Automobile : comment Musk s’enrichit grâce aux normes européennes

Depuis 2019 et l’instauration de règles strictes sur les émissions de gaz à effet de serre des véhicules, les pouvoirs publics européens laissent la possibilité aux constructeurs automobiles de s’allier entre eux afin que les rejets des gros soient compensés par la vertu de ceux qui émettent moins. Ce système, déjà mis en place outre-Atlantique depuis plus d’une décennie, a permis à Tesla d’engranger, selon nos calculs, près de 11 milliards de dollars depuis 2010.

Vous avez dit Elon Musk ? Le dimanche 12 janvier 2025, une poignée de militants et sympathisants du collectif « Stopelon » s’est symboliquement rassemblée devant une concession Tesla d’Alsace : « Bien des personnes sont horrifiées des dérives d’Elon Musk », confie Nassim, l’un des cofondateurs du collectif. « Il peut faire ce qu’il veut aux Etats-Unis, nous ne critiquons pas Tesla et Musk pour leurs positions américaines, mais pour les attaques répétées envers les démocraties européennes », s’offusque cet européen convaincu. Et de préciser que l’objet de ce collectif est de sensibiliser dans un premier temps les possesseurs de Tesla. Des autocollants distribués gratuitement sont ainsi mis à leur disposition. On peut y lire « Elon, stay away from UE », c’est-à-dire « Elon, reste loin de l’Europe ». 2 000 autocollants ont déjà été édités, tandis que les témoignages de propriétaires désormais honteux de rouler en Tesla afflueraient, d’après Nassim.

Musk reçu à l’Elysée

L’ingénieur Elon Musk n’est pourtant pas un personnage si infréquentable que cela lorsqu’il s’agit de business ou de politique. Emmanuel Macron en personne l’a reçu le 15 mai 2023 et désormais, selon le journal L’Opinion, « le chef de l’Etat tente de maintenir avec le représentant du gouvernement américain la relation de confiance qu’il avait nouée avec le chef d’entreprise ». Car Elon Musk et Tesla sont aujourd’hui incontournables dans le paysage automobile occidental. La Tesla Model Y a été la voiture la plus vendue d’Europe en 2023. Les us et coutumes industrielles de Tesla ont été copiés par bien des constructeurs chinois de voitures électriques, tandis que de leur côté, les manufacturiers européens n’ont eu de cesse d’acheter des crédits d’émission de carbone à Tesla durant ces dernières années.

Il faut en effet savoir qu’en Europe comme aux Etats-Unis, les constructeurs automobiles sont soumis à des lois sur les émissions de CO2. Sur le Vieux continent, chaque constructeur a son propre objectif annuel à respecter. L’étau se resserrant un peu plus chaque année, les marques doivent, pour satisfaire la règlementation, vendre un maximum de voitures électriques réputées pour ne rien émettre lors de leur phase d’utilisation.

La Commission européenne permet des ententes qui profitent à Elon Musk

L’objectif étant complexe à réaliser, la Commission a mis en place un moyen de le contourner légalement : afin de calculer leurs émissions de CO2, les constructeurs peuvent les « mettre en commun » avec d’autres, ce qui s’appelle faire des « pools » et qui revient à faire des alliances dans le cadre desquelles certains rachètent des crédits d’émissions de CO2. Ce qui signifie qu’une marque dont les autos émettent beaucoup de CO2 peut s’acoquiner avec un fabricant de voitures électriques : la balance des émissions est ainsi faite et l’Europe est contente !

Document dans lequel le Conseil de l’Union européenne revient sur certains enjeux du système des « pools » (17 décembre 2024)

Le 7 janvier 2025, la Commission européenne a ainsi publié la liste des pools qui devrait se créer pour cette année. Et qui trouve-t-on dans la première ? Tesla, Toyota, Ford, Mazda, Subaru et surtout Stellantis, c’est-à-dire les marques Peugeot et Citroën, entre autres. Un scandale ? Selon le directeur général du groupe Renault Luca de Meo, ce sont 15 milliards d’euros d’amendes qui sont en suspens au dessus de la tête des constructeurs s’ils ne respectent pas la règlementation sur le CO2 en 2025…

Tesla rentable grâce à la vente de droits d’émission

Le malin Elon Musk et sa marque Tesla se sont donc faits champions de la vente de crédits CO2 aux autres constructeurs. Des droits à émettre qu’ils vendent à prix d’or. L’affaire, au début, ne rapportait que peu : 2,8 millions de dollars en 2010, selon les bilans financiers de Tesla. Mais dès 2013, le business s’envole : Tesla vend pour 194,4 millions de dollars de crédits, une somme bienvenue pour couvrir les déficits de Tesla qui étaient alors importants.

Changement d’échelle encore en 2020, c’est-à-dire au moment où les constructeurs européens commencent à massivement acheter des crédits à Tesla : l’entreprise d’Elon Musk vend alors pour 1,6 milliard de dollars de droits d’émission, et la société Tesla devient enfin curieusement rentable ! Les sommes n’ont jamais cessé de progresser. A la fin septembre 2024, Tesla avait déjà vendu pour deux milliards de dollars de droits à émettre, cette dernière année devrait constituer son record en la matière.

En tout, depuis 2010, les constructeurs concurrents de Tesla ont donc versé la bagatelle de 10,8 milliards de dollars à l’homme le plus puissant du monde. Un état de fait résumé en une simple phrase par un dirigeant (anonyme) de Renault, l’une des rares marques pas encore vue dans le système des pools : « Cela reviendrait à financer mes ennemis », avait-il confié à l’AFP en novembre 2024.