Bétharram : comment Bayrou noie le poisson

François Bayrou
Ici la légende de l’image  | photographie ©JB Rivoire

Ukraine, retraites, Algérie, immigration… Le Premier ministre veut bien parler de tout sauf du scandale de Bétharram qui le vise désormais directement, en raison de la récente plainte d’un ancien élève de l’établissement, pour « non-dénonciation de crime et délit ».

« Heureusement qu’il y a l’Ukraine. » Cette confidence lâchée par un conseiller de l’exécutif résume bien l’état d’esprit qui prévaut au sommet de l’État, au moment où le chef du gouvernement est confronté au scandale de Bétharram, cet établissement catholique désormais ciblé par plus de 150 plaintes pour violences physiques et sexuelles commises sur d’anciens élèves.

A l’Assemblée, le Premier ministre semble retrouver des couleurs à la tribune, en revenant sur la crise internationale provoquée par l’humiliation du président ukrainien face à Donald Trump dans le bureau ovale : « Le président Zelensky n’a pas plié », a-t-il déclaré lundi 3 mars devant les députés. Sur Bétharram, le Premier ministre n’a pas plié non plus et ce, malgré les révélations de Médiapart sur les violences subies par les élèves de cet collège-lycée catholique du Béarn et les preuves de ses mensonges devant l’Assemblée nationale. François Bayrou est désormais visé par une plainte pour « non-dénonciation de crime et délit » (Midi libre, 25 février).

Sans surprise, le chef du gouvernement paie cette affaire dans les sondages avec 72 % d’opinions négatives, selon un dernier sondage Odoxa-Mascaret pour Public Sénat et La Dépêche« La critique politique devient personnelle pour le Premier ministre. Le sentiment des conversations à l’égard de François Bayrou au cours des 30 derniers jours est en moyenne négatif à plus de 60 % et atteint même des pics de 95 % d’opinions négatives après les révélations de l’affaire Bétharram », précise l’institut de sondage.

Contre feux et grosse voix

En privé, le Premier ministre fait savoir son « ras-le-bol » d’être interrogé sur Bétharram, selon un soutien du Premier ministre. Il a fait part de son déplaisir aux journalistes lors de son passage au Salon de l’agriculture, mercredi 26 février. Un journaliste de RTL, qui appartient au pool de journalistes qui suit Matignon, en a fait les frais. L’outrecuidant a été mis à l’écart par un officier de sécurité du locataire de Matignon pour avoir osé relancé sur le sujet. « On aurait aimé vous laisser faire votre travail mais on avait des consignes », a lancé ce policier, selon nos confrères de l’association de la presse ministérielle, qui condamnent « une nouvelle entrave à l’accès à l’information. »

Ce qui n’a pas empêché Paris Match de le filmer en train de caresser un agneau, ou TF1 de plaisanter sur ses préférences en matière de bière. François Bayrou n’a pas ménagé ses efforts pour dévier les révélations sur ses liens avec l’école de Bétharram, se démultipliant sur d’autres dossiers. Sur les retraites, sa proposition de conclave, promise aux socialistes en échange de la non-censure de son gouvernement, n’en finit pas dérouter les syndicats. Les voilà chargés « d’améliorer » un texte adopté en force en 2023 malgré l’opposition des trois quarts des Français.

« Une mascarade », selon Force Ouvrière, qui a claqué la porte dès le premier jour des négociations, ulcéré par la possibilité d’un référendum brandie au dernier moment par le Premier ministre. Le chef du gouvernement a aussi haussé le ton contre le régime algérien, porté par l’attentat de Mulhouse qui a fait un mort et trois blessés le samedi 22 février. François Bayrou et Bruno Retailleau ont lancé d’une grosse voix un ultimatum sur l’accord de 1968 qui donne aux Algériens certaines facilités pour entrer en France. Avant d’être recadré par Emmanuel Macron, qui lui a rappelé que la diplomatie fait partie de son domaine réservé.

« Le président soutient Bayrou comme la corde soutient le pendu »

Un familier de l’Elysée

A l’Élysée, les développements sur l’affaire Bétharram sont suivis de près. Officiellement, François Bayrou « a toute la confiance » d’Emmanuel Macron, comme il l’a déclaré devant les caméras au Salon de l’agriculture. « Le président soutient Bayrou comme la corde soutient le pendu », ironise un familier du palais sollicité par Off Investigation, qui rappelle que « l’avenir politique à moyen terme du président est lié à son Premier ministre à cause de l’absence de majorité à l’Assemblée. » Mais aussi que le chef de l’Etat avait déjà pris la défense de Gérard Depardieu, mis en examen pour viol, saluant un « immense acteur » qui « rend fière la France » et dénonçant « une chasse à l’homme » (!) avant de rétropédaler en assurant qu’il n’avait « aucune complaisance » vis-à-vis de l’acteur.

« Dès qu’il prend la parole, il s’enferre, il semble incapable de prendre ses responsabilités »

Sur le plan éducatif, Emmanuel Macron défendait aussi la possibilité d’un encadrement par des militaires pour les mineurs délinquants lors de sa campagne en 2017. Avant de lancer le SNU, épinglé par de multiples abus infligé aux lycéens par des encadrants. « C’est quand même le signe d’une vision au mieux surannée, au pire moisie des gamins », s’insurge notre source. François Bayrou, lui, a décidé de jouer à fond la carte de la victimisation : « Quand on ne peut pas abattre quelqu’un politiquement, on essaie de faire naître un scandale contre lui, et si l’on n’y parvient pas, on cherche ce qui le blesse le plus : sa femme et ses enfants », déclare le Premier ministre au Figaro le jeudi 27 février. Pas de quoi le sortir d’affaire. « Dès qu’il prend la parole, il s’enferre, il semble incapable de prendre ses responsabilités, s’agace une députée du « socle commun », qui ne veut pas être citée. Il n’y a que des coups à prendre », observe l’élue, elle-même interpellée sur les marchés dans sa circonscription.

Au gouvernement, les ministres semblent aussi avoir pris conscience de la nécessité de ne plus laisser François Bayrou s’enfoncer sur un sujet aussi grave que celui de la pédocriminalité. « Les oppositions se saisiront de tout prétexte pour appeler à la démission du gouvernement »a déclaré la ministre de la transition écologique Agnes Pannier-Runacher sur LCP le lundi 17 février, réduisant l’affaire à une « instrumentalisation politique » de La France insoumise. « La situation de la France et de l’Europe nous invite à la proportion sur ce type de sujet (…) Il faut laisser le débat public assez loin de tout ça », a ajouté la porte-parole du gouvernement Sophie Primas après le conseil des ministres, deux jours plus tard.

Dans l’angoisse d’une prochaine révélation de Mediapart…

L’entourage de Bayrou, lui, qualifie les nouvelles révélations de Médiapart sur la femme du Premier ministre à Bétharram, qui est accusée d’avoir été témoin des violences quand elle enseignait le catéchisme, de « délire » : « La seule chose qui compte est de permettre aux victimes de trouver réparation et de voir les coupables répondre de leurs actes », ajoute un proche du locataire de Matignon. « Et pas l’embêter avec une histoire vieille de trente ans », traduit un conseiller ministériel, qui voit sa ministre bien embarrassée par ce scandale. « L’effet drapeau ne dure qu’un temps », s’inquiète notre source, citant l’ouverture prochaine de la commission d’enquête à l’Assemblée lancée par LFI sur Bétharram : Il « faudra » entendre François Bayrou dans ce cadre, a déclaré jeudi 20 février sur France info le député Paul Vannier, à l’origine de sa création. « C’est un poison lent pour le gouvernement. On attend avec une certaine angoisse la prochaine révélation de Médiapart », confirme un député de l’ancienne majorité.

Dernier rebondissement en date, deux signalements de députés LFI concernant l’inaction de François Bayrou sur l’affaire Bétharram, ont été classés sans suite le 3 mars par le procureur général près de la Cour de cassation Rémi Heitz. « Après analyse, en l’état des éléments portés à la connaissance du parquet général et du résultat des vérifications effectuées, aucune infraction relevant de la compétence de la Cour de Justice de la république ne paraît susceptible d’être caractérisée », écrit le magistrat, nommé par Emmanuel Macron en 2018, en dépit des critiques.

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