Reprenant le brûlant dossier du budget que lui a laissé son prédécesseur Gabriel Attal, le nouveau chef du gouvernement Michel Barnier n’a toujours pas transmis certains documents qui lui sont demandés par la Commission des finances de l’Assemblée nationale. Son président, le député insoumis Eric Coquerel, dénonce le franchissement d’« une ligne rouge ».
Depuis son investiture en tant que Premier ministre, Michel Barnier est engagé dans un conflit qui l’oppose aux députés Eric Coquerel (LFI) et Charles de Courson (LIOT), respectivement président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale et rapporteur général du budget. Les deux parlementaires réclament au chef du gouvernement la possibilité de consulter les lettres-plafonds, des documents qui fixent les crédits pouvant être octroyés à chaque ministère dans le cadre du prochain budget de l’État.
Les lettres-plafonds, des documents clés pour comprendre le budget du gouvernement
En substance, les lettres-plafonds détaillent les crédits à allouer à chaque ministère pour leurs futures missions. Elles leur permettent par exemple de chiffrer le nombre maximum d’emplois à pourvoir. Négociées entre les différents portefeuilles et Bercy, elles sont signées par le Premier ministre et donnent une idée des directions privilégiées par le chef du gouvernement pour défendre son budget devant le Parlement. Mais, initialement envoyées le 20 août par Gabriel Attal aux différents ministères, avec déjà plusieurs semaines de retard (BFM, 21 août), ces lettres n’ont toujours pas été communiquées aux parlementaires. Selon le ministère de l’Economie et des Finances contacté ce jour par Off-investigation, « les lettres ne sont pas finalisées ». « Je pense que le nouveau chef du gouvernement n’a pas fini de cadrer son budget et ne peut donc pas encore [donner de consignes] à ses ministres », confie notre interlocuteur.
Bien que non finalisés, ces documents n’en demeurent pas moins primordiaux pour le Président de la Commission des Finances et le Rapporteur général du budget dans le contexte politique actuel. Les débats parlementaires sur la distribution du budget s’annoncent en effet houleux au regard de la nouvelle composition de l’Assemblée nationale, dont une partie appelle à réduire les dépenses publiques tandis que d’autres déplorent un manque de recettes. Le temps presse pour les députés qui doivent composer avec la nomination plus que tardive d’un Premier Ministre. Michel Barnier a d’ores et déjà annoncé vouloir s’appuyer sur le contenu des lettres-plafonds signées par son prédécesseur pour constituer sa proposition de budget, qu’il envisage présenter à l’Assemblée Nationale le 9 octobre. Cependant, alors que la France est de retour dans une procédure de la Commission européenne pour déficits publics excessifs (Le Monde, 26 juillet), le chef du gouvernement a jugé la situation budgétaire du pays « très grave » (AFP, 18 septembre).
« C’est Matignon qui décide, ce sont des choix politiques »
MM. Coquerel et de Courson ont tenté d’obtenir par différents moyens les lettres-plafonds. Faute d’y avoir eu accès lors d’une première visite à Matignon le 17 septembre, les deux députés se sont déplacés le lendemain dans les locaux du ministère de l’Economie et des Finances, auxquels Bruno Le Maire a récemment fait ses adieux (Le Point, 12 septembre). Mais là encore, après y avoir passé une demi-heure, Eric Coquerel et Charles de Courson sont repartis bredouille. Selon l’AFP, la directrice du Budget s’est toutefois engagée à leur faire parvenir un « tiré à part », document contenant certains éléments sur les préparatifs des dépenses par ministère. Bercy assure à Off-investigation avoir déjà fait parvenir les documents en question au cabinet du Premier ministre. « C’est Matignon qui décide, ce sont des choix politiques. On a un ministre qui n’est plus vraiment là et qui attend juste d’être remplacé, ce n’est pas lui qui a écrit et envoyé les lettres », nous explique notre interlocuteur.
Charles de Courson« la séparation des pouvoirs, c’est ne pas refuser au législatif les moyens d’exercer son pouvoir »
Selon le gouvernement, rien ne le contraint à communiquer le contenu des lettres-plafonds au Parlement. Pour autant, Eric Coquerel et Charles de Courson insistent sur leur droit à y avoir accès, en référence à l’article 57 de la loi organique relative aux finances publics, qui stipule que « tous les renseignements et documents d’ordre financier et administratif qu’ils demandent […] doivent leur être fournis. ». Les élus insistent également sur leur droit constitutionnel en tant que citoyen à pouvoir « constater […] la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi », selon l’article 14 de la Déclaration de l’homme et du citoyen.
« Une ligne rouge a été franchie, Bercy nous refuse l’accès aux lettres plafonds, sur ordre du directeur de cabinet du Premier ministre. Une première sous la Vᵉ République en dépit de notre droit constitutionnel », a déploré Eric Coquerel ce 18 juillet après son passage à Bercy.
🔴 Une ligne rouge a été franchie !
— Eric Coquerel (@ericcoquerel) September 18, 2024
Bercy nous refuse l’accès aux lettres plafonds, sur ordre du directeur de cabinet du Premier ministre. Une première sous la Vᵉ République en dépit de notre droit constitutionnel. pic.twitter.com/v8gaqwyRr4
S’exprimant la veille sur LCP à propos des droits constitutionnels du Parlement, Charles de Courson s’est inquiété d’une mise en péril des droits de regard des rapporteurs spéciaux. Pour le député du groupe LIOT, « la séparation des pouvoirs, c’est ne pas refuser au législatif les moyens d’exercer son pouvoir ».
Refus de transmettre les lettres-plafonds : "On ne peut pas lâcher sur des droits constitutionnels du Parlement", prévient @C_deCourson, qui craint l'instauration d'un "précédent".#DirectAN #Budget pic.twitter.com/1aNGuzDnwv
— LCP (@LCP) September 17, 2024
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