Exclusif | La société Atosca a-t-elle violé les règles des marchés publics dans l’appel d’offres pour la construction de l’autoroute A69, entre Castres et Toulouse ? Off Investigation a découvert que certains coûts induits du projet auraient été escamotés par le concessionnaire autoroutier. Dans cette affaire, l’Etat risque une procédure au pénal pour délit de favoritisme.
Pour ses travaux de terrassement des 53 kilomètres entre Castres et Toulouse, la société de concession Atosca a toujours présenté son projet d’une « autoroute vertueuse » en annonçant l’optimisation des remblais et la réutilisation de la terre de part et d’autre du tracé de l’A69. Mais pour construire une autoroute, cela ne suffit pas. Il faut également des cailloux qu’on appelle « granulats », nécessaires pour stabiliser la route avant de la goudronner.
Quatre mois après l’autorisation donnée à Atosca de commencer le chantier, à l’été 2023, le schéma régional des carrières d’Occitanie, révélait qu’Atosca avait fait valoir « un besoin en granulats de 2,6 millions de tonnes au total ». Cela représente l’aller-retour de 130 000 camions de 20 tonnes, sans compter la pollution et les nuisances. Etabli par le préfet de l’Occitanie, ce document administratif a été découvert par la commission d’enquête parlementaire sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute de l’A69 entre Verfeil et Toulouse au printemps 2024.
Des investigations parlementaires interrompues par la dissolution
En tant que rapporteuse de ladite commission, Christine Arrighi, députée écologiste de Haute-Garonne, s’est efforcée d’investiguer, questionnant aussi bien les représentants de l’Etat que les dirigeants d’Atosca , jusqu’à ce que la dissolution de l’Assemblée nationale mette malheureusement un terme à son travail. Ainsi, interrogé sous serment devant la commission d’enquête parlementaire, le 29 mai 2024, Martial Gerlinger, directeur général d’Atosca a ainsi affirmé : « Je ne sais pas d’où provient le chiffre de 2,6 millions que vous mentionnez dans le schéma des carrières et que je ne connais pas ».
Fabien Balderelli, sous-directeur des financements innovants de la dévolution et du contrôle des concessions autoroutières, au ministère des transports abonde dans son sens. Dans son audition, sous serment, il assure : « Je ne suis pas responsable du schéma des carrières. Toujours est-il que le projet d’Atosca, approuvé par l’Etat, est optimisé en matière de mouvement de terre : utiliser des déblais pour faire des remblais. D’après son projet technique, il semble avoir pris toutes les dispositions pour équilibrer ses mouvements de terre ».
Dans les documents techniques déposés par Atosca pour répondre à l’appel d’offres qu’avait lancé le ministère des transports, il n’y a aucun éléments concernant ces 2,6 millions de tonnes des granulats. Ainsi leur coût n’est pas budgété dans les dépenses prévues pour construire l’autoroute. C’est ce que confirme les équipes de Christine Arrighi, qui continue aujourd’hui d’enquêter au titre de membre de la commission des finances, dont elle est la rapporteuse du rapport spécial des transports depuis 2022.
Mais pour en avoir le cœur net, Off Investigation vient de questionner un autre service de l’Etat à savoir la préfecture d’Occitanie. Voici sa réponse : « Pour le projet d’autoroute Toulouse-Castres, le schéma régional des carrières fait bien référence à un besoin de 2,6 millions de tonnes sur deux ans, en se basant sur les éléments du dossier de déclaration d’utilité publique… Le schéma prévoit une répartition de la production de granulats pour ce chantier sur deux bassins : 650 000 t/an pour le bassin de Toulouse, 650 000 t/an pour le bassin d’Autan », nous précise bien son service de presse .
L’Etat risque une procédure au pénal pour délit de favoritisme
Contacté par Off Investigation, Atosca ne répond pas précisément concernant les granulats et explique « les remblais sont majoritairement fabriqués avec des matériaux extraits sur le site même des travaux, limitant ainsi les achats de matériaux en carrière. »
« A partir où ce coût n’aurait pas été pris en compte dans la réponses des soumissionnaires à l’appel d’offre, cela constituerait une dissociation de procédure formellement interdite par le code des marchés publics », explique Christine Arrighi. « Si on trompe, on fait croire qu’il n’y a pas d’excavation et de transports, cela fausse la concurrence. Cela s’appelle du saucissonnage de marchés publiques », conclue-t-telle. Relancée au sujet du recours aux 2,6 millions de tonnes de granulats, la société Atosca n’a pas donné suite à nos dernières sollicitations.
Le 13 janvier 2025, les opposants à l’A69 ont demandé dans le cadre d’une procédure en référé la suspension des travaux de construction de l’autoroute, en attendant le jugement qui aurait déjà dû intervenir en décembre et sera rendu d’ici fin février. Mais au-delà d’une procédure auprès du tribunal administratif, Atosca risque désormais une procédure judiciaire de la part de ses concurrents, et l’Etat une procédure au pénal pour délit de favoritisme.
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