BNP et Crédit agricole proposent d’investir dans l’armement israélien

BNP Crédit agricole
BNP Paribas et le Crédit Agricole proposent à leurs clients d’investir dans l’armement israélien | Photomontage d’illustration

Alors que l’armée israélienne poursuit sans discontinuer son offensive sur la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023, Amundi, société de gestion détenue à 68,9% par le Crédit Agricole, et BNP Paribas, ont investi pour leurs clients plusieurs millions d’euros dans Elbit Systems, entreprise israélienne produisant des armes et munitions utilisées à Gaza.

Quand certains meurent sous les bombes, d’autres s’enrichissent en les vendant. Depuis le déclenchement de la guerre à Gaza le 7 octobre 2023, BNP Paribas et Amundi, société de gestion financière détenue à 68,9% par le Crédit Agricole, ont investi plusieurs millions d’euros dans Elbit Systems, plus grande entreprise israélienne d’armement, et dont les armes ont été identifiées dans plusieurs attaques ayant causé la mort de civils à Gaza. C’est ce qui ressort des données officielles que les acteurs financiers doivent déclarer tous les trois mois auprès de la Securities and Exchange Commission, l’équivalent américain de l’autorité des marchés financiers. D’après ces documents publics, que nous avons étudiés, au 30 septembre 2024,
BNP Paribas détenait pour 678 000 dollars (651 000 euros) d’actions au sein d’Elbit Systems. De son côté, Amundi était
actionnaire d’Elbit Systems à hauteur de 2.96 millions de dollars (2.84 millions d’euros).


Historique des actions détenues par Amundi au sein d’Elbit Systems

Ces investissements au sein d’Elbit Systems sont récents. Entre la fin de l’année 2022 et le milieu de l’année 2024, aucune des trois filiales de BNP Paribas que nous avons identifiées ne détenait d’actions dans l’entreprise d’armement. La banque avait, semble-t-il, vendu les quelques milliers de dollars d’actions Elbit qu’il lui restait en fin d’année 2022. Les premiers achats d’actions Elbit Systems par la BNP ont donc été réalisés plusieurs mois après le déclenchement de la guerre à Gaza, plus précisément entre le 31 mars et le 30 juin 2024. Amundi, de son côté, était déjà actionnaire d’Elbit Systems avant le 7 octobre 2023. Mais la société de gestion, détenue en majorité par le Crédit Agricole, a drastiquement accru ses investissements depuis le déclenchement de la guerre à Gaza. Au 30 septembre 2023, soit une semaine avant l’attaque du Hamas contre Israël, Amundi détenait 2 559 actions chez Elbit, pour une valeur de 542 000 dollars (520 000 euros). Trois mois plus tard, alors que la guerre faisait rage dans l’enclave palestinienne, Amundi déclarait 8 418 actions, pour un total de 1,72 million de dollars (1,65 million d’euros). Depuis, l’entreprise poursuit sa politique d’investissement dans l’armement israélien. Fin septembre 2024, Amundi détenait 14 099 actions Elbit, pour un montant total de 2,96 millions de dollars (2,84 millions d’euros).

Des investissements faits pour le compte de clients…

Ces investissements ont-ils été faits par BNP Paribas et Amundi pour le compte de clients, ou bien en fonds propres, c’est-à-dire pour leurs propres bénéfices ? BNP Paribas nous a fait savoir par mail que « ces actions ne sont pas détenues pour le compte de BNP Paribas et ne résultent pas non plus de sa décision. BNP Paribas permet à ses clients d’accéder aux marchés boursiers […] et dans ce cadre applique les ordres de clients. Les actions dont il est question sont le résultat de couvertures de risque réalisées pour le compte de clients. Par exemple, cela peut prendre la forme d’une reproduction à l’identique d’indices boursiers construits par des producteurs d’indices boursiers et intégrant de nombreuses entreprises. »

De son côté, Amundi détenait, au 31 mars 2024, au moins 519 000 dollars d’actions Elbit Systems au sein de deux produits d’investissement proposés à ses clients, d’après un index publié par l’organisme financier, qui a mystérieusement disparu de son site internet peu de temps après que nous les ayons questionnés par mail à ce sujet. À la même date, le montant total des actions Elbit Systems déclarées par Amundi aux autorités financières américaines atteignait pourtant 1 809 000 dollars, soit une différence de 1 290 000 dollars. Ces actions ont-elles été achetées pour le compte de portefeuilles confidentiels de clients, ou pour les fonds propres d’Amundi ? Joint par téléphone, le responsable des relations presse de l’entreprise nous indique que « de manière générale, Amundi n’investit jamais pour compte propre. Tous les investissements faits le sont dans le cadre de fonds, pour des clients qui nous confient l’argent, afin que nous investissions pour eux selon leurs préférences. » Sollicité par la suite à plusieurs reprises pour obtenir une interview avec un représentant d’Amundi à même de nous donner plus de détails, le responsable presse nous a fait savoir que « Amundi ne fait pas de commentaire sur ce sujet ».

[Extrait de l’index Amundi recensant les titres détenus par le fonds de gestion au 31 mars 2024 dans le cadre de produits d’investissement proposés à ses clients. Depuis que nous avons questionné Amundi à propos de leurs investissements au sein d’Elbit Systems, cet index a disparu de leur site internet.]

En violation du droit international

Qu’ils soient faits en fonds propres ou pour le compte de clients, ces investissements constituent une violation du droit international, selon Ghislain Poissonnier, magistrat et vice-président de l’association Juristes pour le respect du droit international : « Investir dans Elbit Systems est illégal pour deux raisons. Premièrement, car la Cour international de justice (CIJ), dans son ordonnance du 26 janvier 2024, a statué qu’il existe un risque plausible de génocide à Gaza. À partir de là, il y a une obligation de prévention du génocide, qui impose aux États, mais aussi aux entreprises, y compris françaises, d’agir de manière à ce que leurs activités ne puissent pas participer d’une manière ou d’une autre à la commission de ce crime. Deuxièmement, Elbit Systems fournit une part importante de l’ossature qui permet à l’armée israélienne d’occuper Gaza, la Cisjordanie, et Jérusalem-Est. Or, dans un avis rendu le 19 juillet 2024, la CIJ a dit que cette occupation est illégale. Par conséquent, toute activité économique, financière ou autre au profit d’un acteur de cette occupation est illégale aussi. Les acteurs financiers ne devraient donc pas proposer ce type d’investissements. En revanche, en cas de procès, au moment de déterminer la peine ou le montant des dommages et intérêts, le fait que ces investissements aient été faits en fonds propres ou pour le compte de clients pourrait être pris en compte par les juges. Si c’est pour le compte d’un client, la banque pourra se défendre en affirmant qu’elle répondait uniquement à une demande. »

Au-delà du droit international, ces investissements pourraient également contrevenir au droit français. Selon Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer armes et conflits armés pour Amnesty International, la loi de 2017 sur le devoir de vigilance peut s’appliquer à des cas de ce type. « Les entreprises ont la responsabilité de s’assurer que leur activité ne va pas contribuer à des violations graves du droit international humanitaire, notamment en temps de conflits armés. Cela signifie qu’elles doivent mettre en place tout ce qui est nécessaire, en termes de mesures internes, pour s’assurer qu’elles ne vont pas alimenter ces violations. Elles doivent, par exemple, éviter de faire du business avec des acteurs dont il est connu qu’ils participent à ce type de violations du droit international. » Malgré nos demandes répétées, Amundi a refusé de répondre à nos questions sur les implications juridiques de ses investissements au sein d’Elbit Systems. Nous restons à ce jour en attente d’une réponse de BNP Paribas.

Elbit Systems : champion des crimes de guerre

De toute évidence, l’entreprise Elbit Systems est impliquée dans les violations du droit international commises à Gaza par l’armée israélienne. Le 1er août 2024, le ministère israélien de la Défense a annoncé avoir conclu un contrat d’un montant de 345 millions d’euros avec l’entreprise pour la fourniture d’armes et de munitions. Selon les autorités israéliennes, l’objectif est de « garantir un approvisionnement régulier en matériel essentiel pour la force et la longévité de Tsahal [l’armée israélienne, NDLR] au cours des opérations en cours et à venir ». Comprenez : poursuivre la guerre à Gaza coûte que coûte.

Avant même ce nouveau contrat, les armes produites par Elbit avaient déjà largement été utilisées par Israël dans le cadre de sa guerre destructrice à Gaza. S’il est difficile de connaître l’étendue des potentiels crimes de guerre commis avec des armes Elbit, dans un certain nombre de cas, l’implication de l’entreprise a été formellement identifiée dans des bombardements meurtriers. C’est par exemple le cas du raid aérien ayant causé la mort de sept humanitaires de l’ONG américaine World Central Kitchen, le 1er avril 2024. D’après le média israélien Haaretz, les véhicules de l’ONG, clairement identifiés comme tels, ont été ciblés par un drone Hermes 450, produit par Elbit Systems. Moins de trois semaines plus tard, le 19 avril, neuf personnes, dont six enfants, sont tuées dans un bombardement israélien. Selon Amnesty International, qui précise n’avoir trouvé « aucune preuve de la présence de cibles militaires dans ou autour des lieux ciblés », la bombe utilisée est une MPR 500, un modèle produit par l’entreprise IMI, propriété d’Elbit Systems.

Cet usage massif d’armes produites par Elbit dans le cadre de la guerre à Gaza a entraîné une vague d’actions militantes à l’encontre de l’entreprise. Au Royaume-Uni, un groupe d’activistes nommé Palestine Action multiplie les attaques contre les usines produisant des pièces pour des armes Elbit. Les militants de l’organisation s’en prennent également aux banques et assurances investissant dans l’armement israélien. Après de multiples attaques contre des agences de la banque Barclays, cette dernière a fini par vendre les 3,4 millions de dollars d’actions qu’elle détenait au sein d’Elbit Systems.


Dans la nuit du 11 au 12 septembre 2024, les activistes du groupe Palestine Action ont pris pour cible une dizaine d’agences Barclays au Royaume-Uni. Crédit photo : Palestine Action.

En 2018, l’assureur français Axa avait fait de même, cédant à une revendication du mouvement pro-palestinien Boycott désinvestissement sanction (BDS). L’organisation a désormais inscrit BNP Paribas dans sa liste des entreprises à boycotter, non pas en raison des achats d’actions au sein d’Elbit Systems, dont nous révélons publiquement l’existence par cet article, mais parce que la banque a prêté au fil des années des milliards de dollars à des entreprises impliquées dans la colonisation de la Cisjordanie. Les activistes de BDS reprochent également à la BNP d’avoir participé à hauteur de deux milliards de dollars à une levée de fonds organisée par l’État israélien, afin de soutenir financièrement son effort de guerre. En outre, plusieurs autres banques françaises, dont la Banque Populaire, la Caisse d’Épargne, la Société Générale et le Crédit Agricole, ont été épinglées pour leurs liens financiers avec des entreprises participant activement à la politique israélienne de colonisation des territoires palestiniens.

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