Europe 1, la voix du RN ?

Laurence Ferrari et Sonia Mabrouk
Laurence Ferrari et Sonia Mabrouk animent un débat des Républicains sur CNEWS et Europe 1, à Paris, le 21 novmebre 2021 (photo JULIEN DE ROSA / AFP)

En 2021, six ans après avoir pris le contrôle du groupe Canal +, le milliardaire breton d’extrême droite Vincent Bolloré prenait d’assaut les médias Lagardère (Europe 1, Paris-Match, le JDD, etc…). Trois ans plus tard, des journalistes de la station nous racontent la bascule sans précédent d'une radio qui milite désormais ouvertement pour l'arrivée du Rassemblement national au pouvoir.

Le 11 mai 2021, les journalistes d’Europe 1 voient le ciel leur tomber sur la tête. Lors d'une réunion racontée depuis par le quotidien La Croix, Constance Benqué, présidente de Lagardère News, leur annonce contre toute attente : « Vous êtes déjà des salariés de Vincent Bolloré, car il est l'actionnaire majoritaire ».  
Selon Olivier Samain, ancien président de la SDJ d’Europe 1, l’objectif de Vincent Bolloré était clair depuis le début :  « Très rapidement, on a compris que ses intentions étaient de prendre de plus en plus de contrôle, comme il l'avait fait avec Havas et Canal+ » a-t-il confié à Off investigation. «L’inquiétude est venue assez rapidement, car même si certains se disaient qu’ils allaient pouvoir continuer à faire leur boulot, nous, représentants syndicaux, on leur disait “Ne vous laissez pas amadouer par un tel discours qui est totalement éloigné de la réalité qui va nous tomber dessus. » 

Une grève historique

En juin 2021, la nomination du nouveau rédacteur en chef du service politique interroge. Dans un contexte où Vincent Bolloré est en train de prendre le contrôle de la radio, Constance Benqué, présidente de Lagardère News, annonce que Louis De Raguenel, ex-rédacteur en chef de l'hebdo d’extrême droite Valeurs Actuelles, succède à Michaël Darmon à la tête du service politique (poste dont il avait pourtant été écarté au cours de l’année précédente suite aux protestations de la direction). La nomination de ce journaliste très marqué à droite, connu pour ses positions controversées sur l’islam, l’immigration et la sécurité, suscite alors une vague d’indignation au sein de la rédaction d’Europe 1. 

« On s’est mobilisés en se disant que cette nomination était une entorse énorme à l’image d’indépendance de la rédaction d’Europe 1, nous a confié Olivier Samain. Faire venir comme chef du service politique, à quelques mois de l’élection présidentielle, un journaliste aussi politiquement marqué que Louis De Raguenel, ça ne s’était jamais produit à Europe 1 ». Suite à ce parachutage de Louis De Raguenel par Vincent Bolloré, une assemblée générale est organisée le 18 juin 2021. Sur le toit d’Europe 1, représentants syndicaux et chefs de différents services échangent sur « l’avenir de la radio après la reprise en main rapide et violente de Vincent Bolloré ». Soudain, un journaliste découvre qu’une collègue proche de la direction enregistre les interventions à l’aide d’un dictaphone. Prise en flagrant délit d’espionnage, la journaliste est violemment interpelée par son collègue. Mais c’est finalement lui qui écopera d’une procédure de licenciement. Selon Olivier Samain, « cet évènement sera le déclencheur de la grève ».

C’est donc dans un climat délétère que se termine la saison 2020-2021, à l’image du plan de départ mis en place au mois d’avril. Cet été là, l’environnement dégradé et l’ingérence actionnariale  de Vincent Bolloré poussent près de 70% des journalistes d'Europe 1 à quitter la radio : « Presque toute la rédaction est partie en même temps, c’était quand même un truc très rapide et très violent, et dont l’écho a été assez faible », déplore une ancienne animatrice de la radio ayant quitté l’antenne d’Europe 1 pendant la grève. « Il y a encore plein de gens aujourd’hui, quand on leur parle de ce qui s’est passé, qui semblent à peine en avoir entendu parler » poursuit-elle. Quand bien même, selon elle, cet événement « est resté un traumatisme » pour de nombreux journalistes de la radio.

Un traumatisme subi en silence, notamment en raison des clauses de confidentialité et de non-dénigrement imposées aux salariés voulant quitter Europe 1. Ces clauses interdisent aux journalistes de dénigrer non seulement le média, mais aussi l’actionnaire (Arnaud Lagardère) et son groupe. Un procédé fréquent dans les médias du groupe Bolloré qui avait déjà réduit au silence les journalistes de Canal + et d’I-télé en 2016. « Cette clause nous empêche de révéler des choses inconnues du public concernant Europe 1 », explique Olivier Samain. Elle interdit également de « dire du mal de la direction et des actionnaires », rajoute l’ancien président de la SDJ. Bien qu’il ait participé aux négociations du plan de départ, Olivier Samain reconnaît le danger de ces clauses de silence. En effet, sous l’influence de Vincent Bolloré, elles n’ont souvent pas de limite de temps. Au risque de porter atteinte à la liberté d’expression des journalistes qui se voient contraints de les signer.

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