En catimini, le ministre Éric Dupond-Moretti veut légaliser les logiciels espions pour infecter les téléphones portables de « cibles » et permettre aux policiers d’activer à distance l’écouteur et la caméra de ces derniers, les transformant en de véritables mouchards 24 heures sur 24. Deux ans après le scandale Pegasus, la justice française s’inspire donc des pratiques illégales des services de renseignement du monde entier. Pour l’instant, seuls les avocats ont dénoncé une telle dérive.
Début mai, le ministre Éric Dupond-Moretti a présenté au conseil des ministres son projet de loi d’orientation et de programmation de la justice. Sur le papier, certaines dispositions sont des véritables cadeaux fait à l’institution judiciaire. Cette future loi doit ainsi permettre la création de 10 000 postes supplémentaires pour la justice, ainsi que les revalorisations salariales promises aux magistrats, surveillants pénitentiaires et greffiers. À la clé, il est également prévu… 15 000 places de prison.
Perquisitions de nuit
Mais ce projet de loi, qui doit être présenté en juin juillet au Parlement, est bien plus que cela. Il prévoit ainsi le remaniement en profondeur de la procédure pénale comme nous l’apprenait Le Monde au début du mois. Et comme souvent, le diable se cache dans les détails. Et il faudra attendre le 17 mai pour qu’une voix forte contre le texte présenté se fasse entendre. Ce jour-là, le Conseil de l’Ordre des avocats de Paris multiplient les critiques dans un communiqué, déplorant notamment le renforcement des « pouvoirs des enquêteurs et du Parquet au détriment du respect de la vie privée et des garanties fondamentales des droits de la défense ». C’est ainsi que les perquisitions de nuit sont étendues dans des conditions telles que « le principe de leur prohibition devient inexistant », estime l’Ordre des avocats, qui regrette également « le recours à des moyens de télécommunication pour les interventions fondamentales de l’interprète et du médecin notamment en garde à vue ».
Activer les micros et caméras de nos téléphones portables
C’est à l’article 3 du projet de loi que le scandale arrive. En effet, cet article de la honte prévoit l’activation à distance de tout appareil électronique dont les téléphones portables en vue d’une captation de son et d’image. Il ne s’agit plus ici seulement d’écoutes téléphoniques, ou de captation de SMS. Non, il s’agit de transformer tous les ordinateurs et autres smartphones en véritables mouchards capables d’espionner toutes les « cibles » souhaités 24 heures sur 24, au coeur de leur intimité. George Orwell en avait fait le coeur de sa dystopie de 1984, aujourd’hui la technologie le permet. Et le gouvernement s’apprête à légaliser cette pratique de captation digne de Big Brother dans un cadre judiciaire dans la plus totale indifférence. Le projet de loi prévoit ainsi « l’extension des techniques spéciales d’enquête pour permettre l’activation à distance des appareils connectés aux fins de géolocalisations et de captations de sons et d’images ». Lorsque les nécessités de l’enquête l’exigent, le juge des libertés et de la détention (à la requête du procureur) ou le juge d’instruction pourront décider « l’activation à distance d’un appareil électronique à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou possesseur aux seules fins de procéder à sa localisation en temps réel », mais aussi donc, pour capter les sons et les images… Début mai, Le Monde soulignait un peu rapidement que « ces mesures ne peuvent pas concerner les parlementaires, les journalistes, les avocats, les magistrats et les médecins. » Nous voilà rassurés…
Les journalistes désormais espionnables officiellement
En réalité, les choses sont beaucoup moins claires, comme on peut s’en apercevoir à la lecture de l’avis du Conseil d’État sur ce projet de loi, qui pointe « une atteinte importante au droit au respect de la vie privée », et qui souligne que les données collectées ne pourront pas être retranscrites seulement « s’il apparaît qu’au moment de la captation l’appareil se trouvait dans un lieu dans lequel la mise en place de dispositifs techniques de captation d’images et de sons est prohibée par le dernier alinéa de l’article 706-96-1du même code (cabinet ou domicile d’un avocat, cabinet d’un médecin, locaux d’une entreprise de presse, d’une juridiction…) ». Est on seulement journaliste en étant situé dans les locaux d’une entreprise de presse ? Une bien drôle conception du métier…