Assistants parlementaires fictifs
Le grand absent Jordan Bardella

Photomontage faisant apparaître le journaliste Tristan Berteloot et son livre « La Machine à gagner »

Dans un livre à paraître vendredi aux éditions du Seuil, le journaliste Tristan Berteloot, grand reporter à Libération, révèle que le RN aurait fabriqué de fausses preuves dans le dossier dit des assistants parlementaires européens pour protéger Jordan Bardella. 

C’est un caillou dans la chaussure de Marine Le Pen. Un caillou susceptible d’entraver sa longue marche vers l’Elysée. Le 30 septembre prochain, s’ouvre au tribunal correctionnel de Paris le procès de l’affaire dite des assistants parlementaires du RN au parlement européen. L’actuelle présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale y est prévenue, risquant une inéligibilité de cinq ans. 

La justice lui reproche – ainsi qu’à 27 cadres ou ex du RN – d’avoir participé, entre 2004 et 2016, à un vaste système de détournement de fonds publics alloués par l’Europe pour payer les assistants parlementaires des députés européens. En gros, de les avoir fait rémunérer par l’Europe (et donc les contribuables européens) alors qu’ils travaillaient en réalité pour le RN. 

Jordan Bardella, bras droit de Marine Le Pen et actuel président du Rassemblement national, est passé entre les mailles du filet. Il n’a jamais été convoqué ou entendu sur quoi que ce soit par la justice, la police ou l’anti-fraude européen. Tout sauf le fruit du hasard si l’on en croit le journaliste Tristan Berteloot, grand reporter à Libération, qui publie l’ouvrage « La Machine à gagner » auquel son journal a consacré un article édifiant.

Un vieil organigramme du RN met le feu aux poudres

C’est un organigramme du FN publié en février 2015 qui met le feu aux poudres. A l’époque, le parti s’appelle encore le Front national (FN). Ce document convainc le président du parlement européen de l’époque de saisir la justice française. Ultérieurement, son institution se portera même partie civile. 

Comme l’écrit Libération, « on y trouve [dans ce document] le nom de collaborateurs censés occuper à l’époque des fonctions auprès d’élus européens, ce qui laisse supposer qu’ils étaient alors affectés à d’autres tâches au sein du parti ». D’autres tâches qu’assistants parlementaires européens, donc.

Le nom de Jordan Bardella y figure comme « chargé de mission » dans le pôle « veille et perspective » que dirige le vice-président du FN de l’époque, Florian Philippot, qui a depuis créé son mouvement, Les Patriotes. Comme le précise Mediapart, le jeune militant Bardella est en outre déjà secrétaire départemental du parti en Seine-Saint-Denis et candidat aux élections départementales en mars 2015.  

Jordn Bardealla en 2015 en Seine-Saint-Denis avec Florian Philippot, alors candidat du Front national dans le département.

La question qui se pose alors est simple : Jordan Bardella travaille-t-il réellement comme assistant parlementaire auprès de l’eurodéputé Jean-François Jalkh pour un salaire de 1200 euros nets mensuels ? 

Il n’occupera toutefois ce poste que peu de temps, pendant quatre mois et demi, pour une rémunération totale de 10 444 euros. C’est ce point qui semble avoir incité les policiers en charge de l’enquête à se concentrer sur des membres du FN ayant bénéficié de postes sur de plus longues durées.

« Des documents factices, pour un emploi fictif »

Selon Tristan Berteloot, pour maquiller le fait que l’emploi de Bardella à Bruxelles était fictif, les équipes du parti d’extrême-droite « vont donc préparer un dossier de preuves factices, antidaté de la période où Jordan Bardella était employé comme assistant. Des documents factices, pour un emploi fictif »

Ces faits seraient survenus à la fin de l’année 2017. Jordan Bardella est alors en pleine ascension : « il a participé à la campagne de Marine Le Pen en 2017, il est depuis peu porte-parole du parti, il sera bientôt membre de son bureau national, avant de carrément diriger la liste RN aux européennes de 2019 » rappelle Libération. 

Pour prouver ses dires, Tristan Berteloot se base sur des échanges de mails et sur Messenger entre d’anciens stagiaires et petites mains du RN jamais publiés jusqu’ici. Parmi les documents forgés figure notamment une revue de presse régionale couvrant la période de contrat du futur président du RN, de février à juin 2015. Cette dernière a été réalisée via l’application Global Factiva. « En bas de chaque document, le site indique la date de la recherche et une signature numérique. Quelqu’un va se charger de couvrir de blanco ces éléments incriminants »…

Autre preuve truquée : « un agenda 2015 blanc et bleu, lui non plus jamais révélé, intitulé «avions d’exception» (avec des photos d’avions de chasse), sur lequel Jordan Bardella a gribouillé de façon sommaire quelques événements liés au mandat de Jalkh, des dates de réunions plénières, des déplacements à Bruxelles, pour faire croire qu’il suivait son agenda ou l’accompagnait à plusieurs moments » affirme Tristan Berteloot.

Comme d’habitude, le RN crie au complot politique

Face à ces révélations pour le moins embarrassantes, le RN serre les coudes et, comme d’habitude, crie au complot. Ainsi Marine Le Pen déclare au Nouvel Observateur que la sortie de ce livre était « une tentative de déstabilisation politique ». Et ajoute que « ces accusations sont fausses. Ce contrat n’a jamais été retenu, ni par la justice, ni par le Parlement, ni par l’Olaf (Office européen de lutte antifraude) comme susceptible de poser le moindre problème ».

Le principal intéressé, Jordan Bardella, répond à Libération sur X (ex-Twitter : « vos accusations sont fausses et diffamatoires. Ni le Parlement européen ni la Justice française, n’avaient trouvé à redire quant à la réalité de mon travail. Personne ne sera dupe de cette grossière tentative de déstabilisation, à quelques jours de l’ouverture du procès des assistants parlementaires visant le RN ». 

* «La Machine à gagner» de Tristan Berteloot, à paraître le 13 septembre aux éditions du Seuil. 240 pp., 19,50 €.

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