Conspiracy Watch : le site multi subventionné veut élargir ses financements

Photomontage d’illustration faisant apparaître Rudy Reichstadt lors de certaines de ses interventions tv/radio  | Mathilde Rivoire

Créé en 2007 par Rudy Reichstadt, le site Conspiracy watch est adoubé par l’exécutif français depuis l’époque de Manuel Valls. Il se veut « LE site de référence en langue française sur le phénomène complotiste » et en appelle désormais aux dons des citoyens. Off Investigation a interviewé le journaliste Laurent Dauré, auteur d’une étude sur Conspiracy Watch publiée par Blast.

Dans une vidéo mise en ligne sur YouTube le 10 septembre, Rudy Reichstadt, fondateur de Conspiracy Watch (CW), a appelé le grand public à participer au financement de son site qui se veut être « LE site de référence en langue française sur le phénomène complotiste ». L’objectif initial d’une collecte de 20 000 euros ayant rapidement été atteint, les internautes ont été informés dès le lendemain d’un doublement du plafond de la campagne qui doit s’achever à la fin du mois.

Afin d’inviter les internautes à participer à sa cagnotte, le très médiatisé Rudy Reichstadt a entre autres affirmé : « Si nous sommes mal informés, nous ne pourrons pas faire des choix éclairés. » Souscrivant à cette formule, Off-investigation encourage donc ses lecteurs à s’informer sur ce média qui revendique une indépendance éditoriale mais dont la vigilance sélective interroge – à l’image de sa présentation sur la plateforme Ulule où le site n’évoque que partiellement les financements qui ont contribué à son développement. Si Rudy Reichstadt sollicite aujourd’hui les particuliers pour sa collecte de fonds, notons en effet que l’association éditrice de son média a bénéficié pendant plusieurs années de diverses subventions, dont certaines directement accordées par l’exécutif français. Le sujet est abordé en détails dans une récente enquête de Blast qui retrace, en plusieurs épisodes, les débuts de Conspiracy Watch (notamment avec le soutien du gouvernement de Manuel Valls), ses méthodes contestables ainsi que ses biais idéologiques.

« Tout ce que produit Conspiracy Watch n’est pas vicié par des biais idéologiques, mais le site a tendance à embrigader son expertise (relative) au service de certains intérêts (géo)politiques. »

A l’aune du lancement de la collecte de fonds de Conspiracy Watch, nous avons contacté Laurent Dauré, auteur de ce dossier dont les quatre premiers épisodes sont déjà en ligne.

Off-investigation : Pourriez-vous nous expliquer ce qui vous a poussé à étudier le média en ligne Conspiracy Watch ?

Laurent Dauré : S’il est utile et même salutaire d’étudier le conspirationnisme et d’en combattre intellectuellement les manifestations les plus délétères, la crédibilité de la démarche implique de le faire de façon honnête et impartiale, sans pratiquer un quelconque deux poids, deux mesures. Or j’ai été particulièrement révolté par le traitement réservé aux Gilets jaunes par les complotologues dominants, Rudy Reichstadt entre autres. Ils ont largement détourné le regard des fausses informations et théories du complot diffusées par le pouvoir macroniste et ses relais médiatiques sur ce mouvement (ils font de même aujourd’hui avec la propagande pro-israélienne, jouant de fait un rôle de facilitateurs de génocide). Tout ce que produit Conspiracy Watch n’est pas vicié par des biais idéologiques, mais le site a tendance à embrigader son expertise (relative) au service de certains intérêts (géo)politiques. Cet « observatoire du conspirationnisme » a une ligne que je qualifie de libérale-atlantiste, oscillant dans l’espace étroit entre macronisme et vallsisme. Conspiracy Watch partage avec l’hebdomadaire Franc-tireur – dont Rudy Reichstadt et David Medioni sont membres de la rédaction – un même cap idéologico-politique, celui du Printemps républicain et de la « gauche » tendance Cazeneuve et Glucksmann. Si je me suis lancé dans ce travail, c’est aussi parce que j’étais inquiet de voir des personnes évoluant dans les sphères rationalistes et zététiques se fier à un site à l’éthique intellectuelle aussi déficiente.

« Les privilèges institutionnels dont jouit le site me paraissent hautement contestables, au-delà de l’affaire du fonds Marianne. »

Off-investigation : Vous avez consacré un épisode de votre dossier aux financements de Conspiracy Watch, quelle est votre réaction concernant le lancement d’une cagnotte adressée au grand public pour soutenir le site de Rudy Reichstadt ?

Laurent Dauré : Quantité de médias et de créateurs de contenu font appel aux dons ou au financement participatif. C’est évidemment le droit de l’équipe de Conspiracy Watch de solliciter la générosité des internautes qui apprécient sa complotologie à deux vitesses. Le volume et la nature des subventions publiques, c’est autre chose. Les privilèges institutionnels dont jouit le site me paraissent hautement contestables, au-delà de l’affaire du fonds Marianne. L’État et les médias du service public promeuvent un site édité par une association qui ne respecte pas ses propres statuts (sur le caractère « sans exclusive » de son action) et cible prioritairement les opposants politiques au pouvoir en place. Conspiracy Watch incarne le type de lutte anti-conspirationniste qui satisfait l’ordre établi, il se retrouve donc propulsé « site de référence ».

Off-investigation : L’équipe de Rudy Reichstadt a-t-elle réagi après la publication de votre étude ? A-t-elle cherché à contester des éléments de fond que vous y mettez en lumière ?

Laurent Dauré : La seule réponse pertinente, qui porte donc sur le contenu des articles et pas sur leur auteur (les attaques ad hominem sont récurrentes chez les complotologues patentés), concerne pour l’instant l’épisode sur les subventions. Rudy Reichstadt a affirmé sur X que les montants et leur présentation étaient faux, sans dire en quoi. Conspiracy Watch n’a pas adressé de droit de réponse à Blast. Je n’ai fait que compiler des données officielles accessibles publiquement, si Conspiracy Watch montre que je me suis trompé, je rectifierai sans rechigner. Reconnaître ses erreurs, publier des correctifs, cela devrait aller de soi dans le journalisme (en s’inspirant de l’idéal du monde scientifique). Il se trouve que Conspiracy Watch ne le fait jamais, y compris quand il est avéré que le site a lui-même relayé des fausses informations ou des théories du complot.

En complément des quatre premiers épisodes de ce dossier, sa cinquième et dernière partie devrait paraître à l’automne et sera consacrée au positionnement de CW sur les questions internationales. D’ici là, Off-investigation vous propose de découvrir un rapide aperçu du travail déjà publié, à travers les titres et introductions des articles accessibles sur le site de Blast :

Comment la constellation Printemps républicain a promu le site de Rudy Reichstadt

Pour les institutions et les médias dominants, Rudy Reichstadt, le directeur de Conspiracy Watch, est l’expert de référence en matière de théories du complot et de manipulations de l’information. Pourtant, la vigilance de « l’Observatoire du complotisme » est sélective. Des biais idéologiques sautent aux yeux, en particulier sur les sujets les plus politiques. La pratique du deux poids, deux mesures est récurrente, et toujours en faveur de l’ordre libéral-atlantiste. Les partis pris du site l’ont même conduit à diffuser quelques fausses informations et théories du complot. Blast a enquêté pour comprendre comment Conspiracy Watch et son directeur ont conquis la place centrale qu’ils occupent. Premier volet : parrainages et cooptations. [Article en ligne ici]

Subventions en cascade sous la présidence Macron

Situé sur le plan idéologique dans l’espace étroit entre Manuel Valls et Emmanuel Macron, Conspiracy Watch consolide sa structure avec l’élection de ce dernier. En plus d’un soutien pérenne de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, l’Observatoire du conspirationnisme obtient des subventions publiques en cascade. L’affaire du fonds Marianne a relancé le débat sur l’indépendance éditoriale du site… Nous avons vu le mois dernier comment la galaxie Printemps républicain avait promu et s’était servie de Conspiracy Watch. Deuxième volet de l’enquête de Blast consacrée à l’entregent et aux méthodes du site fondé par Rudy Reichstadt. [Article en ligne ici]

Un observatoire à la vigilance intermittente

Les deux premières parties de notre enquête au long cours étaient consacrées aux appuis médiatiques et institutionnels qui ont permis à Conspiracy Watch d’occuper la place centrale en matière d’expertise sur le « phénomène complotiste ». Mais qu’en est-il du contenu produit par le site dirigé par Rudy Reichstadt ? Étroitement aligné sur l’orientation idéologique du réseau dont il a bénéficié – Printemps républicain & Cie –, Conspiracy Watch est sous la lourde influence d’un biais libéral-atlantiste. La vigilance de « l’observatoire du complotisme » s’en ressent. Les déclarations de certaines personnalités et organisations sont scrutées au microscope (plus ou moins déformant) tandis que d’autres – BHL et Caroline Fourest en tête – peuvent engendrer fausses informations et théories du complot, sans subir les critiques de l’équipe de Conspiracy Watch. « Deux poids, deux mesures » pourrait être la devise du site. [Article en ligne ici]

Ménager Macron, accabler les Gilets jaunes et la « gauche radicale »

Les biais idéologiques de Conspiracy Watch ont conduit le site à adopter une attitude favorable au pouvoir d’Emmanuel Macron et hostile à tout ce qui le conteste un peu trop frontalement. Le mouvement des Gilets jaunes s’est donc logiquement retrouvé dans le collimateur de « l’Observatoire du conspirationnisme ». Mais la « gauche radicale » – en particulier Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise – est également sur liste noire, à mettre dans le même sac comploto-populisto-antisémite que le Rassemblement national. Avec Rudy Reichstadt, la complotologie est embrigadée au service d’un clan politique, d’une classe : la bourgeoisie libérale-atlantiste. Celle-ci s’accommodant fort bien de l’extrême droite quand elle ne fusionne pas carrément avec elle. [Article en ligne ici]

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