Fin janvier, la direction de la télé publique a fait interrompre une enquête sur la nouvelle ministre de la culture Rachida Dati et annulé la rediffusion d’une autre sur Alexis Kohler. Officiellement, Delphine Ernotte "suspend les portraits politiques durant les européennes". Mais en coulisse, elle manoeuvre pour être nommée à la tête d’une holding de l’audiovisuel public.
Le 25 janvier 2024, Le Monde révélait qu’Alexandre Kara, directeur de l'information de France Télévisions, avait demandé aux équipes des magazines d’info de “faire une pause dans leurs investigations concernant les portraits de responsables politiques d’ici aux élections européennes”, qui auront lieu le 9 juin prochain.
Les journalistes concernés ? Ceux de “13h15“ mais aussi d’“Envoyé Spécial“ et de “Complément d’enquête“, magazines respectivement présentés par Laurent Delahousse, Élise Lucet et Tristan Waleckx. Selon Le Monde, rien que pour “Complément d’enquête”, ce “moratoire” imposé par la direction de France Télévisions aboutit à reporter notamment les portraits envisagés du premier ministre, Gabriel Attal, mais aussi de la ministre de la culture, Rachida Dati. Même la rediffusion d’un “Complément” sur Alexis Kohler, Secrétaire général de l’Élysée et bras droit d’Emmanuel Macron (initialement diffusé en mars 2023 et qui devait être rediffusé mi-février), est reporté sine die.
Alors que “Complément d’enquête“ a passé les dernières saisons à réaliser des portraits politiques critiques de personnalités de l’opposition (Sophia Chikirou, députée LFI de Paris, Sandrine Rousseau, députée EELV de Paris, ou plus récemment Jordan Bardella, le président du Rassemblement National), le fait que l’émission présentée par Tristan Waleckx se voit interdire de lancer ou rediffuser des portraits susceptibles d’égratigner des macronistes a été perçu par des figures de l'opposition comme l'avocat ex-Rassemblement National Gilbert Collard, comme une forme de collusion entre les équipes d’Ernotte et la macronie.
"Autocensure et investigation en veilleuse"
Cette décision de suspendre les portraits politiques a également été mal vécue par la rédaction de France 2. Dès le 26 janvier, soit le lendemain de la révélation du “moratoire“ par Le Monde, le syndicat National des Journalistes de France Télévisions montait au créneau dans un communiqué sobrement nommé “Élections européennes : autocensure et investigation en veilleuse“ :
"L’investigation serait donc un obstacle à l’expression démocratique sur nos antennes ? Des politiques, malmenés dans des enquêtes de qualité, menaceraient de ne plus venir dans nos JT ou nos émissions politiques ? Et alors ? C’est à nous de plier, de courber l’échine de peur de déplaire au personnel politique ?”.
Et les représentants des journalistes de rappeler que ce rétrécissement de leur liberté éditoriale intervient après une grave mise en cause de leur travail par Emmanuel Macron : « Déjà le président de la République, sur le plateau de “C à vous” dans un élan trumpiste de post-vérité, avait mis en doute le travail de “Complément d’enquête” sur Gérard Depardieu ! Maintenant l’attaque vient de l’intérieur, du directeur de l’information (...) Ce qui est en balance et dans les cartons : une enquête sur Rachida Dati, un portrait de Gabriel Attal et une rediffusion de celui d’Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée. Alors, ce moratoire est-il décidé par la direction de l’information, ou exigé par les ministères de tutelle ? Informer les citoyens, ce n’est pas faire de la propagande. Enquêter, c’est éclairer aussi le chemin qui mène aux urnes. Les arguments peu convaincants du directeur de l’information nous inquiètent au plus haut point ».