Un témoin décisif s’est fait connaître dans l’affaire Robert Boulin, du nom de cet ancien ministre du Travail retrouvé mort dans un étang en 1979 et déclaré suicidé par la police et la justice alors que de nombreux indices montrent qu’il a été assassiné.
C’était moins une. Courant 2022, alors que la justice française s’apprête à prononcer un non lieu dans l’affaire Boulin, un témoin se manifeste spontanément avant d’être discrètement entendu par la juge d’instruction en charge du dossier en 2023. Et comme l’a confirmé le parquet de Versailles à l’AFP le 30 août dernier, « cette audition relance l’instruction toujours en cours ».
Le 30 octobre 1979, le corps de Robert Boulin, membre du RPR, ministre du Travail du gouvernement de Raymond Barre et député-maire de Libourne est découvert dans un étang, près de Rambouillet (78). Il se trouve alors au coeur d’une guerre interne au parti gaulliste RPR (Rassemblement pour la République) car il est pressenti pour être nommé Premier ministre par le Président Valéry Giscard d’Estaing. Au nez et à la barbe de son rival Jacques Chirac, alors député et président du RPR.
Déclaré suicidé vite fait mal fait
A peine une heure après la découverte de son corps, Robert Boulin est déclaré suicidé par la police et les autorités. La justice ne déviera pas de cette ligne éminement politique – l’Etat-RPR est resté puissant lontemps – jusqu’en 2015.
Contre toute attente, et à la suite d’une plainte contre X déposée à Versailles par la fille de Robert Boulin, en septembre 2015, le parquet de Versailles ouvre une information judiciaire pour « Arrestation, enlèvement et séquestration suivis de mort ou assassinat ». Toutefois, l’enquête ne connait pas d’évolution jusqu’à ce témoin miraculeux.
Le journal Sud Ouest a retrouvé ce témoin et a pu l’interviewer sous couvert d’anonymat. Il s’agit d’un homme d’affaires proche du Milieu parisien. « Son récit digne d’un polar plonge dans les arcanes de la nuit parisienne des années 1980. Et plus précisément au Roi René, un club libertin situé à Ville-d’Avray, qui était alors un des hauts lieux de cette société interlope où s’encanaillaient aussi bien des flics que des voyous, des hommes politiques et même des espions » écrit le journaliste Yann Saint-Sernin dans Sud Ouest.
« C’est un accident, on l’a tabassé »
Jeune et désargenté, le témoin officie comme chauffeur occasionnel pour ce club échangiste. Parmi ses clients figure un certain Pierre Debizet, co-fondateur et patron du SAC (service d’action civique). Cette puissante officine gaulliste, proche de Charles Pasqua, avait été créée en 1960 par Jacques Foccart et Pierre Debizet dans un contexte d’affrontements sanglants entre Gaullistes et partisans de l’Algérie française. Le SAC s’était ensuite dévoyé et avait basculée dans la violence. Il sera officiellement dissout en 1982.
La scène clé racontée par le témoin prend place quelques semaines à peine après la mort de Robert Boulin. « Un soir de novembre 1979, alors que j’étais au bar, il [Pierre Debizet] m’invite à sa table pour boire une coupe de champagne. Deux types sont entrés et se sont installés, bientôt rejoints pas un troisième. Je suis resté à l’écart de la conversation. Et j’ai entendu Pierre s’énerver : ‘‘On vous avait dit de ne pas le tuer’’, a-t-il lancé aux deux hommes. Le plus âgé a répondu : ‘‘On l’a balancé dans l’étang à Rambouillet. C’est un accident, on l’a tabassé, il est mort dans nos bras d’une crise cardiaque. Mais t’as vu, on a ramené les documents.’’ » Le troisième homme ne décrochait pas un mot » raconte le témoin à Sud Ouest ». Toujours selon lui, le troisième individu serait un agent du Sdece, l’ancêtre de la DGSE.
L’enjeu judiciaire sera maintenant d’identifier les deux possibles meurtriers de Robert Boulin. Là encore, le témoin semble en avoir sous le pied. Il a noté et conservé à travers les années la plaque d’immatriculation du véhicule, une Mercedes, à bord de laquelle ces deux hommes ont embarqué pour quitter le célèbre club échangiste de Ville-d’Avray, cette nuit de novembre 1979.
« Si j’avais parlé plus tôt, j’aurais prix deux balles dans le buffet »
Une question demeure : pourquoi ce témoin se met-il à table quarante cinq ans après les faits ? « « Je suis au soir de ma vie et j’ai porté le souvenir de cette soirée pendant quarante-cinq ans. Je devais à la famille Boulin de dire ce que je savais. Je n’avais pas les épaules à l’époque pour me confronter à des individus aussi puissants. Si j’avais parlé plus tôt, je n’ai aucun doute que j’aurais pris deux balles dans le buffet ».
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