250 000 personnes selon le ministère de l'Intérieur, 640 000 selon la CGT, se sont rassemblées samedi 15 juin dans 150 villes de France. Entre 75 000 et 250 000 manifestants ont marché dans les rues de la capitale. Leur objectif : s'opposer à la montée de l'extrême droite.
En ce début d’après-midi, une marée humaine submerge la place de la République à Paris, lieu de départ du cortège. Les chants et les pancartes brandies par les manifestants témoignent de l’opposition de la foule au Rassemblement national (RN). Une semaine avant, dimanche 9 juin, ce parti d'extrême droite (qui a succédé au Front national) a gagné les élections européennes avec 31,37% des voix. Du jamais vu.
Dirigé par Marine Le Pen, il a été fondé en 1972 par son père, Jean-Marie Le Pen. Ancien député poujadiste, il s'était engagé dans les parachutistes pour participer à la guerre d'Algérie, ou il fut accusé d'avoir pratiqué la torture sur des opposants. A la création du Front national en 1972, il rassemblait autour de lui des personnalités de l’extrême droite, notamment des anciens cadres du mouvement néofasciste Ordre nouveau. Pour la première fois de son histoire, ce parti est favori aux prochaines élections législatives. Convoquées en urgence après la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron, elles auront lieu les 30 juin et 7 juillet. Pour les manifestants présents ce samedi, la victoire du RN équivaudrait à un "retour du fascisme en France".
L’état de droit en danger ?
« J'ai peur de la direction que prend mon pays », nous confie Garance, étudiante en troisième année de graphisme. « Le RN est un vrai danger pour nos démocraties, c’est un parti qui a été fondé littéralement par des nazis. J’ai peur pour les immigrés, pour les droits de l’homme et pour les droits sociaux en général ». D’après elle, si le parti de Marine le Pen a gagné autant de voix aux élections européennes, « c’est la responsabilité d’Emmanuel Macron, qui n’a pas écouté les gens ». Les jeunes sont massivement présents à cette manifestation. Partout, des pancartes avec l'inscription : « La jeunesse emmerde le RN ». Voir parfois : « La jeunesse emmerde le R’Haine ».
Et ces craintes sont aujourd'hui partagées par certains magistrats. « Au syndicat de la magistrature, nous sommes très inquiets par rapport à l'état de droit, si l'extrême droite devait arriver au pouvoir » explique Albertine, magistrate au tribunal de Bobigny. Selon elle, le RN serait un vrai danger pour la démocratie et le principe d’égalité : « Quand on regarde ce qui est proposé par l’extrême droite, c'est considérer que l'égalité, un de nos principes fondateurs, devrait passer en second plan. Et on traiterait différemment nos citoyens, en fonction de leur origine ethnique, sociale et de genre. Pour nous, ce n’est pas acceptable ». Elle rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme encourage les professionnels du droit à investir la sphère publique et à expliquer pourquoi l’état de droit doit être préservé. Le syndicat des avocats est aussi présent dans le cortège. D’après Albertine, le succès du RN est dû en partie au manque cruel de moyens destinés aux services publics, y compris aux services judiciaires. « Il faut se dire que l'extrême droite ne peut pas être la solution. Les services publics ne sont pas leurs priorités », alerte-t-elle.
La lourde responsabilité des médias
« On peut dire merci à Bolloré et à ses médias qui ont entretenu les thèmes de l’extrême droite », dit amèrement Filia. Elle brandit une pancarte avec écrit : « Interdire Bolloré avant qu’il nous interdise la liberté. Contre R’Haine et la peste de la médiarchie Bolloré ». Elle explique être venue dans la rue pour lutter contre « les fascistes qui sont aux portes du pouvoir ». Artiste et trasngenre, elle déplore être « tout ce qu’ils détestent ». Elle n’est pas la seule à penser que le milliardaire Vincent Bolloré - propriétaire du groupe Canal + (avec C8 et Cnews), de la station radio Europe 1 et du Journal du dimanche - soit en partie responsable de l’ascension de l’extrême droite. Ce magnat des médias n’essaie pas de cacher l’orientation politique de sa galaxie médiatique. Sur le plateau de Cnews, lors de la soirée électorale du dimanche 9 juin, les invités politiques et les journalistes appartiennent quasiment tous à la droite. La prise de parole d’Eric Zemmour du parti Reconquête (5,5% des voix) est diffusée en intégralité. Le discours de Raphaël Glucksmann (PS, Place Publique), qui a pourtnt récolté 14,6% des voix, a droit à seulement 40 secondes d'antenne. Nos confrères du journal Le Monde ont révélé que Vincent Bolloré a été à la manœuvre pour orchestrer le ralliement du parti Les Républicains au RN.