Arrêt de l’A69 : les macronistes avaient menti sur l’intérêt du projet. 

Marche contre l’A69 à Soual (Tarn), le 23 octobre 2022 (Photo Charly TRIBALLEAU / AFP)

Le 27 février 2025, la justice administrative a annulé l’autorisation environnementale du projet autoroutier A69, ce qui a conduit à l’arrêt de ce chantier controversé et combattu depuis des mois par une partie des habitants du Tarn. L’Etat va faire appel.

Une décision historique. C’est ainsi que les opposants à l’Autoroute A69, censée relier Castres à Toulouse, ont accueilli la décision du tribunal administratif de Toulouse d’arrêter le chantier de l’A69, démarré il y a deux ans. Suivant les préconisations de la Rapporteure publique Mona rousseau, les magistrats toulousains ont estimé que les gains espérés de la future autoroute étaient insuffisants par rapport aux atteintes à l’environnement. 

« Quand on s’y met tous, on arrive à faire bouger les lignes »

Thomas Brail, fondateur du Groupe National de Surveillance des Arbres 5GNSA)

« Quand on s’y met tous, on arrive à faire bouger les lignes. Cette lutte est à l’image du collectif qu’on a su créer tous ensemble avec les collectifs et les  zadistes» s’est exclamé Thomas Brail. Président et fondateur du GNSA (Groupe National de Surveillance des Arbres), il avait fait une grève de la faim de 40 jours en septembre 2023 pour s’opposer au projet avec 14 autres militants. « La justice est passée en toute indépendance, c’est hyper rassurant, abonde Geoffrey Tarroux, porte-parole du collectif la Voie Est Libre. C’est un précédent qui va laisser des traces » 

Même satisfaction chez Christine Arrighi. Députée les ecologistes de Haute-Garonne, elle avait été rapporteure d’une commission d’enquête sur l’A69 torpillée par la dissolution de l’assemblée décidée par Emmanuel Macron en juin 2024. « Aujourd’hui, on fête deux victoires : la victoire de la mobilisation citoyenne des syndicats agricoles, des associations, et des ONG contre l’A69 et la victoire du droit environnemental qui est toujours traité comme un droit secondaire. Là, les magistrats de Toulouse ont reconnu sa primauté » estime la députée écologiste. 

« La justice administrative a jugé en droit et non en opportunité financière »

Alice Terrasse, avocate de collectifs d’opposants

Lors d’une conférence de presse, différentes associations environnementales et de protection des monuments historiques et du château de Scopont (un bâtiment historique menacé par l’A69, ndlr) ont donné la parole à leur avocate Maître Alice Terrasse.  « C’est une première décision au fond. Pour la première fois, une autoroute est annulée alors même que les travaux sont avancés, peut-être à la moitié du chantier. Mais je salue le courage des magistrats en dépit de la pression de l’Etat et du concessionnaire. La jurisprudence administrative a jugé en droit et non pas en opportunité financière. » 

Mona Rousseau, la rapporteure publique du tribunal administratif de Toulouse qui avait contesté que l’autoroute A69 puisse violer les règles environnementales en raison d’une « raison impérative d’intérêt public majeur » (photo Facebook, DR)

Au centre de la décision des magistrats du tribunal administratif de Toulouse, la notion de « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM). En mars 2023, c’est elle qui avait été mise en avant  par les préfets du Tarn, de la Haute-Garonne et de l’Occitanie pour autoriser la construction de l’A69 au mépris de nombreuses règles de protection de la nature prévues par le code de l’environnement. En l’espèce, les 53 km du tracé reliant Castres à Toulouse portaient atteinte à 157 espèces protégées, des milliers  d’arbres d’alignements, des zones humides, provoquant ce qui allait devenir une des plus grosses luttes environnementales du moment. 

Après avoir analysé finement sur 24 pages tous les arguments des préfets à l’appui de cette prétendue « raison impérative d’intérêt public majeure » défendue sans relâche depuis sept ans par les macronistes, les magistrats toulousains ont estimé qu’elle faisait défaut. 

Une fausse « raison impérative d’intérêt public majeur »

Premier argument avancé depuis des mois par les macronistes : un “gain de temps” procuré par l’A69 entre Castres et Toulouse. Évalué à une vingtaine de minutes, il a été contrebalancé par le rallongement d’une dizaine de minutes du trajet pour tous les conducteurs qui n’utiliseraient pas l’autoroute. Si auparavant, ils empruntaient des voies rapides gratuites sur 2×2 voies, celles ci devaient être intégrées au tronçon payant de l’A69. Une privatisation qui aurait  amené un report de trafic dans les villages avoisinants. Report dont les conséquences n’ont pas été évaluées. 

Les magistrats toulousains ont également analysée l’argument mettant en avant “l’accidentologie” de RN126, la nationale existante reliant déja Castres à Toulouse. Ils ont estimé qu’elle n’est pas plus dangereuses que les autres nationales comparables et ne justifie pas « un besoin impérieux de sécuriser la voie existante” : “Il résulte de l’instruction que le gain sécuritaire apporté par l’autoroute s’accompagnera d’un accroissement de la dangerosité de l’itinéraire de substitution. Les motifs de sécurité avancés ne sauraient davantage caractériser l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur ». 

L’argument du « désenclavement du bassin économique de Castres-Mazamet » qui subirait un « décrochage démographique » a également été remis en cause par la justice administrative. Elle a ainsi estimé que Castres est suffisamment bien desservie par des routes, des voies ferrées, et un aéroport et que la présence d’hôpitaux, écoles, universités, équipements de tourisme, hypermarchés lui permet de disposer de services et d’équipements de qualité. Par ailleurs entre 2014 et 2019,  le bassin a enregistré une croissance démographique qui ne justifie pas de décrochage par rapport aux autres agglomérations moyennes de la région de Toulouse. 

Les arguments des pro-A69 jugés « bidons »

Enfin, concernant le prix du péage,  son coût élevé (environ 16 euros pour l’aller retour entre Castres et Toulouse, ce qui en ferait l’une des autouroutes les plus chères de France) « sera de nature à en minorer significativement l’intérêt pour les opérateurs économiques.  Les motifs économiques avancés pour justifier un tel projet ne sauraient caractériser l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur. ». 

Deux ans après le début des travaux, comment se fait-il que les préfets aient couvert à ce point le projet et la construction de l’A69 ? Comme nous l’avions révélé dans notre film-documentaire « l’A69 ou l’affaire personnelle de Macron », c’est en 2018 que l’exécutif abandonne le projet de moderniser la nationale existante, RN126, pour construire en parallèle une autoroute privée. A l’époque, Elisabeth Borne, ministre des transports, porte en personne le dossier de déclaration d’utilité publique pour « continuer de développer l’emploi à Castres » comme elle l’affirme alors. 

Puis en 2023, alors que la nationale n’est pas saturée et que des projets alternatifs existent, les préfets, représentant de l’Etat en région, décident de reprendre l’argumentaire d’Atosca, le concessionnaire de l’A69,  en mettant en avant une prétendue « raison impérative d’intérêt public majeur ». 

Aujourd’hui, les coûts de remise en état après deux ans de travaux sont estimés par Atosca à environ 500 millions d’euros. Mais ce concessionnaire de l’Autoroute est juge et partie et pratique une opacité problématique depuis le début du projet. 

 Lire aussi : Autoroute A69 : les masques tombent

Si l’autoroute était finalement construite, Atosca demande une augmentation de la participation de l’Etat (entre 175 et 550 millions d’euros selon les calculs des différentes estimations de trafics). Objectif : faire enfin baisser le coût astronomique du péage (actuellement de l’ordre de 16 euros pour l’aller-retour Castres Toulouse). D’une manière ou d’une autre, les contribuables risquent donc de payer les conséquences de ce projet écocide imposé au forceps depuis 2018 par les macronistes. 

Une « décision ubuesque » selon les macronistes

Dans cette affaire, les actionnaires dont certains représentants avaient joué un rôle clé dans le financement de la carrière politique d’Emmanuel Macron en 2017 (notamment en l’aidant à obtenir un prêt déterminant d’une quinzaine de millions d’euros à quelques semaines de la présidentielle) auront essayé avec constance de passer en force. Et le pouvoir exécutif les a protégés avec constance, au mépris du droit, donc. 

Lire aussi : A69, l’affaire personnelle de Macron ?

Aujourd’hui, la justice administrative a eu le courage de leur rappeler qu’en démocratie, seul le droit doit s’appliquer. Dans la soirée, le ministre des transports, Philippe Tabarot, a annoncé que l’Etat ferait appel de la « décision ubuesque » du tribunal de Toulouse. 

« Autoroute A69, l’affaire personnelle de Macron ? » (Clarisse Feletin, Julien Bouillet, Bérénice Sevestre, Off investigation, novembre 2023)

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