
Exclusif | Défense, économie, prérogatives… Entre le président de la République et le Premier ministre, les sujets de discorde s’accumulent. En coulisses, on apprend que la tension monte entre deux hommes qui « ne s’apprécient pas ». Si Matignon n’a à ce stade pas daigné s’exprimer sur cette ambiance délétère au sein de l’exécutif, l’Elysée nous a répondu quelques heures après la publication de cette enquête.
« Je serai un Premier ministre de plein exercice et de complémentarité. Ceux qui veulent écrire le récit d’un affrontement entre l’Elysée et Matignon seront démentis », promettait François Bayrou au lendemain de sa nomination à Matignon par Emmanuel Macron (La Tribune du dimanche, 14 décembre 2024). Ce temps semble déjà révolu. Ils n’ont « pas encore cassé la vaisselle » mais « leur couple connaît une phase de turbulences », s’amuse un conseiller de l’exécutif, sollicité par Off Investigation.
Illustration ce lundi 17 mars, le Premier ministre déclare que « beaucoup de gens ne croient pas à la démocratie sociale et au dialogue social. Et même, qui méprisent et détestent cette démarche. Moi, j’y crois », ajoute le chef du gouvernement sur France Inter. Une petite phrase que la plupart des observateurs croient destinée à Edouard Philippe, qui l’accuse de maintenir le conclave sur les retraites uniquement pour durer à Matignon, malgré ses propos sur les 62 ans ? En réalité, la pique est dirigée vers Emmanuel Macron, connu pour mépriser les corps intermédiaires et en particulier les syndicats. Le président de la république ne s’y est pas trompé.
Un choc d’agenda, de personnalités et de prérogatives
Rien ne va plus entre les deux hommes. En cause, un choc d’agenda, de personnalités et de prérogatives. C’est sur ce dernier point que le président de la république se montre le plus chatouilleux. Le retour au pouvoir de Donald Trump a transformé la guerre en Ukraine en crise internationale et Emmanuel Macron compte bien en ramasser les dividendes sur la scène politique française. « C’est son moment, pense-t-il. Les astres sont alignés: une Assemblée anesthésiée, des Français inquiets qui reviennent timidement vers lui, et surtout, une guerre aux portes de l’Europe, la première depuis 80 ans sur le sol européen », s’enflamme l’un des rares soutiens du président de la république, omettant la guerre de Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1995, ainsi que les bombardements intensifs de l’OTAN, de mars à juin 1999, sur la Yougoslavie (Le Monde diplomatique, 2000). Le locataire de l’Elysée n’a d’ailleurs toujours pas perdu espoir de recevoir le prix Nobel de la paix, comme Barack Obama en son temps, selon nos informations. Peu importe ces errements en politique étrangère, « Macron est obsédé par l’héritage qu’il laissera de sa présidence, il sent qu’il y a un tournant historique », répète notre source.
Jean-Bernard Gaillot-Renucci, conseiller politique« La présidentielle est la seule obsession de François Bayrou. A chaque lendemain de défaite, il est déjà en campagne pour la suivante »
François Bayrou, lui, est tourné vers une toute autre échéance, à savoir 2027. « La présidentielle est sa seule obsession depuis 1995. A chaque lendemain de défaite, il est déjà en campagne pour la suivante », ironise Jean-Bernard Gaillot-Renucci, conseiller politique, qui travaille pour les campagnes présidentielles depuis les années 1980. Emmanuel Macron tente de le cantonner aux affaires nationales ? Le vendredi 7 mars, le président de la République s’étrangle en voyant son Premier ministre dans la matinale des médias Bolloré (Europe 1 et CNews) discourir pendant 45 longues minutes sur l’état du monde. François Bayrou déclare que Donald Trump « rend le monde plus dangereux qu’il n’était » et s’interroge sur le rôle d’allié des Etats-Unis: « Ça s’appelle une destruction de l’ordre international et une remise en cause de tout ce à quoi nous croyons. Cette remise en cause laisse les Européens stupéfaits », affirme-t-il.
Effort de guerre et bisbilles au gouvernement
Le locataire de l’Elysée fulmine. La politique étrangère, c’est son pré carré. Même fumée noire présidentielle en voyant le Béarnais imposer la réunion d’informations avec les responsables parlementaires et les chefs du Renseignement le 13 mars à Balard. Alors que la rencontre était prévue à l’origine à l’hôtel de Brienne, le ministère des Armées (Le Monde, 14 mars). Auparavant, le chef du gouvernement a rappelé à son ministre Sébastien Lecornu, qu’il lui revenait de présider la réunion. « C’est typique de Bayrou, il n’a aucune expertise dans le domaine militaire mais il pense qu’il va s’imposer au culot », soupire un conseiller ministériel. Peu importe que son intervention a été jugée sévèrement par les participants, un parlementaire évoquant « un propos pas très inspiré », l’essentiel est ailleurs pour le Premier ministre, prouver à Emmanuel Macron qu’il faut compter avec lui.
« Lecornu est considéré comme le pion de Macron au gouvernement », tranche Jean-Bernard Gaillot-Renucci, détenteur des petits et grands secrets de la macronie. « Rien ne dit que ce n’est pas lui qui sera désigné héritier par Emmanuel Macron pour 2027, tant il a sa confiance depuis 7 ans ». Le locataire de Matignon s’amuse de voir le président de la République tenter de passer en force à coups de déclarations martiales. « Les Français ont besoin de temps pour assimiler les nouveaux équilibres du monde, ils ne supportent plus d’être malmenés », théorise le locataire de Matignon devant ses proches. Il observe sans rien dire les macronistes multiplier les propositions chocs censées financer « l’effort de guerre » : emprunt, recours au livret A, baisse des prestations sociales, jours de travail supplémentaires… (Off Investigation, 9 mars). « C’est la foire à la saucisses et d’ailleurs les Français ne sont pas dupes », rétorque un soutien du Premier ministre. L’élu cite un récent sondage Ipsos CESI (Le Parisien, 15 mars), qui montre que les trois quarts des sondés sont toujours opposés à un recul de l’âge du départ à la retraite.
François Bayrou à ses proches« C’est l’Elysée qui me fait du tort »
François Bayrou voit lui-même la main de l’Elysée derrière les nombreux articles de presse qui étrillent sa gestion paresseuse et erratique des dossiers ou encore ses mensonges et son manque d’empathie sur l’affaire Bétharram, qui lui gâche ce qu’il voit comme « son » moment à Matignon. « C’est l’Elysée qui me fait du tort », assure François Bayrou à ses proches et ses visiteurs du soir.
Emmanuel Macron et François Bayrou « ne s’apprécient pas »
Avec Emmanuel Macron, ils continuent de se vouvoyer, même en tête-à-tête malgré leurs aventure commune depuis 2017. « Ils ne sont pas proches, ils ne s’apprécient pas, entre eux, c’est une alliance politique, l’affect n’a pas sa place », observe le conseiller Jean-Bernard Gaillot-Renucci. Tandis que le président attend avec impatience les propositions budgétaires de son chef de gouvernement sur le budget de la Défense, le Premier ministre a l’œil rivé sur le 31 mars. Ce jour-là, il saura si Marine Le Pen est oui ou non rayée de la course pour la prochaine présidentielle. Si la patronne des députés RN est déclarée inéligible avec effet immédiat dans l’affaire des assistants parlementaires européens de son parti, Français Bayrou pense qu’elle n’appuiera pas sur le bouton de la censure : « Elle ne pourrait pas se représenter et perdrait son mandat de députée », observe un proche du Premier ministre.
« Son plus grand talent, c’est de durer », balance un ancien ministre. Le chef du gouvernement planche sur quelques astuces de procédures pour s’éviter des débats périlleux à l’Assemblée comme arrêter la session ordinaire du Parlement au 12 ou 13 juillet et ne pas la rouvrir avant octobre. Tandis qu’Emmanuel Macron prépare la guerre sans consulter les Français (Off Investigation, 13 mars), François Bayrou pense à la réforme des retraites d’ici cet été, puis à la réforme de l’Etat pour le budget 2026 à l’automne. Reste que pour le moment, le destin des deux têtes de l’exécutif semble inexorablement lié ; le président de la République et son Premier ministre ont-ils pour autre choix que de s’entendre ? « Tout le monde a intérêt à ménager Bayrou pour le garder, y compris le PR (président de la république, NDLR) parce qu’il ne représente aucun danger pour 2027 », cingle un conseiller de l’exécutif.
Trois heures après la parution de notre article, l’équipe de la présidence a finalement daigné nous répondre par la voie de son nouveau conseiller en communication. Dans un message imbibé de mépris, le très éruptif Jonas Bayard a d’abord dénigré les publications passées de l’auteur de cet article, avant de nous affirmer que les citations aujourd’hui rapportées par nos soins étaient « absolument et catégoriquement fausses ». Nous maintenons néanmoins nos informations.
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