Auditionnée en juillet par l’Arcom, la chaîne tout info contrôlée par Vincent Bolloré a obtenu le renouvellement de sa fréquence TNT malgré sa ligne éditoriale proche du Rassemblement National et son manque de pluralisme politique. Mais en interne, des reporters dénoncent un management brutal et des pratiques éditoriales assimilant CNews à une chaîne d’opinion, en violation de sa convention de diffusion.
En 2015, le groupe Canal +, réputé pour son ton impertinent et sa liberté éditoriale, paraît à l’abri des pressions extérieures. Mais tout bascule lorsque Vincent Bolloré, dont le groupe familial s’est développé en Afrique, devient le premier actionnaire de Vivendi, maison mère du groupe. L’espace d’un été, la dernière chaîne traditionnellement marquée “à gauche” du paysage audiovisuel français tombe sous la houlette d’un actionnaire d’extrême droite.
Si les débuts sont chaotiques, la stratégie politique de Vincent Bolloré finit par porter ses fruits quand en octobre 2019, il parvient à recruter Éric Zemmour comme chroniqueur quotidien dans l’émission Face à l’info sur CNews. Bien que condamné définitivement en 2011 pour “provocation à la discrimination raciale” et en 2018 pour “incitation à la haine raciale”, ce polémiste controversé devient rapidement la figure de proue de la chaîne tout info du groupe Canal +, et les audiences progressent.
Mais parmi les journalistes de la chaîne, l’arrivée d’Éric Zemmour inquiète. Lors de notre enquête, il ne nous a a pas été possible de contacter la SDJ de CNews, dissoute au printemps 2023 selon le site Les jours. Mais la dizaine de reporters de CNews que nous avons contactés nous ont tous fait part de la terreur que leur inspirait Serge Nedjar et Thomas Bauder, le duo placé en 2016 par Vincent Bolloré à la tête de la chaîne. Tous et toutes ont tenu à témoigner en conservant l’anonymat. Bien que le Conseil d’Etat, saisi par Reporters sans frontières, ait estimé récemment que Cnews était bien une chaîne d’information, les témoignages que nous avons recueillis évoquent plutôt une chaîne d’opinion.
Entré à CNews en 2012 (quand la chaîne s’appellait encore I-Télé), François (prénom d’emprunt) travaille comme Journaliste reporter d’images. Depuis 2016, il est sous la houlette de Thomas Bauder et du très caractériel Serge Nedjar. Ancien patron de la régie pub du groupe Bolloré (et du quotidien gratuit Direct matin), Nedjar a été propulsé par Vincent Bolloré à la tête de I-Télé en 2016, en remplacement du très réac (mais très timide) Guillaume Zeller.
« À l’arrivée de Zemmour, des personnes se sont mises à pleurer »
Dans un entretien téléphonique avec Off, François se remémore du jour où l’arrivée d’Eric Zemmour a été annoncée aux salariés : « Je me rappelle d’une conférence de rédaction un peu houleuse où des personnes se sont même mise à pleurer. Je me souviens avoir signifié ma désapprobation en disant que je ne comprenais pas, que l’on avait une responsabilité en tant que média et qu’on ne devait pas mettre des gens comme ça à l’antenne. »
Ancien reporter à CNews, Cédric (prénom d’emprunt) assimile l’arrivée d’Eric Zemmour à une longue descente aux enfers : « Après son émission, on est toujours allés vers le bas, toujours. Je ne sais pas si c’était prévu que ça prenne autant ou si c’était une surprise pour la chefferie aussi. Mais nous, on souhaitait tous que ça ne fonctionne pas. Mais malheureusement, ça a très bien fonctionné » raconte-t-il à Off, dans une allusion au fait que CNews dispute désormais la place enviée de « Première chaîne info de France » à BFMTV.
Exploiter les penchants xénophobes de Zemmour
Pour Vincent Bolloré, Zemmour est une prise de guerre dont il faut exploiter jusqu’à la corde les penchants xénophobes sur toutes les antennes du groupe. Entre septembre et décembre 2021, selon une étude de la chercheuse Claire Sécail, le journaliste multicondamné occupe même 44,7% du temps d’antenne politique de Touche Pas à Mon Poste, le talk show “trash” de Cyril Hanouna diffusé sur C8 (autre antenne du groupe Canal +).
A cette période, en parallèle de son omniprésence sur les télés Bolloré, Eric Zemmour prépare activement sa candidature à la présidentielle de 2022. Quand il passe du statut de polémiste à celui d’homme politique, C8 et CNews vont tout faire pour pousser leur ex-chroniqueur dans les sondages, multipliant les débats et les controverses autour de ses diatribes d’extrême droite.
En pleine campagne présidentielle, alors qu’Eric Zemmour vient de publier un nouveau livre intitulé La France n’a pas dit son dernier mot, la rédaction en chef de CNews demande à l’un de ses correspondants en région (que nous appellerons Paul) d’en faire la promotion. Une commande qui brisera le peu de confiance qu’il conserve vis-à-vis de la chaine : « C’était fin septembre ou début octobre 2021, et ce jour-là, la rédactrice en chef m’a demandé d’aller faire un duplex dans une librairie à la Fnac, pour expliquer que le livre d’Eric Zemmour était sorti et pour le montrer dans les rayons. L’idée était de dire “Regardez, ça y est, ce livre est sorti”. Au début, j’ai cru à une blague. On n’avait jamais fait ça pour aucun des politiques » confie-t-il à Off Investigation.
Bien que dubitatif, ce correspondant régional vérifie tout de même si une séance de dédicace est prévue dans la Fnac concernée. « Ce n’était pas le cas, évidemment ». Scrupuleux, il tient à se faire l’avocat du diable jusqu’au bout : « Je me suis dit que je ne réalisais peut-être pas à quel point Eric Zemmour était devenu un phénomène de société et que peut-être effectivement, la sortie de son livre allait provoquer des files d’attente de plusieurs dizaines de mètres dans le Centre-Ville. (…) Je suis donc allé vérifier de mes propres yeux et ça n’était pas le cas. »
Une demande venant « de très très haut »
Gêné par cette commande qu’il juge contraire à la déontologie, Paul refuse d’assurer la promotion du bouquin de Zemmour. Quelques minutes plus tard, son téléphone sonne : « Une rédactrice en chef m’a rappelé, je pense du coin fumeur ou en tout cas pas de la rédaction. Elle s’était éloignée pour me dire “En fait, on est désolés. Évidemment que ça aucun sens, mais c’est une demande qui vient de très haut. De très très haut”. De Vincent Bolloré ? Paul ne le saura jamais. Quelques jours plus tard, la direction de CNews lui demande de formaliser par mail le fait qu’il a refusé de promouvoir l’ouvrage de Zemmour.
Au fil des mois, en dépit de ces petits actes de résistance, la chaîne info du groupe Canal + devient un espace où les idées réactionnaires ne sont plus seulement tolérées, mais pleinement intégrées à la ligne éditoriale. Sous couvert d’anonymat, plusieurs anciens reporters nous ont décrit un environnement dans lequel l’information était souvent maltraitée, voire manipulée, parfois au point de créer des “fake news”.
Après son refus de promouvoir le livre de Zemmour, Paul va recevoir une autre commande problématique. Un soir, après qu’un professeur de Trappes ait affirmé dans les médias que le fondamentalisme musulman l’empêchait de faire cours dans le respect de la laïcité, la rédaction en chef l’appelle et lui demande d’aller filmer à Roubaix pour montrer que le problème se pose dans d’autres banlieues françaises : « On me demande un sujet un jeudi soir pour le samedi matin. Donc j’ai appelé les contacts que j’avais à Roubaix, aussi bien des syndicats enseignants, des enseignants, des membres de la municipalité, des syndicats de police. (…) Mais, les gens, ils me rient au nez. Tout le monde a refusé de me parler ». Sans la possibilité d’obtenir des témoignages, Paul se retrouve dans l’incapacité de répondre à la commande de Paris. Auprès de Off Investigation, il se défend de tout angélisme : « Je ne suis pas Oui oui dans ma voiture jaune et rouge, c’est vrai qu’il doit y avoir des quartiers difficiles à Roubaix, mais il faudrait le temps d’enquêter. Faire un sujet du jour au lendemain n’avait aucun sens, et n’allait rien apporter journalistiquement ».
Tendre le micro aux élus du Rassemblement National
Il en informe son rédacteur en chef, persuadé que celui-ci va comprendre le problème. Mais le directeur de l’information de la chaîne, Thomas Bauder, lui aurait mis à son tour la pression : « Il a fini par me contacter par téléphone pour me demander ouvertement de faire absolument le sujet, en me disant, en gros, que je n’avais qu’à aller tendre mon micro aux élus locaux roubaisien du Rassemblement National, et qu’eux pourraient nous dire tout ça, face caméra sans trop de problème et qu’ensuite, je n’avais qu’à aller filmer des boucheries halals et des gens en djellaba dans la rue. Et cela suffirait à pouvoir monter un sujet à Paris. » Très déçu par cette méthode éditoriale, le reporter refuse d’obtempérer.
Auprès de Off investigation, François confirme les biais sécuritaires de Thomas Bauder et Serge Nedjar, le patron de la chaîne. : « Ils trouvent un prétexte, un petit fait divers à la con, une mamie qui s’est fait agresser et puis paf, allez faire un micro-trottoir « Insécurité dans la ville ». Comment vous sentez ? Est ce que vous avez peur ? Voilà donc en termes de journalisme, c’est pas ce qu’on fait de mieux ». Au fil des mois, la direction aurait été jusqu’à déterminer à l’avance les réponses souhaitées : « À un moment, ils nous ont dit : “il faut poser cette question aux gens, mais il nous faut cette réponse”. Et bon, on n’a pas besoin d’expliquer en quoi c’est problématique. »
« Je ne pouvais plus supporter de me balader avec une bonnette CNews »
Désabusé par ces méthodes, François a de plus en plus de mal à arborer l’étiquette CNews sur le terrain sans craindre le regard des autres. « Même sur des micro-trottoirs qui n’étaient pas sensibles, on va dire, je ne pouvais plus supporter de me balader avec une bonnette CNews, que les gens me voient avec. (…) Et des fois, j’y allais d’entrée de jeu en disant “bonjour, c’est un micro-trottoir. J’ai vraiment une question merdique à vous poser, est-ce que vous avez 20 secondes ?” J’y allais vraiment comme ça. Des fois, ça marchait mieux et ça faisait du bien de dire aux autres que j’avais conscience que je faisais de la merde. »
Mais comme tout salarié, François dépend de son salaire pour vivre : « Depuis au moins 2022, je savais que la situation était problématique. J’étais dans une position où je me disais : « D’accord, je fais de la propagande, mais j’ai besoin de mon salaire. Je ne peux pas partir, je ne vais pas revenir à la pige. » Je me répétais ce discours dans ma tête, et il était devenu évident pour moi que c’était ainsi que les choses se passaient. » François quittera la chaîne en juillet 2024, après plus de dix années de CDI.
L’affaire Jérémie Cohen
Parmi les nombreuses affaires montées en épingle par CNews en dépit de toute rigueur journalistique, celle de Jérémie Cohen demeure sans doute l’une des plus marquantes. Le 16 février 2022, à Bobigny, ce trentenaire est percuté par un tramway alors qu’il tente de fuir un groupe de jeunes hommes qui le poursuivaient. Il décède sur le coup, sans que l’affaire ne fasse grand bruit dans la presse.
Mais un mois plus tard, en mars 2022, la justice ouvre une enquête pour “violences volontaires en réunion”. Dans ce contexte, le père de Jérémie Cohen contacte Éric Zemmour. Estimant que la mort de son fils n’a pas été suffisamment médiatisée, il laisse entendre au candidat de Reconquête qu’il a été tué par des « racailles de Bobigny antisémites ». En pleine campagne présidentielle, sans attendre les résultats de l’enquête, Éric Zemmour s’empare de l’affaire et le 4 avril, invité du journal télévisé de 20h sur TF1, il défend sans nuance et en direct durant plusieurs minutes la thèse (non confirmée) de l’agression antisémite.
Le 8 avril, CNews relaye cette hypothèse déja imprudemment propagée par TF1, toujours sans la vérifier. En plateau, Gilles William Goldnadel, un chroniqueur de CNews qui est aussi l’avocat de la famille de Jeremy Cohen, parle à son tour d’une « bande de racailles, qui s’en est pris à ce malheureux, notamment parce que c’est un handicapé, d’origine juive ».
Mais un an plus tard, en mai 2023, l’enquête judiciaire met à mal le mobile « antisémite », démontrant que Jérémie Cohen a agressé deux femmes peu avant sa mort. Il se serait notamment masturbé en pleine rue devant l’une d’elles, ce qui expliquerait sa poursuite par des jeunes de Bobigny. L’hypothèse d’une agression antisémite est alors officiellement écartée.
Le 31 juillet 2024, deux jeunes de Bobigny sont finalement mis en examen pour “violences en réunion ayant entraîné la mort sans intention de la donner”. L’enquête menée par la justice écarte donc tout motif religieux dans la tragédie. Malgré l’absence d’éléments documentant l’hypothèse d’un acte antisémite, CNews aura relayé les déclarations de Zemmour pendant toute l’enquête judiciaire.
« Faire peur, lancer des débats »
Le journaliste reporter d’images de CNews dépêché en catastrophe à Bobigny quand Eric Zemmour avait fait éclater l’affaire s’est confié à Off investigation : « C’était l’histoire d’un gars, handicapé et juif, poursuivi par une bande et percuté par un tramway. Drame total. Mais quand je suis arrivé sur le terrain, les faits remontaient déjà à un mois, il était donc très difficile d’obtenir des témoignages. La justice n’avait pas encore tranché, il n’y avait que des images de vidéosurveillance. » Selon lui, en plus de promouvoir le discours xénophobe de Éric Zemmour, cette affaire a avant tout servi les intérêts médiatiques de CNews en pleine période présidentielle : « Ce qui compte, c’est de faire peur, de lancer des débats. C’est ça, leur priorité. »
« On nous demandait de manipuler l’information (…) pour servir une idéologie »
Pour Paul, l’ancien correspondant de CNews en région, le problème n’est pas que la chaîne info du groupe Canal + ait basculé à l’extrême droite : « On peut se dire que France Inter est une radio de gauche, donc pourquoi ne pas avoir des médias à droite. » Ce qui pose réellement problème, selon lui, c’est la manière dont CNews traite l’information : « Au bout d’un moment, on nous demandait de manipuler l’information et de faire des sujets très orientés pour effectivement servir une idéologie qui de surcroît n’était pas en ligne avec mes valeurs fondamentales. »
Au risque que le public perde progressivement confiance dans les informations diffusées par les chaînes d’info en continu ? « Pour moi, nous a confié une autre correspondante de CNews en région, il y a une défiance qui s’installe à cause de ce qui se passe sur les plateaux à paris. On n’est pas responsable. Mais ça retombe sur les reporters sur le terrain. (…) Quand tu te prends je ne sais combien de gaz lacrymogène en pleine figure ou que tu risques de te faire agresser pour voler ta caméra, oui, la chaîne fournit des gardes du corps par sécurité. » Pour ne pas se faire agresser, Pauline a pris l’habitude de se fondre dans la foule, avec un simple téléphone et de dissimuler le fait qu’elle travaille pour CNews : « En manif, c’est tournage en mode “mojo” (ndlr : mobile journalisme : tournage au téléphone), et micro sans logo visible. Pour ne pas être pris à partie. »
« Cautionner un génocide en Israel »
Après les attaques du 7 octobre menées par le Hamas en Israël et les bombardements massifs de civils Gazaouis qui s’en sont ensuivis, sur les plateaux de CNews, les discours hostiles aux manifestants pro-Gaza deviennent si véhéments qu’ils en font fait presque oublier la situation dramatique dans laquelle survivent encore actuellement les habitants de la bande de Gaza.
Des biais éditoriaux qui auraient fini par rendre impossible tout reportage de terrain dans les manifestations pro-palestiniennes : « On ne pouvait plus travailler, se souvient François, un brin désabusé. (…) Un journaliste de CNews dans une manif pro palestinienne… mon but, c’est pas de finir à l’hôpital, non plus. Finalement, on cautionne un génocide en Israël et à demi-mots, les autres médias aussi. ».
Ne pas défendre « les droits des femmes, des enfants, des animaux »
Ancienne cadre publicitaire du groupe Bolloré parachutée à I-Télé fin 2016 pour gérer les ressources humaines suite à la grève et au départ d’une centaine de journalistes, Gwenaëlle Caer-Aoudi s’est confiée à Off investigation. C’est la seule à n’avoir pas exigé de témoigner anonymement. Elle garde de cette période un souvenir de tensions : « Durant la grève, il m’est même arrivé de croiser des syndicalistes ! » se remémore-t-elle, comme terrifiée. Sa priorité à compter de 2017 : trier les CV des jeunes journalistes candidatant à CNews. Mais selon elle, la ligne éditoriale de la chaîne de Vincent Bolloré suffisait à écarter les candidatures trop humanistes : « Pour être claire, s’ils avaient des opinions – ce qui est tout à fait légitime, par exemple s’ils veulent défendre les droits des femmes, des enfants, des animaux – ils ne postulaient pas à ce type de site »
Selon elle, « Quand vous travaillez dans une rédaction, quelle qu’elle soit, vous devez suivre une ligne éditoriale. Cela signifie que vous sélectionnez les sujets en fonction de cette ligne, même si, à titre personnel, vous avez une vision plus large des problèmes de société. » Ce décalage entre la sensibilité de certains journalistes de CNews et la ligne éditoriale imposée par le duo Nedjar/Bauder aurait parfois donné lieu à des tensions.
Dans une série d’enquêtes publiées en avril 2024, Mediapart relate notamment un incident particulièrement marquant qui aurait mis Serge Nedjar, le directeur de la chaîne, dans une colère noire : « Ce matin de l’été 2023, la rédaction est sous le choc. Le mot “CNews” est affiché sur un mur des toilettes femmes de la chaîne. On n’y voit pas le logo rouge et noir habituel : quelqu’un s’est servi de ses excréments pour maculer le mur. Mais qui ? Dans l’immeuble de CNews, les hypothèses fusent et la traque commence. Serge Nedjar visionne les images de vidéosurveillance, souhaite que l’on prélève de l’ADN et promet de retrouver le coupable. »
« Cacagate »
Un an après ce “Cacagate”, comme le surnomment les journalistes de CNews, le ou la “coupable” n’aurait pas été identifié. Mais sur le moment, beaucoup auraient apprécié son geste de défiance : « Franchement, moi, c’est quelque chose qui m’a fait du bien, se souvient notamment François. Parce que je me suis dit je ne suis pas tout seul à ce moment-là à être vraiment mal. Je me suis dit il y a d’autres gens qui en ont ras-le-bol et sont coincés pareil »
Toujours selon Mediapart, la direction de CNews serait « colérique » et « peu soucieuse des règles déontologiques ». Serge Nedjar, l’ancien responsable de la régie pub du groupe Bolloré propulsé à la tête de CNews en 2016 est également perçu par nos sources comme un patron autoritaire, voire cassant, toujours au service de Vincent Bolloré : « C’est un marchand de tapis. Vous lui demandez de vendre des chaussures, il vend des chaussures. Vous lui demandez de faire une chaîne d’extrême droite, il le fera », lâche François. « Je ne suis pas sûr qu’il ait des convictions profondes. C’est quelqu’un de droite, pro-israélien, mais il fait ce qu’on lui demande. ». Selon François, le journalisme intéresserait assez peu le patron de CNews : « La rédaction n’a aucune valeur aux yeux de Serge. C’est là parce que c’est dans la convention avec l’Arcom. Mais si demain, ils n’étaient plus obligés d’avoir une rédaction, elle disparaîtrait. Pour lui, c’est un truc qui coûte cher et qui ne sert à rien. »
Selon l’ancien reporter de CNews, Serge Nedjar serait en quelque sorte “Le commandant de la police” de CNews et Thomas Bauder (directeur de l’information de la chaîne) “Le flic incompétent, mais qui abuse de ses petits pouvoirs.” Et à deux, ils formeraient un duo autoritaire qui fait régulièrement trembler les murs de la chaîne.
Léa, une ancienne journaliste de CNews, se souvient d’une rencontre particulièrement traumatisante avec Serge Nedjar dans les couloirs de la chaîne. L’incident remonterait à 2020 : « Pendant la covid, il était archi strict sur les masques. Dans la rédaction, il engueulait la moindre personne qui avait son masque sous le nez, sous le menton. Enfin, vraiment, il était assez humiliant. Surtout quand il te prenait en grippe. Un matin où je terminais une matinale, je le croise dans le couloir. Je lui disais évidemment systématiquement bonjour. Mais ce jour là, il n’a pas du m’entendre parce que j’avais mon masque sur le visage. Je me suis pris une soufflante devant toute la rédaction. En gros, il m’a dit “Quand je vous dis bonjour, vous me répondez ! » »
Serge Nedjar, un homme « tyrannique »
Pour Léa, cette remontée de bretelle injustifiée fût très humiliante : « Mes rédacteurs en chef me regardaient avec un regard désolé. Un quart d’heure plus tard, l’un est venu me dire : “trop désolé, j’ai entendu ton bonjour”. Enfin bref, c’est un homme vraiment tyrannique. »
François raconte une scène similaire. Il a été témoin d’une crise de colère de Serge Nedjar envers un collègue pigiste, qui, étant peu matinal, portait des écouteurs et n’aurait donc pas entendu Nedjar le saluer. « Il a failli se faire virer pour ça. Nedjar a eu une crise et a menacé de le renvoyer. » Ne connaissant pas le prénom de ce pigiste, le directeur de la chaîne n’aurait finalement pas mis sa menace à exécution.
« Si on commence à ouvrir les vannes, tout le monde partira »
Ce portrait d’une direction autoritaire doit être nuancé par les bonnes audiences que CNews récolte désormais. Même si c’est parfois au prix d’un rapport discutable avec la vérité historique. « Un jour, confie François, je faisais tranquillement mes notes de frais, et là, Pascal Praud arrive au desk et, gratuitement, il se met à défendre Pétain. Il disait que ce n’était pas si terrible, qu’il avait sauvé les Juifs français… On s’est regardés sans savoir quoi répondre, et il est reparti comme si de rien n’était. C’est un provocateur. »
Ces dernières années, ce climat oppressant aurait poussé plusieurs journalistes à quitter CNews, dont François. « J’ai rencontré Serge Nedjar et lui ai exprimé mon désir de quitter la chaîne. Il m’a répondu : “Nous ne faisons plus de ruptures conventionnelles, c’est Canal qui bloque. Si nous commençons à ouvrir les vannes, tout le monde partira” ». Malgré ce refus de toute rupture conventionnelle, François est parti, sur une simple démission (donc sans indemnités). Sa limite était atteinte. « J’ai dit au revoir, vidé mon casier et quitté la chaîne sans le moindre regret. Aujourd’hui encore, je n’en ai aucun. »
Contactés via le service de communication de Canal +, ni Thomas Bauder, ni Serge Nedjar n’ont souhaité répondre aux questions de Off investigation.
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