BHL, président à vie du Conseil de surveillance d’Arte ?

Photomontage d’illustration faisant apparaître Bernard-Henri Lévy devant les locaux d’Arte | photomontage Abdelhakim Barkat

Philosophe multi-casquettes, l’inénarrable Bernard-Henri Lévy entame un huitième mandat comme président du conseil de surveillance d’Arte. La chaîne publique franco-allemande, qui finance régulièrement les films de BHL, est également associée à sa société de production, Les Films du Lendemain. Conflit d’intérêts ? [L’info indépendante est un bien commun. Explications en fin d’article.]

31 ans de présidence… Suffisant ? Pas pour Bernard-Henri Lévy, l’indéboulonnable philosophe qui a généreusement accepté d’être reconduit à la tête du conseil de surveillance d’Arte France. Il s’agit ni plus ni moins que de son huitième mandat, depuis sa toute première nomination en 1993… Mais aussi l’un des principats les plus longs de l’audiovisuel français, selon Capital.

Le septième mandat de Bernard-Henri Lévy auprès d’Arte arrivait pourtant à son terme sans possibilité de reconduction. En effet, les nouveaux statuts de 2019 instauraient une limite d’âge à 70 ans. Mais plutôt que de se séparer de celui que Dominique de Villepin surnommait le « Christ sans plaies », le groupe franco-allemand a préféré modifier ses statuts pour faire sauter cette fâcheuse limite d’âge, et empêcher son départ. La pirouette d’Arte pour maintenir BHL à la tête de son conseil de surveillance interroge à plusieurs titres. « C’est un poste semi-honorifique, semi-mafieux », estime un journaliste ayant déjà collaboré avec la chaîne.

« Conflit d’intérêts manifeste »

Ce privilège exceptionnel a d’ailleurs été dénoncé le 22 octobre par le député Aymeric Caron (apparenté LFI), lors d’une commission parlementaire consacrée au budget sur l’audiovisuel public, en présence de la ministre de la Culture, Rachida Dati.

« Dans un État de droit, il est inadmissible qu’une personne présidant le conseil de surveillance d’une entreprise puisse bénéficier du soutien financier répété de cette même entreprise », dénonce-t-il, qualifiant la situation inédite qui profite à Bernard-Henri Lévy de « conflit d’intérêts manifeste ». Avant de résumer l’événement comme un « privilège d’Ancien Régime » – une formule employée par Serge Halimi et Pierre Rimbert dans un article du Monde diplomatique consacré au sujet –, et d’appeler Bernard-Henri Lévy à démissionner de ses fonctions.

Interpellée par le député parisien sur la possibilité d’un conflit d’intérêts, la ministre de la Culture lui a proposé d’« écrire au président du conseil de surveillance » en vue de « savoir ce qu’ils font ». « Par définition, un conflit d’intérêts me choque, vous avez raison », concède la ministre, elle-même en examen depuis 2021 pour trafic d’influence dans l’affaire Carlos Ghosn (France info, 19 juin 2024).

Le Conseil de surveillance, cet organe qui nomme le Directoire de la chaîne

BHL n’a lui-même jamais caché son affection pour Arte. En 2014, il confiait déjà à L’Opinion que « Arte est une des rares choses qui fonctionnent en Europe ». Il ne s’agissait à l’époque que de son sixième mandat à la tête du conseil de surveillance de la chaîne. Alors que Bernard-Henri Lévy rempile pour un huitième mandat, sur quoi porte cette présidence qui s’éternise ?

Le Conseil de surveillance est composé de quinze membres, un représentant de l’État et trois représentants élus par les salariés, indique Arte sur son site Internet. Il délibère à propos des grandes orientations économiques et stratégiques d’Arte France et contrôle sa gestion, au cours de réunions collégiales prévues trois ou quatre fois chaque année. C’est aussi lui qui nomme le Directoire, l’organe de direction. Tout un organigramme dont BHL n’est finalement que le primus inter pares, d’autant plus qu’il ne recevrait pas de rémunération formelle pour son poste.

Le philosophe pèse cependant lourd dans certaines décisions. Il a par exemple été un fervent soutien de la nomination de Bruno Patino à la présidence d’Arte en 2020, ou auparavant à la reconduction de Jérôme Clément. Ce dernier a d’ailleurs lui-même confirmé la « confiance et l’amitié que M. Levy lui a toujours témoigné, amitié ininterrompue de 17 ans, au cours de laquelle il a toujours pu compter sur M. Levy, sur sa présence et sur son aide pour résoudre chaque difficulté », relève Capital.

BHL, une carrière cinématographique multi subventionnée

Heureusement pour BHL, qui ne saurait être à la fois juge et partie, la chaîne dont il préside le conseil de surveillance a généreusement consenti à financer massivement plusieurs des films qu’il a écrits ou réalisés. Il s’agit successivement du fameux « Le jour et la nuit » (à hauteur de 172 560 euros d’argent public), « Le serment de Tobrouk » (200 000 euros), Peshmerga » (250.000 euros), « Irak : la bataille de Mossoul » (90 000 euros), « Princesse Europe » (200 000 euros), et « Pourquoi l’Ukraine » (100 000 euros). En plus de ces projets personnels, Arte a aussi cofinancé douze productions des Films du Lendemain, la société de BHL. Des projets artistiques qui n’auront malheureusement pas déchaîné les foules : parmi ces douze films, les deux tiers n’ont jamais dépassé les 100 000 entrées en salles. Pour autant, Arte n’a jamais cessé de faire confiance à BHL pour l’accompagner dans ses aventures cinématographiques.

Face aux critiques, le groupe franco-allemand temporise. « Les règles ont été alignées sur les dispositions de droit commun du Code du commerce », justifie une porte-parole d’Arte France auprès de L’Informé. Par ailleurs, la limite d’âge vigoureusement enjambée par BHL ne serait qu’une spécificité française. C’est donc en toute indépendance que ces statuts se seraient vus modifiés. Pour Bernard-Henri Lévy, le clap de fin à la présidence du conseil de surveillance d’Arte n’est toujours pas d’actualité.

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