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Exclusif. Off Investigation publie de nouvelles révélations sur la volonté de l’Etat de solliciter davantage d’argent public pour l’A69. Ce serait ainsi les contribuables de la région qui mettraient la main à la poche pour financer la viabilité de cette autoroute.
En amont de l’audience du 18 février lors de laquelle le tribunal administratif de Toulouse se penchera sur le dossier de l’A69, nous avons appris que les pouvoirs publics souhaiteraient proposer de nouvelles subventions pour cette très controversée autoroute. A l’approche du procès, des militants opposés à l’A69 ont commencé, dans la nuit du 16 au 17 février, à se mobiliser dans les arbres, en face du palais de Justice toulousain.
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Solliciter davantage le contribuable pour l’A69 ?
La rapporteure publique, une magistrate indépendante, a déjà confirmé qu’elle demanderait au tribunal l’annulation de l’autorisation environnementale nécessaire à la construction de l’A69. Elle plaide en effet l’« absence de raison impérative d’intérêt public majeur » du projet. Selon nos informations, l’Etat, les collectivités locales du Tarn, et la région Occitanie vont de leur côté faire valoir l’intérêt général en proposant de subventionner davantage l’autoroute pour baisser le prix du péage de 18%, en vue d’augmenter sa fréquentation et donc espérer qu’elle devienne un jour rentable.
Geoffrey Tarroux du collectif la Voie Est Libre« Atosca anticipe un fiasco que les contribuables vont devoir supporter […] alors que tous les budgets publics sont en baisse. »
Ce serait ainsi l’ensemble des contribuables de la région qui mettraient la main à la poche, et non le concessionnaire privé. « Le principe de base de toute concession est que le concessionnaire prenne tous les risques. Ce n’est jamais aux collectivités de la financer en cours de route. Atosca anticipe un fiasco que les contribuables vont devoir supporter. C’est du jamais vu alors que tous les budgets publics sont en baisse. C’est vraiment indécent », estime Geoffrey Tarroux du collectif la Voie Est Libre.
Pour mémoire, le concessionnaire autoroutier Atosca avait obtenu l’appel d’offres pour la construction de l’A69 en proposant une subvention publique divisée par 10 (23 millions d’euros). Pendant la commission d’enquête parlementaire sur le montage juridique et financier de l’A69, le 23 mai 2024, le représentant de l’Etat, Fabien Balderelli, sous-directeur des financements innovants de la dévolution et du contrôle des concessions autoroutières, au ministère des transports, avait expliqué sous serment : « Le montant de subvention est le premier critère […]. C’est Atosca qui assumera les conséquences de son hypothèse que les trafics soient ceux prévus par l’Etat, ou [qu’ils soient] plus faibles. Là encore c’est intégralement son risque ».
D’après nos informations, le 18 février, la puissance publique va donc se dédire et proposer à l’audience, en phase de chantier, de prendre les risques d’Atosca en multipliant la subvention de départ par sept au minimum : de 175 à 550 millions d’euros, suivant les calculs des estimations de trafics.
Des millions de tonnes de granulats* prélevés dans la région
L’autre critère d’attribution de la concession était d’insérer l’autoroute dans son environnement en ne prélevant pas de matériaux de construction extérieurs, toujours selon les propos tenus par Fabien Balderelli lors de son audition. Toutefois, grâce à de fidèles lecteurs qui nous ont contactés suite à notre premier article intitulé « Atosca, concessionnaire tricheur ? », nous avons retrouvé la carrière de quartzite qui a servi au terrassement d’un premier tronçon de l’A69, de l’été 2023 jusqu’à février 2024. Elle se situe dans l’Aude, à une trentaine de kilomètres du chantier d’Atosca. Fin 2022, les 400 âmes de la commune de Labécède-Lauragais, espéraient enfin pouvoir se débarrasser de leur carrière, un trou béant dont ils subissaient les nuisances depuis trente ans alors que son autorisation d’exploitation venait à expirer. Mais c’était sans compter l’énorme chantier de l’A69.
Un habitant de Labécède-Lauragais (Aude)« C’était infernal. Il y avait des tirs d’explosifs toutes les semaines qui faisaient trembler le sol et fissurer les maisons. »
Le 28 mars 2023, le préfet de l’Aude accordait une prolongation d’un an de la carrière à la demande de son exploitant, la société SOCAL, alors que les travaux de l’A69 venaient tout juste d’être autorisés.
Sur la petite commune de Labécède- Lauragais, la vie des habitants s’est rapidement transformée en cauchemar. « C’est à l’approche de l’été que le bal des camions a commencé », se rappelle un habitant. « C’était infernal. La route était défoncée. Ils perdaient même des gros rochers sur la route. En temps de pluie, la poussière se transformait en boue. Il y avait aussi des tirs d’explosifs toutes les semaines qui faisaient trembler le sol et fissurer les maisons. »
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A la fin de l’année, s’ouvre alors une enquête publique car SOCAL, la société qui exploite la carrière demande une nouvelle autorisation, cette fois-ci de… 10 ans pour extraire 200 000 tonnes de granulats par an. La consultation des habitants va durer un mois du 22 décembre 2023 au 22 janvier 2024 sous la direction d’un commissaire enquêteur Alain Charlotte que notre interlocuteur a rencontré. « En janvier 2024, je lui ai demandé si les nuisances allaient durer longtemps ? Il m’a répondu : ne vous inquiétez pas cela va se calmer d’ici à 2 mois car ils vont arrêter de livrer pour la construction de l’A69 ». Et cet habitant de conclure : « le commissaire enquêteur avait raison. Il n’y a plus eu de camions fin février ».
Dans le rapport de l’enquête publique, une petite synthèse du commissaire enquêteur Alain Charotte précise : « De nombreuses contributions émanent ici d’opposants à l’autoroute A69 Castres-Toulouse. Toutefois, la carrière n’a pas pour vocation unique à approvisionner ce chantier, même si elle y a participé, et l’objet de cette enquête ne concerne pas ce projet. » Contacté, Alain Charotte ne souhaite rien rajouter. En 2023, grâce en partie au chantier de l’A69, la carrière a présenté un chiffre d’affaire exceptionnel de 1,430 millions d‘euros pour vente de marchandises.
Enquête publique relative à la demande présentée par la société « SAS Société des CArrières du Lauragais ( SOCAL) », 19 février 2024.
Quels sont les liens entre SOCAL et les actionnaires de l’A69 ? L’actionnaire unique de SOCAL est la société CAZAL, une société de terrassement, qui lui assure au moins 60% de ses débouchés. Mais derrière CAZAL se cache depuis 2009, sa maison mère, le groupe NGE. Pour rappel Dans notre film-documentaire « A69, l’affaire personnelle de MACRON » nous avions révélé que NGE est actionnaire de l’A69 à hauteur de 25%.
Ainsi Géraud Guilhem est tout à la fois, « directeur opérationnel Occitanie » de NGE, dirigeant de la carrière de SOCAL et de CAZAL. Il a également présidé Atosca exploitation (la société chargée de l’exploitation et de l’entretien de l’A69) du 23 mars 2022 au 30 juillet 2024.
Toutes ces sociétés locales de NGE sont au cœur du montage opaque de l’A69. Mais aucune dépense concernant les granulats n’a été budgétée dans l’offre pour candidater à l’A69. Christine Arrighi, député écologiste de Haute-Garonne, rapporteure de la commission d’enquête parlementaire, l’a confirmé à Off Investigation. En droit, cela pourrait constituer une violation du code des marchés publics, des règles de transparence et de mise en concurrence. « J’avais retrouvé un apport des granulats de 2, 6 millions de tonnes dans le schéma régional des carrières qui ne figure pas dans le contrat de concession. J’ai demandé au préfet de me communiquer les autorisations d’extraction de l’ensemble des carrières ayant alimenté l’A69 dans le cadre de la commission d’enquête. Sans retour, je l’ai relancé il y a plus de 15 jours. Mon courrier est à ce jour sans réponse. Cela pourrait s’apparenter à ce qu’on appelle en droit du saucissonnage de marché qui est formellement interdit dans le cadre de la procédure des marchés publics », confie la parlementaire. Contactés, ni NGE, ni Atosca n’ont souhaité répondre à Off Investigation sur le volume de granulats utilisés pour l’A69.
*Les granulats sont des pierres et enrochements nécessaires à la stabilisation de la route.
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