Au lendemain du vote d'une loi dite « plein emploi » imposant 15 heures d’activité aux bénéficiaires du RSA, syndicats et gilets jaunes se mobilisent dans toute la France. Ils protestent notamment contre le harcèlement des chômeurs par l'Etat, un phénomène documenté récemment par l'ouvrage collectif « Chômeurs vos papiers ».
Écrit par cinq chercheurs (dont Hadrien Clouet, député de la France insoumise), « Chômeurs vos papiers ! » (éditions Raisons d'agir) décortique les mécanismes de contrôle des chômeurs par l'État. S'appuyant sur leurs travaux sur le chômage depuis les années 2000, l'ouvrage repose également, et c'est là une originalité rare, sur une cinquantaine d'entretiens qualitatifs d'agent(e)s de Pôle emploi. À l'arrivée, un constat : loin d'encourager un retour à l'emploi, le contrôle sur les chômeurs, qui vire parfois au harcèlement, vise surtout à les pousser à sortir des statistiques et à exercer une pression à la baisse sur l'ensemble des salaires.
L'histoire du contrôle des chômeurs est aussi ancienne que le chômage lui-même. Ce terme, apparu à la fin du XIXe siècle, est défini comme la privation involontaire d'emploi. Les premiers systèmes d'indemnisation, au départ municipaux, se généralisent dans les années 1900. Mais comment s'assurer que cette privation d'emploi est bien involontaire ? La question obnubile les pouvoirs publics depuis toujours : « Comment assurer le contrôle et rendre la fraude à peu près impossible, car, à l’inverse de la maladie, aucun signe ne distingue le chômeur de celui qui ne veut pas travailler ? » interroge ainsi en 1903 un rapport sur l’indemnisation du chômage. En 1914, une campagne contre les « chômeur·ses professionnel·les » est lancée, et progressivement, sera instauré ce qui constituera la condition pour être indemnisé·e, et le prétexte au contrôle : le caractère involontaire de la privation d’emploi et la capacité de travailler. Les contrôles se fondent alors sur cinq motifs d’exclusion des secours : « non présentation à des convocations et/ou refus d’accepter un emploi, fausses déclarations des privé(e)s d'emploi, incapacité physique », mais aussi ivrognerie et fait de grève !
Un siècle plus tard, les formulations ne sont plus aussi caricaturales, mais elles font pourtant écho à ces tendances lourdes, intrusives et moralisatrices, insistant sur les comportements individuels des chômeurs, perçus comme un élément déterminant de leur situation. On frôle parfois l'hygiénisme, comme dans ce document sidérant publié en 2017 par une agence Pôle Emploi, et retiré dans les 24 heures face au tollé qu'il a suscité. Intitulé « la journée type d'un demandeur d'emploi », ce schéma d'une insupportable et condescendante fausse bienveillance prescrit tranquillement aux demandeurs d'emploi le mode de vie que l'on attend d'eux : on y fixe l'heure du réveil à 7 h 45, avec exercices physiques pour se « booster » ; ne pas oublier la douche à 8 h 30 ; 8 h 45 (10 minutes prescrites pour « réfléchir à ses motivations » ), à 8 h 45, le petit-déjeuner doit être copieux et de préférence se prendre sur le balcon (c'est bien connu, tous les chômeurs en disposent !) pour « profiter de la lumière du jour ». Bon prince, nos « coachs en développement personnels » de Pôle emploi accordent, après une journée active, un temps personnel à « consacrer à sa famille ! »
L'histoire n'est pas si anecdotique qu'il y paraît, tant elle illustre le champ toujours élargi des contrôles possibles. Car au moins depuis l’apparition d’un chômage de masse durable depuis les années 70, les « contreparties » demandées aux chômeurs et les contrôles (et les moyens humains afférents) se sont accrus. De plus en plus, les conseillers référents sondent des éléments aussi subjectifs que la motivation ou le dynamisme. « Une même situation peut conduire à deux décisions opposées – radiation ou clôture – tout aussi légales l’une que l’autre, en fonction de la position idéologique du contrôleur. » explique Michel, agent chargé du contrôle des chômeurs.
Des contrôles froids, sans aucune rencontre physique
Pour tenter d’ « objectiver » ce critère de recherche active d'emploi, l’État a retiré aux conseillers référents ce rôle de contrôle pour le confier à des plateformes régionales. Les contrôleurs sont toujours des agents de Pôle Emploi, mais n'ont plus aucun contact physique avec les sans-emploi contrôlés. Tout se passe par courrier électronique et téléphone, avec ce que cela comporte de glaciale inhumanité bureaucratique. Le risque d'empathie est ainsi amoindri, et la sévérité du contrôle s'en retrouve accru.