Le 28 septembre, s'ouvrira à Paris le procès d'Adecco, géant du travail temporaire, qui avait discriminé racialement ses intérimaires entre 1997 et 2001. Samuel Thomas, président de la Maison des potes, raconte à Off Investigation comment il avait contribué à obtenir ce procès exceptionnel
Thierry Vincent : Qu'est-ce qui est précisément reproché à ADECCO dans cette affaire ?
Samuel Thomas : D'abord, il faut se représenter ce qu'est Adecco. C'est une grande multinationale qui en France gère plus d'un million d'intérimaires, qui est aussi très puissante en Belgique et présente dans beaucoup de pays. Son rôle est de fournir des intérimaires à des entreprises qui veulent remplacer quelqu'un au pied levé, dans le cas d'un arrêt maladie par exemple. Le client, l'employeur donc, lui donne des consignes sur les profils recherchés. Normalement, les critères doivent se limiter aux compétences. Mais dans le cas présent, ADECCO a obéi à des ordres de discrimination de la part d'entreprises dans le domaine de l'hôtellerie-restauration. Cela veut dire que pour pouvoir être sûr de satisfaire un ordre raciste, ils ont opéré un fichage selon la couleur de peau. Pour simplifier, quand une entreprise leur dit « je ne veux pas de noirs », ils s'arrangeaient pour envoyer un blanc. Pour cela, il fallait ficher les Noirs.
Thierry Vincent : Mais comment opéraient-ils ce fichage ? Ils mentionnaient explicitement que tel ou tel candidat était noir ?
Samuel Thomas : C'était plus subtil, ils avaient une sorte de code, et classaient les intérimaires selon la terminologie PR1, PR2, PR3 et PR4. Théoriquement, c'était PR pour ”présentation”, classée de 1, la meilleure, à 4, la plus mauvaise. C'est la défense d'Adecco. Mais l'enquête et de nombreux témoignages ont montré qu'en réalité, PR1 désignait les blancs avec une bonne présentation, PR2 les blancs avec une mauvaise présentation. PR3 était peu utilisé ou alors pour les Maghrébins. Et PR4, de nombreux témoins l'ont confirmé, c'était pour les noirs.
Le but était de pouvoir facilement faire le tri parce que les consignes de discrimination étaient données en même temps que la commande. Et il fallait faire vite. C'est à dire que pour remplacer quelqu'un qui est absent dans une cuisine, qui est absent à la plonge, qui est absent dans le service, il faut trouver quasiment dans l'heure qui suit. Et donc pour éviter d'avoir à vérifier la photo d'identité de la personne, ils avaient besoin d'un code. Ceux qui avaient un nom à consonance africaine comme Abdoulaye Coulibaly, ils n'avaient pas besoin normalement d'être codifiés. Mais celui qui s'appelle François Cabrimol, pour s'assurer qu'il n'est pas Noir de Guadeloupe ou de Martinique, il y avait ce code "PR4".
Et donc ils avaient systématisé le fichage des noirs, les Antillais, les Haïtiens, les Africains avec ce code PR4. Ils obéissaient à des ordres illégaux de clients qui leur disaient je veux un « BBR ». C'est un autre code qui a été utilisé, ça voulait dire « bleu blanc rouge », un blanc en clair. À l'époque, dans les années 2000, on est encore dans la période où Jean-Marie Le Pen organisait la fête du Front national qui s'appelle la fête des BBR, la fête des Bleu Blanc Rouge et ce code BBR était devenu le code de la discrimination raciale en entreprise.