O. Annichini
Dans les années 1970, Gabriel Matzneff fréquentait notamment Bertrand Boulin. Fils de Robert Boulin, ministre du travail de Valéry Giscard d'Estaing que l'on retrouvera mort dans un étang de la forêt de Rambouillet le 30 octobre 1979, Bertrand Boulin était, comme Matzneff, attiré par les enfants. Au point d'endurer quelques démêlés judiciaires.
J'en étais là de ma réflexion, quand feuilletant distraitement « La Prunelle de mes yeux » (mai 1986-1987), je tombe page 49 sur : « Je dîne chez Bertrand Boulin et je suis un peu en avance »... page 62 : « J'attends, sur le quai de Gesvres, au soleil, le (bus) 96 qui me conduira chez Bertrand Boulin »... page 113, dîner chez René Schérer avec Bertrand Boulin... page 146, rebelote, dîner chez René Schérer avec Bertrand Boulin et …Guy Hocquenghem, page 311, « Qui, à part Bertrand Boulin et moi, se souvient d' « Amis pour la vie », un film du cinéaste italien Franco Rossi, tourné en 1955 ? C'est un des plus beaux films sur l'adolescence de l'histoire du cinéma. »... Diable, ce Boulin aurait-il un lien de parenté avec le fameux Robert Boulin, ministre du travail de Valéry Giscard d’Estaing qui fut retrouvé mort dans des circonstances mystérieuses le 30 octobre 1979 ? Décidément, le journal de Matzneff est un fourre-tout où l'on trouve même ce que l'on ne cherche pas.
Qui est Bertrand Boulin ?
Mais à la fin des comptes, c'est qui ce Bertrand Boulin, fils de ministre, dont le nom revient régulièrement associé à ceux de Matzneff, Schérer et Hocquenghem ? A part signer des pétitions, il fait quoi dans la vie ce garçon né le 13 juillet 1948 ? Sentimentalement, après un amour de jeunesse avec Philippe, il épouse Fanny, qui lui donnera deux beaux enfants, deux filles. Professionnellement, il est éducateur spécialisé. C'est son père qui va réellement lui mettre le pied à l'étrier.
Pour Gainsbourg, 1969 est peut-être une année érotique, mais c'est aussi une année éminemment politique. En avril, le général de Gaulle, désavoué par la vox populi lors du referendum sur la réforme des institutions, fait sa valise et quitte l'Elysée. En juin, Georges Pompidou est élu président de la République. Il choisit pour premier ministre Jacques Chaban-Delmas, qui nomme au ministère de la Santé et de la Sécurité Sociale, un ancien résistant comme lui, Robert Boulin. A cette époque, la ''French Connection'' dont le port d'attache est Marseille, irrite les Etats-Unis, qui accusent la France d'être un repaire de trafiquants et un pays de drogués. En août, le président américain Nixon somme Pompidou de déclarer la guerre à ce fléau. En tant que ministre de la Santé, Robert Boulin a un rôle à jouer. Il va enrôler le soldat Bertrand.
Coke en stock
Le 11 octobre 1969, le journal « Paris-presse-L'intransigeant » (une édition spéciale du grand « France-Soir ») publie en première page une photo du ministre et de son fiston, avec comme titre : « Bertrand Boulin avec son père contre la drogue ». L'article explique le pourquoi du comment : « Les Boulin se battent ensemble contre la drogue. Dans le combat qu'il mène contre le haschisch et la marijuana, le ministre de la Santé publique et de la Sécurité sociale a trouvé un allié de poids : son fils Bertrand. » Le fils a demandé à être chargé de mission, son père a accepté. Bertrand estime être l'homme de la situation : « Si j'essaie d'intervenir dans le problème, c'est que je pense que les jeunes toxicomanes se confieront plus facilement à un ami qui a les mêmes problèmes qu'eux et porte lui aussi les cheveux longs. » Il a les cheveux longs mais pas les idées courtes. Le 4 novembre suivant, « Paris-presse-L'Intransigeant » publie le bulletin de naissance d'un comité antidrogue : « M. Bertrand Boulin, chargé de mission par son père, M. Robert Boulin, ministre de la Santé publique et de la Sécurité sociale, sur le problème des stupéfiants, annonce qu'un comité anti-drogue vient de se créer à Paris. »
Le ministère met à la disposition de Bertrand des locaux rue Tilsit, en face du drugstore des Champs-Elysées, où les drogués peuvent se rendre ou téléphoner pour évoquer leurs problèmes. En fait plus qu'un comité antidrogue, c'est un comité empathie-drogue. Le but de Bertrand est de proposer une alternative à la répression policière. Il estime que le problème n'est par d'ordre sécuritaire, mais social et sanitaire. Contrairement aux flics qui ont déterré la hache de guerre contre les toxicos, il s'agit ici de leur proposer de fumer le calumet de la paix. Bref il faut privilégier l'écoute, tendre la main plutôt que donner du bâton. En juillet 1972, Robert Boulin perd son épais portefeuille de la Santé, pour récupérer celui plus léger de ministre délégué auprès du nouveau premier ministre Pierre Messmer. Pour Bertrand, qui aime la BD et Tintin, c'est la fin de l'album « Coke en stock ».