Alexis Kohler (très) secret (4/6)
MSC, la « Mafia shipping company » ?

Partie de rien en 1970, MSC est aujourd’hui le premier transporteur maritime du monde (photo DR)

Alexis Kohler (très) secret (4/6) Au tournant des années 1970, Gianluigi Aponte et Rafaëlla Diamant fondent la très discrète Mediterranean Shipping Company (MSC). 55 ans plus tard, ce géant maritime mondial reste géré comme une épicerie de village par un clan familial italo-israélien cultivant l’opacité. Seuls, les enfants des fondateurs – et Alexis Kohler en 2016 – ont eu accès aux secrets les mieux gardés de celle qu’on surnomme désormais parfois la « Mafia shipping company ».

Dans les années 1970, associés à un autre employé de Bernard Cornfeld – Dominique Denat (tiens donc !) – Gianluigi Aponte et Rafaëlla Diamant rachètent deux vieux rafiots rebaptisés « Patricia » et « Rafaëlla », les prénoms de leurs épouses respectives. Ceci pour quelques centaines de milliers de dollars « empruntés à des clients ». Ainsi naît la « Mediterranean Shipping Company ». Où cela ? Les rares « experts » du sujet en débattent encore. Monrovia ? Capitale de l’État fantôme et mafieux du Liberia ? Bruxelles ? Anvers ? Enfin Genève pour les plus paresseux. Selon la page officielle de MSC, c’est pourtant bien Bruxelles. « The story of the MSC Group began in Brussels in 1970 », y lit-on noir sur blanc.

Monrovia, Broadway 31, Liberia

On trouve pourtant bien trace d’une « Aponte shipping Company » à Monrovia… « La première société avec laquelle il a commencé à opérer s’appelait Aponte Shipping Company, basée à Monrovia, Broadway 31, Liberia », assure le quotidien italien Repubblica (2 novembre 2006) qui nous en fournit même l’adresse.

Mais pourquoi s’établir au diable, au Liberia ? Les amateurs de fiscalité tropicale se reporteront à l’enquête édifiante du journaliste George Turner publié en 2016 sous le titre « Liberia’s mysterious company registry system » ( Le mystérieux système de registre des sociétés du Liberia)

On y découvre que plusieurs dizaine de milliers d’entreprises et principalement du secteur maritime y sont enregistrées dans l’opacité la plus absolue. Ainsi : « Enregistrées auprès du ministère des Affaires étrangères, elles ne sont pas tenues de payer des impôts au Libéria, ni de déclarer qui en est le propriétaire ou de déposer des comptes annuels. Elles peuvent également émettre des « actions au porteur », un instrument juridique interdit dans la plupart des pays en raison de la facilité avec laquelle elles peuvent être utilisées pour l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent.( …) Cela signifie que personne, y compris les autorités fiscales et policières et les directeurs de l’entreprise elle-même, ne peut savoir qui sont les propriétaires ».

Et George Turner de pimenter son enquête de quelques éléments d’ambiance alors qu’il se met en quête du registre officiel supposé recenser les sociétés étrangères domiciliées au Liberia. « Le registre est apparemment un sujet sensible pour le ministère des Affaires étrangères. Le vice-ministre des Affaires juridiques de l’époque, Boakai Kanneh, s’est montré visiblement furieux lorsque nous avons évoqué la question lors d’une brève réunion et nous a ordonné de quitter son bureau ».

Plus savoureux encore : « À la recherche du 80 Broad Street. Pour recevoir du courrier, toutes les sociétés libériennes non résidentes doivent avoir une adresse au Libéria et un agent enregistré. En vertu de la loi libérienne, la LISCR Trust Company, une entité privée dont l’adresse est le 80 Broad Street, est l’agent exclusif de toutes les sociétés libériennes non résidentes. Cela signifie que toutes ces sociétés ont la même adresse postale – 80 Broad Street, Monrovia. Broad Street est le cœur commercial du centre-ville de Monrovia. Mais le 80 Broad Street n’existe pas et lorsque nous avons visité le quartier, aucun des commerçants de la rue n’en avait entendu parler. Au ministère des Postes et Télécommunications, personne n’a voulu nous dire à qui était attribuée cette adresse. » L’intégralité de l’article est à découvrir ici.

En revanche, les sources sont unanimes pour dire que MSC fit naviguer ses premiers navires entre l’Italie et la Somalie.
Selon « Swissship », site professionnel spécialisé sur les Compagnies maritimes qui a sollicité – sans succès –-une interview d’Aponte, mais s’appuie sur le témoignage d’un ancien employé qui préfère rester anonyme : les deux premiers navires d’Aponte « étaient enregistrés au nom de la Mediterranean Shipping Company, de Monrovia, au Liberia. Avec ces deux cargos conventionnels, MSC a commencé un service de ligne entre la Méditerranée et la Somalie en 1971. Au fur et à mesure que la flotte s’est développée, les itinéraires se sont étendus vers l’Europe du Nord, l’Afrique du Sud et la Mer Rouge en 1977 et vers l’Océan Indien l’année suivante. ». Toujours selon Swissship, le premier navire rebaptisé « Patricia » a été acquis le 10 mars 1970 par MSC, sise à Bruxelles et… Monrovia !

« Mafia shipping company »

On ne va pas s’étendre sur le commerce maritime entre l’Italie et la Somalie. Celui-ci a déjà nourri de nombreuses enquêtes, et notamment un remarquable documentaire de Paul Moreira « Toxic Somalia : l’autre piraterie » laissant percevoir qu’il s’est parfois apparenté à du juteux trafic de déchets entre l’Europe et l’Afrique. Est-ce de cette époque que les mauvaises langues ou les concurrents jaloux se sont plu à rebaptiser MSC « Mafia shipping Company » ?

En 2012, dans le magazine néerlandophone Trends, les partisans de Bruxelles comme point de départ de l’aventure ne désarment pas. La plume de Luc Huysmans est catégorique : « En 1969, Aponte Shipping voit le jour sur l’avenue Winston Churchill à Bruxelles, rebaptisée Mediterranean Shipping Company (MSC) un an plus tard ». « MSC disposait de deux navires d’occasion avec lesquels il entretenait une desserte de la Mer Rouge », rappelait il y a quatre ans le transitaire Jean-Marc Denis dans Trends. « Mais certains services gouvernementaux pensaient que parce qu’il était italien, il devait y avoir des liens avec la mafia. Totalement absurde, mais le résultat a été qu’il est parti à Genève avec son équipe de cinquante hommes à la fin des années 70. »
Au diable le racisme belge donc et « re-bonjour » Genève dont la devise depuis le XVIe siècle est « Post tenebras lux » – « Après les ténèbres la lumière ». Du cousu main…

Une certitude, le succès est au rendez-vous et la suite de l’aventure mieux connue. Parti de rien en 1970 contre vents et marées, MSC se positionne dès les années 1980 comme le « Ryanair » des mers rachetant des rafiots à bas prix et cassant les tarifs du transport maritime.

En quelques décennies seulement, MSC a connu une croissance stupéfiante au point de dominer désormais le transport maritime international et de coiffer le danois Maersk fondé lui en 1904, près d’un siècle plus tôt.

« Coke en stock »

Non sans quelques fortunes de mer. À l’instar de ses concurrents mais souvent d’avantage qu’eux, MSC est confronté à l’ingéniosité des trafiquants de drogue pour dissimuler sur ses immenses navires, parfois plusieurs dizaines de tonnes de cocaïne, comme nous vous le racontions dès 2021.

« Affaire Kohler, le scandale qui menace Macron » (Yanis Mhamdi, Off investigation, novembre 2021)

Le sujet fut également abordé en profondeur en 2023 par l’agence Bloomberg. Il mérite d’être vu ou revu pour mesurer l’ampleur du phénomène dont il est question.

🚨 Bruno Retailleau est au #Havre pour clamer son engagement contre le trafic de stupéfiants 👉 L'occasion de repartager notre article 💥 « KOHLER, MSC ET LA COCAÏNE : Comment des trafiquants infiltrent la compagnie maritime de ses cousins »⤵️

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— Off Investigation (@offinvestigation.bsky.social) 13 janvier 2025 à 15:07

Manque de vigilance ? Ces saisies records de cocaïne collent en tout cas à MSC comme le sparadrap aux doigts du capitaine Hadock. Car le géant maritime crée par Gianluigi et Rafaëlla Aponte est aujourd’hui, et de loin, celui sur lequel on saisit le plus de cocaïne.

Lors d’une enquête sur le port d’Anvers, principale porte d’entrée de la drogue en Europe, De Tijd, un quotidien belge néerlandophone, entreprenait en 2020, après avoir croisé toutes les statistiques dont il disposait, d’établir un classement des compagnies maritimes les plus souvent confrontées au problème. « Nous avons parcouru toutes les données possibles, telles que les ports auxquels les navires font escale, les compagnies maritimes impliquées et toutes sortes de détails sur ces navires, de leur port d’attache au pavillon sous lequel ils naviguent jusqu’à l’année de leur construction. Un nom a émergé de ces données : la Mediterranean Shipping Company (MSC). La moitié des plus de 100 navires que nous avons suivis appartenaient à MSC, contre 17 de Hamburg Süd, 11 de CMA-CGM, 8 de Hapag Lloyd et 7 de Maersk. MSC est la deuxième plus grande compagnie maritime de conteneurs au monde après Maersk. Les navires du MSC avaient parfois plus de 1,3 tonnes de cocaïne à bord. Le navire qui l’année dernière, avait de loin le plus de cocaïne à bord, appartient également à MSC : le MSC Anisha R. En un an, il a expédié près de 3,4 tonnes de cocaïne à Anvers. Il venait à chaque fois d’Equateur, connu comme pays de transit pour la cocaïne en provenance de Colombie », observait le quotidien.

Des chiffres préoccupants qui ne vont pas empêcher les cousins d’Alexis Kohler de bénéficier d’étonnants cadeaux fiscaux de la part de l’Etat français. Une question se pose. Comment les liens entre une aussi puissante entreprise et le secrétaire général de l’Élysée ont-ils pu ainsi passer sous les radars des médias oligarchiques pendant des années ? Comme ceux d’Alexis Kohler avec Israël ?

La semaine prochaine : Alexis Kohler (très) secret (5/6) – Des millions d’argent public pour le business (défiscalisé) des cousins Kohler

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