Argent Libyen : Les réseaux Sarkozy devant la justice

Nicolas Sarkozy à l’enterrement de François Hardy, au cimetière du Père Lachaise, à Pairs, le 20 juin 2024 (Photo Bertrand GUAY / AFP)

À partir de ce lundi et jusqu’au 10 avril, l’ancien président Nicolas Sarkozy sera jugé à Paris pour « financement illégal de campagne électorale », « association de malfaiteurs », « recel de détournement de fonds publics libyens ». Douze autres prévenus, dont les anciens ministres Claude Guéant, Brice Hortefeux et Eric Woerth, comparaitront également devant le tribunal correctionnel de Paris.

Un procès historique et une centaine de journalistes accrédités, dont près de soixante dix pour des médias étrangers : ce lundi 6 janvier commence le procès de l’affaire du financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy. Les audiences, qui dureront 4 mois, réuniront 13 accusés face au Tribunal correctionnel de Paris, trois après-midis par semaine, pour déterminer si la campagne de l’ancien président de la République a été partiellement financée par le régime de l’ancien dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Aux côtés de Nicolas Sarkozy sur le banc des accusés : trois anciens ministres, un ancien collaborateur, quatre hommes d’affaires étrangers et l’ancien directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi.

L’information judiciaire est ouverte depuis avril 2013, à la suite d’accusations de dignitaires libyens lancées en 2011, des déclarations de l’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine, et de documents révélés par Mediapart dans l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2012. Les nombreux avocats des accusés – dont 4 pour le compte de Nicolas Sarkozy – feront face à trois magistrats du parquet national financier.

Les sarkozystes, grands amis de la Libye de Kadhafi

Nicolas Sarkozy, qui conteste toujours les accusations, est poursuivi pour « recel de détournement de fonds publics », « corruption passive », « financement illégal de campagne électorale » et « association de malfaiteurs ». L’ancien président de la République est soupçonné de s’être engagé dans un « pacte de corruption » avec Mouammar Kadhafi pour financer sa campagne présidentielle en 2007. Des accusations qu’il nie depuis le début : « Il n’y a jamais eu ni de près ni de loin, ni en liquide ni en virement, le moindre centime libyen pour financer ma campagne », affirmait-il face aux juges d’instruction en octobre 2020 (Marianne, octobre 2020). Un discours qui n’a pas convaincu les juges d’instruction qui l’ont renvoyé devant le tribunal correctionnel ou il encourt 10 ans de prison et 375 000 euros d’amende, voire une peine d’inéligibilité de 5 ans.

Claude Guéant, ancien directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur, directeur de campagne, puis secrétaire général de l’Elysée avant d’être nommé ministre de l’intérieur sera également jugé. Il est l’un des principaux instigateurs, avec l’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine, des relations Sarkozy/Kadhafi. Claude Guéant et Ziad Takieddine se rencontrent en 2003, et vont très vite être impliqués dans des marchés financiers entre la France et le régime de Mouammar Kadhafi, notamment pour des contrats d’armement entre 2005 et 2007. 

En septembre 2005, Claude Guéant établit des premiers contacts concernant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Lors d’un déplacement en Libye, il rencontre secrètement le terroriste et beau-frère de Mouammar Kadhafi, Abdallah Senoussi, condamné à perpétuité en France pour son implication dans l’attentat de l’avion DC10 de la compagnie UTA en septembre 1989, qui avait causé la mort de 54 Français. Ce dernier souhaite faire annuler sa condamnation. Nicolas Sarkozy, fera tout, selon Mediapart, pour rendre inopérant le mandant d’arrêt lancé contre lui : « Dès ma prise de fonctions à la présidence de la République, pas le premier acte, mais le deuxième acte d’amnistie sera pour M. Senoussi » aurait indiqué Nicolas Sarkozy lors d’une rencontre en Libye en octobre 2005 (Mediapart, mars 2018). L’ancien président français avait même envoyé en Libye son propre avocat, Thierry Herzog, pour aider pénalement Abdallah Senoussi quelques semaines après sa visite sur place en octobre 2005.

Guéant, Hortefeux et Gaubert sur la sellette

Face aux magistrats, Claude Guéant est accusé d’avoir joué les intermédiaires pour obtenir des fonds libyens par les réseaux de Ziad Takieddine et de l’homme d’affaire franco-algérien Alexandre Djouhri, en ayant renconté des collaborateurs officiels de Mouammar Kadhafi. Mais il n’est pas le seul ancien proche de Nicolas Sarkozy qui va être jugé dans l’affaire Sarkozy/Kadhafi. 

L’ancien ministre Brice Hortefeux, proche collaborateur de Nicolas Sarkozy, aurait également joué l’intermédiaire entre Paris et Tripoli. En décembre 2005, alors qu’il est ministre délégué aux Collectivités territoriales, il se rend en Libye, pour un déplacement qui « n’avait pas grand sens » selon l’ambassade de France en Libye. Il aurait, pendant ce voyage, rencontré secrètement Abdallah Senoussi, lui aussi par l’intermédiaire de Ziad Takieddine.

Quelques mois plus tard, en février 2006, l’ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy Thierry Gaubert reçoit 440 000 euros sur un compte aux Bahamas de la société Rossfield Limited, qui appartient à Zied Takkiedine. De l’argent qui aurait pu alimenter la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy grâce à des retraits effectués entre 2006 et 2007. Pour justifier des fortes sommes en liquide qui circulaient au coeur de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, Eric Woerth, trésorier de la campagne et futur ministre du Travail et du Budget, évoque des « dons anonymes reçus par courrier ».

Ziad Takkiedine, personnage clé d’une gourmande collaboration

Du côté de l’argent libyen, Ziad Takkiedine est le grand absent du procès qui démarre ce lundi. L’homme d’affaires réfugié à Beyrouth depuis plus de 4 ans ne sera pas présent devant les magistrats du Tribunal correctionnel de Paris suite à une autre condamnation pour l’affaire Karachi en 2020. Accusateur principal du dossier, il affirmait en 2016 avoir remis entre fin 2006 et début 2007 5 millions d’euros à Claude Guéant, et apparait selon le document final des juges d’instructions comme un des personnages clé du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy (Mediapart, août 2023), grâce à son réseau de corruption libyen reposant notamment sur Adballah Senoussi.

Fin 2020, le témoignage de Ziad Takkiedine dérange jusqu’à pousser quelques communiquants bien rodés à lancer l’opération « Sauver Sarko ». Ils organisent une fausse rétractation de Ziad Takkiedine sur BFM-TV et Paris Match en novembre 2020 (Le Monde, novembre 2020) notamment grâce à l’aide de Michèle Marchand, dite « Mimi » (Mediapart, avril 2023).

Un candidat, deux sources de revenus libyens

Mais Ziad Takkiedine n’est pas le seul homme d’affaires qui sera jugé par le Tribunal correctionnel de Paris. Une autre manne financière de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy proviendrait d’un autre réseau de corruption, cette fois via l’homme d’affaires franco-algérien Alexandre Djouhri. Ce dernier est soupçonné d’avoir collaboré avec le banquier franco-djiboutien Wahib Nacer et deux hommes d’affaires saoudiens, Ahmed Salem Bugshan et Ali Khalid Bugshan, qui rejoignent tous les trois le banc les accusés lors de ce procès. Ce réseau serait passé par l’ex-argentier du régime libyen, Bechir Saleh, et son fonds souverain Libyan African Portfolio (LAP). L’ancien directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi a d’ailleurs été exfiltré de Libye en France à la chute du régime en 2011. Puis, il aurait rallié le Niger grâce à Alexandre Djouhri, d’après des révélations de Mediapart en 2012 et ce malgré un mandat d’arrêt international lancé à son encontre par les nouvelles autorités libyennes de Tripoli (Libération, avril 2012). Off Investigation dévoilait il y a quelques jours comment une condamnation de Bechir Saleh venait d’être suspendue par la justice Suisse.

Lire également : Argent libyen. La justice suisse se prend les pieds dans le tapis

Le duo Djouhri/Saleh serait aussi derrière le versement de 500 000 euros à Claude Guéant en 2008, après la victoire de Nicolas Sarkozy, avec lequel il s’achètera un appartement de 89 m² dans le 16ᵉ arrondissement de Paris.

Dernier accusé, l’ancien dirigeant d’Airbus Edouard Ullmo. Ce dernier est soupçonné d’avoir vendu 12 appareils à la compagnie libyenne Afriqiah Airways en 2006. Il aurait versé à Alexandre Djouhri une commission de 12 millions d’euros sur la vente, alors même que les responsables d’Airbus affirmaient aux enquêteurs ne jamais avoir versé d’argent à Alexandre Djouhri en marge du contrat libyen (Mediapart, mai 2011).

Le 25 juillet 2007, quelques mois après son élection, Nicolas Sarkozy effectue un premier voyage officiel en tant que président de la République en Libye. Quelques mois plus tard, il accueille Mouammar Kadhafi en grande pompe à Paris à coup de chasses improvisées à Rambouillet et de balades au château de Versailles. Un voyage controversé qui scellera néanmoins le retour de Mouamar Khadafi au sein de la communauté internationale. Pas sûr qu’à l’époque, Nicolas Sarkozy se doutait que son long flirt avec le dictateur libyen le conduirait dix sept ans plus tard à être jugé pour « recel de détournement de fonds publics », « corruption passive », « financement illégal de campagne électorale » et « association de malfaiteurs »…

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