autorités pour leur exposer la situation et l’entreprise a exprimé ses regrets et mis en place un plan de transformation pour mettre fin à ces pratiques. » Traduction : circulez, il n’y a rien à voir. « On nous balade alors que ce n’est pas juste une erreur administrative, tous les ingrédients sont réunis pour une affaire d’Etat », s’agace un sénateur qui participe aux travaux de la commission.

« Nul n’est au-dessus des lois »

Un ministre en poste

Le Sénat va-t-il au moins engager des poursuites contre Alexis Kohler, comme le prévoit la loi ? A l’Assemblée nationale, le président de la commission des finances Eric Coquerel a obtenu le signalement du secrétaire général de l’Elysée au parquet. Selon une ordonnance du 17 novembre 1958, toute personne dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile est tenue de respecter la convocation qui lui est délivrée. La personne qui ne comparaît pas ou refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d’enquête est passible de deux ans d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. Au Sénat, seul le « bureau », l’organe disciplinaire de la chambre haute, serait en capacité de saisir la Justice. Pour sa part, le sénateur Ouizille ne se prononce pas à ce stade, indiquant qu’il s’agit d’une « question interne »« Cela pose tout de même question sur la clarté des pouvoirs des commissions d’enquête, c’est une réflexion que je compte mener dans mon rapport. D’autant que l’existence des commissions est limitée à six mois, après quoi, ses travaux s’arrêtent. Ce qui fait penser aux parlementaires quAlexis Kohler joue la montre. », ajoute l’élu.

« Le silence de Kohler ne peut que laisser la place aux rumeurs et à la suspicion », déplore un autre sénateur. Référence à l’attitude d’Emmanuel Macron, qui, tout en rejetant toute « entente avec personne ou de connivence avec qui que ce soit », reste lui aussi mutique sur ses liens avec Nestlé et l’argent qu’il a touché grâce à la firme franco-suisse lors de son passé de banquier d’affaires (Off Investigation, 29 mars 2023). De quoi alimenter la colère contre le manque de transparence de la présidence ? « Nul n’est au-dessus des lois », rappelle un éminent ministre en poste dans l’actuel gouvernement. L’association de lutte contre la corruption Transparency France met en garde contre une « atteinte au bon fonctionnement de nos institutions démocratiques ». Sur ce sujet, comme tant d’autres, Emmanuel Macron et son bras droit Alexis Kohler naviguent en eaux troubles.

La Commission sénatoriale renonce à signaler Kohler à la Justice

Alexis Kohler leur fait faux bond, qu’à cela ne tienne, les sénateurs ont dévoilé des documents le mettant directement en cause. Plus de 70 pages, transmis directement par l’Élysée, « des notes, des mails, des échanges », a précisé le rapporteur de la commission d’enquête Alexandre Ouizille. Des écrits qui démontrent une certaine « densité » des échanges mais aussi que l’Élysée a « ouvert les portes de ministères » à Nestlé alors qu’il « savait » que le groupe « trichait depuis plusieurs années », selon le sénateur PS.

La présidence « avait connaissance des contaminations bactériologiques voire virologiques sur certains forages » a asséné l’élu, jugeant « incompréhensible », le refus d’Alexis Kohler de témoigner. Ce dernier devrait néanmoins s’en sortir une fois de plus, la commission ayant renoncé à le signaler à la Justice, face au peu de chance que la procédure aboutisse.

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