Christophe Dettinger, boxeur martyrisé

Christophe Dettinger
Fresque dans le XIXe arrondissement de Paris en hommage à Christophe Dettinger.  | photographie Hans Lucas (AFP)

Sur le plateau du média indépendant QG, le célèbre « boxeur des gilets jaunes », est récemment revenu sur l’épisode qui a bouleversé sa vie : la manifestation du 5 janvier 2019 où il avait affronté physiquement deux gendarmes à mains nues sur un pont en plein centre de Paris, au point de devenir un héros populaire… martyrisé depuis six ans par le pouvoir.

Lors de l’« Acte VIII » des Gilets jaunes à Paris, le 5 janvier 2019, l’ancien boxeur professionnel Christophe Dettinger (sacré champion de France poids lourd-légers en 2007 et 2008) assène plusieurs coups de poings et pieds à deux gendarmes lors d’une montée de tension entre manifestants et forces de l’ordre sur la passerelle Léopold-Sédar-Senghor. 

L’altercation entre Christophe Dettinger et forces de l’ordre, le 5 janvier 2019 (CLPress).

Sur le plateau de QG, le débat animé par l’avocat David Libeskind accueille Christophe Dettinger et Louise Moulin, graphiste chez l’hebdo Politis et membre du collectif « Plein le Dos ». Après avoir connu Christophe Dettinger en marge des manifestations des Gilets jaunes, elle soutient financièrement le boxeur en commercialisant des tee-shirts floqués du slogan « Les plus faibles on les défend ».

L’ancien boxeur Christophe Dettinger, invité de l’émission « Au poste » de David Dufresne, le 25 novembre 2024 (photo DR)
Christophe Dettinger sur le plateau de QG le 7 janvier 2025.

Six ans plus tôt, l’acte VIII des gilets jaunes

Le 5 janvier 2019, des images inédites font le tour des médias. On y voit Christophe Dettinger au moment où il fait reculer à l’aide de ses poings plusieurs gendarmes, sur un pont parisien, où il sera également filmé en train de frapper un autre gendarme à coups de pied.

Sur les plateaux des chaînes info, l’indignation est immédiate face à cette atteinte physique visant directement des hommes en uniforme. Quant aux réseaux sociaux, les commentaires vont bon train. Entre réprobation et admiration. Tandis que certains condamnent le déferlement de violence de cette séquence, d’autres applaudissent l’audace d’un homme qui s’élance face à des gendarmes en uniforme équipés et protégés. Sa garde levée et ses gestes précis de boxeur professionnel, ainsi que son visage non masqué, permettront rapidement d’identifier Christophe Dettinger.

Sur le plateau de QG, il rappelle le contexte de ses coups : il explique avoir vu une manifestante au sol violentée par un gendarme. Il revient sur sa volonté de libérer l’accès à ses camarades bloqués sur le pont. Il raconte aussi comment le ciel lui est « tombé sur la tête » dans les heures suivant la manifestation : « Je continue un petit peu [la manifestation] jusqu’à temps que mon téléphone sonne, sonne et re-sonne, explique Christophe Dettinger à David Libeskind. Et là je vois des messages de copains, de connaissances, qui me disent “mais Christophe, c’est toi, on dirait que c’est toi” ».

L’ancien boxeur professionnel explique comprendre à ce moment que la séquence de son altercation avec les gendarmes tourne en boucle sur les médias. Dans un contexte où des syndicats de policiers radicalisés appellent à le traquer pour le retrouver, il s’empresse, avec sa femme qui l’accompagnait, de récupérer ses enfants pour mettre sa famille en sécurité.

« Le type, il n’a pas les mots d’un boxeur gitan »

Emmanuel Macron, évoquant Christophe Dettinger dans une interview au Point

Christophe Dettinger raconte alors qu’il décide de tourner, au lendemain de cette manif, une vidéo face caméra dans laquelle il annonce se rendre de lui-même aux autorités le lundi 7 janvier. « En voyant toute la télé, comment ils me décrivaient, je ne supportais pas, confie le boxeur à QG. Je voulais faire un message aux gilets jaunes, à ce mouvement qui m’a parlé ».  

Il revient également sur son choix de se rendre au commissariat du IVᵉ arrondissement de Paris, où il est directement placé en garde à vue. Alors que sa comparution immédiate, prévue le 9 janvier, est différée au 13 février sur demande de ses avocats, il relate son incarcération en détention provisoire. Dehors, c’est le déferlement médiatique : tous les médias font le portrait du Gilet jaune, qui illustre pour le pouvoir la violence illégitime du mouvement. Des fausses informations circulent sur les gants du boxeur, soi-disant coqués (renforcés pour faire plus mal, ndlr). Une « fake news » qui ne sera jamais rectifiée par les médias.

Lors de cette campagne médiatique visant manifestement à le discréditer, les discours tournent aussi rapidement autour des origines yéniches de Christophe Dettinger. Dans un entretien pour Le Point, Emmanuel Macron tient des propos remplis de préjugés à son égard : « Le boxeur, la vidéo qu’il fait avant de se rendre, il a été briefé par un avocat d’extrême gauche. Ça se voit ! Le type, il n’a pas les mots d’un Gitan. Il n’a pas les mots d’un boxeur gitan » (Le Point, février 2019).

Une vie professionnelle bousculée

Christophe Dettinger est jugé le 13 février 2019 pour avoir asséné des coups à deux gendarmes, leur provoquant respectivement 15 et deux jours d’ITT. Représenté par trois avocats, dont le Président d’honneur de la Ligne des droits de l’Homme Henri Leclerc, le célèbre gilet jaune fait face à « tous les syndicats de police et de gendarmes qui s’étaient constitués partie civile », se remémore-t-il. « Ça a duré une éternité. »

Il est condamné à 30 mois de prison dont 12 mois de sursis, passe une semaine en prison, le temps d’organiser une semi-liberté qu’il effectuera à Corbeille-Essonne. La journée, il se rend à son travail d’employé municipal dans une commune du département, avant de rejoindre sa cellule pour la nuit. « Les 10 premiers jours étaient très longs, je n’avais aucun moyen de communication avec l’extérieur ». 

« Dès qu’on fait la relation Dettinger Christophe boxeur gilet jaune, on me ferme la porte »

Christophe Dettinger

Alors que tout se passait bien jusque-là, Christophe Dettinger raconte que ses relations avec son employeur deviennent catastrophiques. Responsable du service voirie et propreté d’Arpajon, en Essonne, il devait être promu en février 2019. Il raconte être entré malgré lui dans des conflits avec sa hiérarchie. Il passe en conseil de discipline pour avoir « nui à l’image de marque de la collectivité ». Continuer à travailler devient difficile. Aucune de ses demandes de mutations n’est acceptée : « dès qu’on fait la relation Dettinger Christophe boxeur gilet jaune, on me ferme la porte », déplore-t-il auprès de QG.

Quand le gouvernement voulait briser la cause « Dettinger »

En parallèle, une cagnotte Leechi qui avait été créée pour lui permettre de payer ses frais de justice est suspendue par le site, après de nombreuses critiques des syndicats de police et de personnalités politiques. Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, va jusqu’à affirmer « qu’il serait souhaitable de savoir qui a donné à cette cagnotte », allant jusqu’à accuser ces donateurs de « complicité » (Libération, janvier 2019).

Résultat : six ans après les faits, les 145 000 euros récoltés, qui devaient être remboursés aux donateurs, sont toujours entre les mains de Leechi. Sur le plateau de QG, Christophe Dettinger appelle d’ailleurs ses soutiens à demander un remboursement à la plateforme, sans quoi il redoute que celle-ci garde la somme collectée.

L’ancien boxeur cumule plusieurs milliers d’euros de dettes judiciaires, n’ayant ni pu payer ses avocats, ni verser les 20 000 € de dommages et intérêts qu’ont obtenus les gendarmes molestés. « 20, 15, 35, 50, compte Christophe Dattinger sur le plateau de Quartier Libre. Là, encore, il me reste 50 000 [à régler]. Mais ça m’a déjà coûté à peu près 50 en cinq ans ». 

🗯️ « On m’a dit de regretter parce qu’ils allaient être plus cléments avec moi. Mais non, je ne regrette pas » 🗣️ Christophe Dettinger s’est récemment confié sur le plateau @LibreQg, 6 ans après l’acte 8 des Gilets jaunes qui a changé sa vie. Cliquez pour tweeter

Aujourd’hui, Christophe Dettinger fait le bilan de cette affaire dont il n’est pas encore totalement sorti. « Intérieurement, ça m’a changé, explique-t-il. J’étais primo manifestant dans le mouvement des gilets jaunes. J’ai pas d’éducation politique […]. Je suis juste allé pour un coup de gueule, la vie chère ».

« Ils m’ont donné la force de pouvoir lutter »

Christophe Dettinger, ancien gilet jaune

Surtout, l’ancien boxeur croyait à une justice en France. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : pour lui, il n’y a pas de séparation des pouvoirs. « Il y a des combats à mener dans notre pays. Les politiques, ils sont tous corrompus. Ils nous font la belle morale, mais ils ne se regardent pas dans le miroir ces gens ». Le père de famille regrette aussi avoir suivi certains conseils de ses avocats. « On m’a dit de regretter parce qu’ils allaient être plus cléments avec moi. Mais non, je ne regrette pas », affirme-t-il dorénavant. 

Lorsque David Libeskind interroge Christophe Dettinger sur l’avenir, celui-ci dit vouloir continuer à se battre contre ce qui l’insupporte le plus : la misère des gens, le non-respect du peuple à la télévision, la stigmatisation de la communauté nomade en France et l’opposition créée par les puissants pour diviser. « Ils n’ont aucun intérêt à ce qu’on soit main dans la main tous ensemble, explique-t-il. J’ai envie de mettre mon pied à l’étriller pour faire changer les choses ». L’ancien gilet jaune conclut placidement : « Ça m’a émancipé. En fin de compte, ils m’ont créé. À faire ce qu’ils ont fait, ils m’ont réveillé et m’ont donné la force de pouvoir lutter ». 

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