
Dans une époque où les groupuscules d’extrême droite prennent de plus en plus de place, certains médias indépendants documentent leurs modes d’action, leurs idéologies, et les liens qu’ils entretiennent avec les partis politiques.
A Paris, le 16 février 2025, un groupe de néonazis attaque un événement antifasciste à l’occasion d’une projection du film Z, de Costa-Gavras (1969). Un militant de la CGT est frappé et poignardé ; gravement blessé, il est transporté à l’hôpital. Filmée, l’agression apparaît d’une violence rare. Pourtant, Arrêt sur images rapporte le 20 février que peu de médias et de personnalités politiques réagissent à cet événement. Le journal télévisé de TF1, LCI, ou encore CNews le passent sous silence. « Il y a un combat qui devrait nous réunir, c’est le combat contre la violence, c’est le combat contre le fascisme, contre le nazisme, contre l’extrême droite… Et aussi contre l’ultragauche », réagit même Bruno Retailleau le 18 février, au micro de l’Assemblée nationale (LCP, 18 février).
Des liens troubles entre groupuscules et partis
Lumi montre que les groupuscules d’extrême droite restent liés aux partis politiques – d’où la notion d’« extrême droite extraparlementaire ». Le terme d’ultradroite, de plus en plus employé dans la presse traditionnelle, sur les plateaux télévisés ainsi que par les forces de l’ordre, met plus de distance entre des partis tels que Reconquête ou le Rassemblement national (RN) et ces groupuscules radicaux (il y en aurait environ 150 en France, selon Streetpress). Fait notable, certains de ces groupes ont été dissous, d’autres mutés, fusionnés, ou encore divisés. Éparpillés dans le pays, ils changent régulièrement de noms et leurs membres passent rapidement d’un groupuscule à un autre.
On y distingue trois courants principaux : les nationalistes révolutionnaires, les identitaires, et les royalistes. Tous ont en commun une croyance en la décadence de la civilisation occidentale, sa possible chute par l’immigration extra-européenne, l’idée d’une hiérarchie raciale et d’un darwinisme social, et d’une demande d’autorité qui passe par une mise au pas. Certains évoquent même l’éradication des minorités et de ceux qui se mettent en travers de leur chemin. Beaucoup de leurs agressions sont traitées comme de simples faits divers quand elles ne sont pas passées sous silence.
Cependant, plusieurs médias indépendants choisissent de se pencher sur le sujet. « Nous avons décidé d’enquêter sur chacun des 150 groupuscules néonazis, identitaires, ou intégristes du pays. Raconter aussi comment ils forment l’armée de l’ombre du Rassemblement national, des troupes de gros bras qui œuvrent à ses campagnes, et trouver qui les finance », explique ainsi Streetpress le 23 octobre 2023. A l’époque, ce média dévoile notamment plusieurs enregistrements de membres du groupuscule Division Martel. « Je suis pour qu’il y en ait un seul qui l’encule, voilà, que ce soit filmé, et surtout qu’on prouve par la vidéo qu’on a pas besoin de se mettre à dix sur un […]. Mais on s’en fout, dans la rue si on en croise, évidemment qu’on va se mettre à 30 sur eux », affirme ainsi « Lenny M. », dans une allusion à de possibles ratonnades.
Parmi les médias qui couvrent ces groupes d’extrême droite, on trouve aussi Mediapart qui s’est notamment intéressé aux liens entre partis politiques et groupuscules. « On trouve finalement des individus violents dans des structures comme Reconquête ou le Rassemblement national, qui vont même parfois aller faire le coup de poing sous d’autres bannières, tout en ayant leur carte dans ces partis », rapporte par exemple le 5 décembre 2023 la journaliste Marine Turchi dans l’émission À l’air libre.
Un travail qui expose à des menaces
À Lyon, point de rencontre de l’extrême-droite française, le média Rue89 Lyon joue un rôle prépondérant. Il documente et enquête depuis des années sur les lieux et événements fréquentés par ces groupuscules. Du coup, les journalistes de Rue89 font très souvent l’objet de menaces, de même que ceux de Streetpress. « Je peux recevoir parfois plusieurs centaines de messages en quelques heures à peine, des messages qui me ciblent moi, mais aussi qui vont cibler certains de mes proches », témoigne sur Konbini le 18 novembre 2022 Mathieu Molard, rédacteur en chef de Streetpress. Les captures d’écran qu’il montre sont édifiantes : « Serpillère de blanc », « C*ncer isl*mogauchiste », « Terr^riste », peut-on notamment lire.
Devant les caméras, les groupuscules pèsent plus leurs mots. Pour documenter leurs méthodes, reste la technique de l’infiltration. En 2018, Al-Jazeera diffuse Generation Hate, une enquête en deux parties sur le groupe Génération Identitaire, et ses liens avec le RN. L’un des journalistes s’infiltre durant six mois dans un groupe lillois, muni de caméras cachées et de micros. Les enregistrements permettent ainsi de révéler des propos racistes, antisémites, ou encore des agressions perpétrées par les membres du groupe.
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