O. Annichini
Début 2020, après la publication par Vanessa Springora du Consentement, livre dans lequel L’éditrice parisienne raconte le traumatisme qu’a représenté pour elle sa liaison précoce avec Gabriel Matzneff, on découvre avec stupéfaction le réseau dont l’écrivain pédophile bénéficie au sein de l’intelligentsia parisienne.
De mon côté, moi, que mes amis surnomment Saint-Thomas, je demande à voir. Sur les événements évoqués par Vanessa Springora ou d’autres témoins de l’époque, qu'a pu écrire l'accusé, littérature qui maintenant pourrait lui assurer un alibi ? Donc une priorité, se procurer ses ouvrages. Rien de plus facile, grâce à Internet, je peux acheter chez un bouquiniste proche de Aix-en-Provence tout un lot de journaux intimes de Matzneff, huit volumes, qui courent de 1970 à 1988.
Piqué par la curiosité, après une première rafale d'achats, je décide de faire main basse sur tous les tomes du journal intime de Matzneff, comme on complète une collection, comme on assemble les pièces d'un puzzle pour reconstituer une fresque. Grâce à la foire aux livres que propose le web, j'y suis parvenu.
Le journal intime de Matzneff comporte quinze tomes publiés. Les onze premiers tomes couvrent les années 1953 à 1988 :
-Cette camisole de flammes (1953-1962)
-L'archange aux pieds fourchus (1963-1964)
-Vénus et Junon (1965-1969)
-Elie et Phaeton (1970-1973)
-La passion Francesca (1974-1976)
-Un galop d'enfer (1977-1978)
-Les Soleils révolus (1979-1982)
-Mes amours décomposés (1983-1984)
-Calamity Gab (janvier 1985-avril 1986)
-La prunelle de mes yeux (mai 1986-1987)
-Les Demoiselles du Taranne (1988)
Les quatre derniers tomes du journal intime de Matzneff couvrent les années 2007 à 2018 :
-Carnets noirs (2007-2008)
-Mais la musique soudain s'est tue (2009-2013)
-La jeune Moabite (septembre 2013-2016)
-L'Amante de l'Arsenal (août 2016-2018)
Il ne vous échappera pas que dans ce panorama, il y a un trou, un gros trou. Les années 1989 à 2006 sont occultées. Pourtant l'écrivain, qui note au jour le jour le récit de sa vie dans des carnets de moleskine noire, les mêmes qu'utilisait le grand Ernest Hemingway (sauf que lui ne pêchait pas dans les mêmes eaux), n'a pas négligé son devoir quotidien.
Dans l'avant-propos de « La jeune Moabite », il assure que les années inédites ont été dactylographiées et sont « présentement enfouies dans le coffre-fort d'Antoine Gallimard »... A croire que même avant le scandale provoqué par les révélations de Vanessa Springora, les éditions Gallimard préféraient, avec le consentement de l'auteur, attendre la mort de Matzneff avant de publier des pages susceptibles de froisser certains vivants, voire de choquer l’époque.