Arnaud Murati
Depuis le 1er janvier 2023, les pièces de carrosserie et les vitrages des voitures, jusqu’alors monopole des constructeurs, sont censés être ouverts à la concurrence. Rien ne se passera en réalité avant 2033, tant Stellantis et Renault sont parvenus à obtenir un consensus qui leur est favorable. Au grand dam des consommateurs !
Un phare cassé lors d’un accrochage ? Un pare-brise trop fissuré pour passer le contrôle technique ? Le 1er janvier dernier, l’article 32 de la loi « climat et résilience », votée en août 2021, est entré en application : il prévoit que les constructeurs automobiles ne sont désormaisplus les seuls dépositaires du monopole du vitrage dans l’automobile. À compter de cette année, les« équipementiers ayant fabriqué la pièce d’origine » ont eux aussi le droit de concurrencer les constructeurs.
Explication : jusqu’à ce jour, la loi protégeait de la libre concurrence toutes les pièces visibles d’une auto : non seulement tous les éléments de carrosserie, mais aussi le vitrage et les optiques. Ainsi, s’il est possible de trouver des pièces dites adaptables pour tous les autres éléments d’une voiture (pièces mécaniques, d’habitacle, etc), les constructeurs se réservaient en revanche le monopole de la fourniture des pièces visibles.
Renault, Peugeot et autres ne réalisent pourtant pas de vitrage ni de phares. Ils font appel à des équipementiers (Valeo, Saint-Gobain…) pour leur fabriquer en exclusivité les éléments dont ils ont besoin. Cette exclusivité a maintenantdu plomb dans l’aile avec la nouvelle loi : les équipementiers qui ont conçu et produit une pièce pour le compte de tel ou tel constructeur ont désormais le droit de proposer à la vente la même pièce aux consommateurs.
Cet aménagement législatif est vécu comme une victoire par diverses associations qui œuvrent dans le monde de l’automobile. Il aura en effet fallu près de 40 ans de combat à la Fédération des distributeurs de l’automobile (Feda) pour en arriver là, de l’aveu de Mathieu Séguran, son délégué général : « En tant que fédération, nous sommes satisfait » indique-t-il, « mais en réalité, nous sommes entre deux eaux. Le travail n’est pas terminé, nous voulons une harmonisation des règles de concurrence au niveau européen ».
Le monopole sur les pièces, une exception française
Il convient en effet de bien noter que la France est quasiment le seul pays d’Europe où le secteur des pièces de carrosserie n’est pas libéralisé. Même en Allemagne, où l’industrie automobile nationale a encore plus de poids qu’en France, le marché est libéralisé de fait, à défaut de l’être dans les textes législatifs.
Pourquoi cette « exception française » ? Parce que depuis des dizaines d’années, Renault et Peugeot (aujourd’hui Stellantis) ont usé de tous les subterfuges possibles pour tenter de prouver aux gouvernements successifs qu’une libéralisation des pièces de carrosserie mettrait en péril leurs droits de propriété intellectuelle sur le dessin des pièces. Et donc leur rentabilité et in fine leur capacité à employer, soi-disant.
En 2012, l’Autorité de la concurrence s’était (enfin) emparée du sujet. Elle avait rédigé un rapport explosif balayant les arguments des constructeurs en faveur du monopole : « Les craintes émises par les constructeurs français quant aux risques pour leur compétitivité et pour l’emploi apparaissent de plus nettement surestimées » avait écrit l’Autorité, « les pertes de parts de marché devraient se faire principalement au profit de ces équipementiers, comme le suggère par exemple l’expérience du Royaume-Uni, avec un effet neutre sur l’emploi, puisque ces équipementiers continuent de fabriquer les pièces, mais ont en outre la possibilité de les commercialiser directement. »