« Des comptes à rendre en tant que média »
France 2 au secours de BFMTV face à Rima Hassan

Photomontage faisant apparaître de gauche à droite : Léa Salamé, Rima Hassan, Alain Marschall et Olivier Truchot. | Mathilde Rivoire

Incapables de répondre en direct à une virulente critique de leur ligne éditoriale, deux présentateurs vedettes de BFMTV ont écourté l’interview à leur antenne de Rima Hassan. Ils l’ont ensuite accusée d’« intimidation » et de « mensonge ». Un discours qu’il leur a été permis de tenir sans aucun contradictoire sur le plateau de « Quelle époque ! » (France 2) où la députée européenne de gauche explique ne pas avoir été conviée.

Lors de la dernière émission « Quelle époque » diffusée le 12 octobre sur France 2, la journaliste Léa Salamé a abordé une séquence médiatique qui, quatre jours plus tôt, avait opposé deux figures de BFMTV à l’eurodéputée Rima Hassan, au moment où cette dernière attaquait frontalement la ligne éditoriale de la chaîne d’information en continu, estimant notamment que BFMTV aurait « tôt ou tard, des comptes à rendre en tant que média », comme nous y reviendrons plus tard.

« Quelle époque », vitrine d’un entre-soi médiatique ?

Directement concernés, les présentateurs Alain Marschall et Olivier Truchot ont eu le champ libre pour revenir sur leur échange en duplex avec Rima Hassan, sans que ne leur soit imposée aucune contradiction. En effet, quand nous l’avons contactée, la députée européenne a assuré ne pas avoir été sollicitée par l’équipe de « Quelle époque ! », à qui nous avons également adressé un mail à ce sujet, pour l’heure resté sans réponse.

« Rima Hassan, dans cette séquence, ment et nous intimide », s’offusque d’abord Olivier Truchot face à Léa Salamé dont la répartie se limitera à un timide début de question pour rappeler l’élément déclencheur de cette polémique : « Que le porte-parole de l’armée israélienne vous félicite sur [votre] bonne couverture [du] conflit… », commence en effet la journaliste, avant d’être coupée par ses invités. Olivier Truchot rassure rapidement son interlocutrice : comment suspecter une quelconque complaisance entre sa chaîne et le porte-parole en question, puisque celui-ci a déjà « engueulé » son collègue Benjamin Duhamel ? Précision plutôt cocasse quand on sait que les journalistes de BFMTV s’adressent régulièrement à ce communicant en uniforme en l’appelant « Mon colonel » (Arrêt sur images, 3 octobre).

Réagissant pour sa part à l’expression « rendre des comptes » employée par Rima Hassan, Alain Marschall impute à la députée européenne des détournements de son propos sur les réseaux sociaux : « Derrière il y a des menaces, on fait allusion aux procès de Nuremberg en disant les journalistes qui étaient complices du régime nazi, c’est vous ici, et on nous menace d’un procès Nuremberg ! » Et Léa Salamé de conclure le sujet en approuvant son confrère en ces termes : « Effectivement, c’est prendre en otage des gens qui sont sur le terrain et ça, ça peut être dangereux en temps de guerre. »

Le 9 octobre déjà, les deux présentateurs de BFMTV consacraient une partie de leur émission « Les Grandes gueules » au sujet ainsi introduit : « Rima Hassan sur BFMTV, mensonges et intimidation » (replay disponible sur RMC – BFMTV). Furent invités à réagir à cette séquence d’habituels commentateurs de ce programme, dont tous dénoncèrent de supposées menaces imputées à la députée européenne.

L’élément déclencheur : un compliment empoisonné

Pour comprendre le contexte dans lequel s’inscrit la présence d’Alain Marschall et d’Olivier Truchot sur France 2, il faut revenir quelques jours en arrière. Tout commence dans la soirée du 6 octobre 2024 quand, en direct à l’antenne de BFMTV depuis Tel-Aviv, le porte parole de l’armée israélienne Olivier Rafowicz décide de saluer « l’excellent travail » de la chaîne française sur le conflit au Moyen-Orient. Bien que son invité soit le porte-parole d’une armée engagée dans le conflit en question et malgré les accusations graves qui visent cette armée depuis un an, le journaliste Benjamin Duhamel, non seulement ne prend aucune distance face à ce compliment, mais il apparaît en plus comme celui qui cherche à être félicité. En effet, c’est précisément au moment où il assure à Olivier Rafowicz que BFMTV « aborde beaucoup » les victimes du côté israélien que son interlocuteur lui témoigne sa reconnaissance : « Je dis que votre chaîne fait du travail excellent par rapport à la présentation du conflit, des deux côtés. »

L’absence de distanciation de la part du journaliste vedette de BFMTV à ce moment précis est d’autant plus notable qu’Olivier Rafowicz s’est illustré ces derniers mois dans des apparitions médiatiques très problématiques pour la profession. Il y eut, entre autres, une interview lors de laquelle il avait remis en cause le professionnalisme d’un journaliste de TV5 Monde, le 15 novembre 2023.

Interview après laquelle ce journaliste avait été honteusement publiquement recadré par son employeur avant de faire l’objet d’attaques à travers lesquelles des responsables politiques auraient même demandé « sa mise à pied voire son licenciement », comme cela fut à l’époque révélé par le média en ligne Arrêt sur images.

Le moment qui fâche : des présentateurs pris de court

Le 8 octobre, toujours à l’antenne de BFMTV, c’est cette fois Rima Hassan qui est invitée à s’exprimer, en duplex. Alors que MM. Marschall et Truchot souhaitent l’interroger sur les récentes huées ayant visé Emmanuel Macron devant le Crif (Libération, 8 octobre), leur interlocutrice commence par dénoncer les félicitations que BFMTV a reçues, deux jours plus tôt, de la part de l’armée israélienne. Elle critique alors ouvertement la ligne éditoriale de la chaîne et estime qu’elle aura « tôt ou tard, des comptes à rendre en tant que média ». Formule dont les deux journalistes vont rapidement se saisir pour justifier en direct le fait de couper court à l’interview. Citée a posteriori par la journaliste Élodie Safaris, Rima Hassan explique pourtant ses propos en ces termes : « Les médias peuvent juridiquement être tenus responsables de leur parti pris dans un conflit si des crimes contre l’humanité sont en cours. »

Qu’à cela ne tienne, l’offense n’est à ce moment pas supportable pour les deux présentateurs qui, incapables de défendre la ligne éditoriale de leur chaîne, se réfugient dans la confusion et montent en pression. En se focalisant sur la formule « rendre des comptes », il n’est d’ailleurs à ce moment pas encore clair si MM. Marschall et Truchot cherchent à détourner le propos de leur interlocutrice ou simplement à la rabaisser : « Ça veut dire quoi des comptes à rendre ? Rendre des comptes devant qui ? Devant vous ? », s’étranglent-ils d’une seule voix, avant de mettre finalement un terme à l’interview dans des termes on ne peut plus clairs : « On vous a pas invitée pas pour que vous attaquiez BFMTV ! »

Les propos de Rima Hassan ont le soir même donné lieu à une autre réaction au sein de BFMTV : celle de la société des journalistes (SDJ) de la chaîne qui, de son côté, a répondu sur le fond de la critique. Son communiqué, publié quelques heures après le passage de la députée européenne à l’antenne, revient notamment sur l’organisation de la rédaction pour couvrir le conflit en question. Il y est entre autres souligné que « la proportionnalité de la riposte de Tsahal [sur Gaza] » est questionnée dans un de ses récents documentaires long format « témoignant des dégâts terribles infligés à Gaza par les bombardements israéliens ».

Fait notable, ce communiqué tranche avec les préoccupations de la même SDJ, révélées 11 mois plus tôt par voie de presse (Blast, novembre 2023), face à la couverture problématique du conflit par leur chaîne, à l’époque où elle était détenue par le multimilliardaire franco-israélien Patrick Drahi. En outre, au-delà de sa réponse légitime aux propos tenus par Rima Hassan, la SDJ ne trouve pour l’occasion rien à redire sur l’absence de distanciation de la part de Benjamin Duhamel face au compliment empoisonné d’Olivier Rafowicz…

Nous dévoilons les dérives de la politique et des médias, grâce à vous.

Fondé fin 2021 en marge du système médiatique, Off Investigation existe grâce au soutien de plus de 6000 personnes.
Résultat : des centaines d’enquêtes écrites déjà publiées sans aucune interférence éditoriale et douze documentaires d’investigation totalisant plus de 7 millions de vues !
Cette nouvelle saison 2024-2025, nous faisons un pari : pour maximiser l’impact de nos articles écrits, TOUS sont désormais en accès libre et gratuit, comme nos documentaires d’investigation.
Mais cette stratégie a un coût : celui du travail de nos journalistes.
Alors merci de donner ce que vous pouvez. Pour que tout le monde puisse continuer de lire nos enquêtes et de voir nos documentaires censurés par toutes les chaînes de télé. En un clic avec votre carte bancaire, c’est réglé !
Si vous le pouvez, faites un don mensuel (Sans engagement). 🙏
Votre contribution, c’est notre indépendance.