
Mastodonte de l’enseignement supérieur privé, Galileo, qui se présente comme le « leader mondial de l’enseignement supérieur indépendant », est mis en cause par trois anciens salariés pour un management « délétère ». Tous ont engagés une procédure aux prud’hommes. L’un d’entre eux, Matthieu Guilbert, s’est confié à Off Investigation.
Matthieu Guilbert ne s’attendait pas à cela lorsqu’il a été embauché chez Galileo Global Education (GGE), en mai 2022. À l’époque, il est recruté comme responsable pédagogique chez Eva Sante. En octobre de la même année, il est promu directeur régional Grand Est. Si cette filiale de Galileo qui s’occupe de former aux métiers du médico-social ne publie pas ses comptes, le chiffre d’affaires de Galileo Global Education, avoisinerait le milliard d’euros. Parmi les actionnaires majoritaires de ce groupe ayant fait entrer Muriel Penicaud (ancienne ministre du travail d’Emmanuel Macron) à son conseil d’administration fin 2022 : la BPI et la famille Bettencourt.
Si le chiffre d’affaire de Galileo impressionne, la capacité du groupe à gérer ses collaborateurs sans violence parait plus hypothétique. Le 17 octobre 2022, quelques mois après l’embauche de Matthieu Guilbert, un nouveau responsable est mandaté par Vanessa Diriart (directrice GGE France) et Martin Hirsch (vice-président exécutif GGE en charge des formations en santé), pour superviser la marque Eva Santé. Son nom ? Philippe Jacquier. Son titre officiel ? « chief intégration & recovery office GGE France ». Le début d’un cauchemar pour Matthieu Guilbert, qui s’est longuement confié à Off Investigation.
Des consignes de rentabilité
« Les consignes étaient claires. Augmenter le nombre de formations délivrées très rapidement, ainsi que le nombre d’étudiants, et augmenter le chiffre d’affaires, afin d’atteindre une rentabilité » explique Matthieu Guilbert. L’ancien « directeur régional Grand est » d’Eva Santé y voit un lien avec la politique du groupe GGE qui est « revendu tous les quatre ans à d’autres actionnaires. Cela implique d’avoir toujours un chiffre d’affaires et un nombre d’étudiants en croissance constante. »
Le changement de paradigme chez Eva Santé pourrait être daté du 21 octobre 2022. Ce jour là, Philippe Jacquier met en place un plan nommé « Eva Évolution ». L’objectif décrit par Matthieu Guilbert ? Développer des nouvelles formations, dans des délais courts et sans davantage de moyens, afin qu’Eva Santé devienne une « école complète ». L’épée de Damoclès en cas d’échec ? la fermeture d’Eva Santé, en raison d’un « manque de rentabilité ». Au risque que la direction mette fin aux périodes d’essai en cours, dont celle de Matthieu Guilbert.
Lorsque à peine huit jours après le lancement de ce plan drastique, la N+1 de Mathieu Guilbert se met en arrêt maladie et quitte l’entreprise, il ressent le besoin d’aller voir, pour la première fois, son médecin traitant. Nous sommes le 29 octobre 2022. « Plus les mois passaient, plus l’organigramme s’appauvrissait avec de multiples départs, des projets avortés, des réorganisations travaillées et avortées. En revanche, la charge de travail ne faisait qu’augmenter. En ce qui me concerne j’étais à 53 heures hebdomadaires en moyenne du lundi au dimanche » poursuit l’ancien directeur général « Grand Est » d’Eva Santé auprès d’Off Investigation. C’est à cette période que Muriel Penicaud entre au conseil d’administration de Galileo, maison mère d’Eva Santé.
Une sollicitation excessive
Le cauchemar pour Matthieu Guilbert s’accentue d’autant plus que suite au départ de sa responsable, il passe sous la responsabilité directe de Philippe Jacquier. Augmentation de la charge de travail, délais de rendu toujours plus courts, sollicitations par tous les moyens possibles, vie personnelle qui pâti d’un management qu’il décrit « sournois et délétère », c’est l’enfer au quotidien dans la filliale de Galileo : « Je me souviens aussi avoir voulu différer une réunion en région parisienne le jour des cinq ans de ma fille, mais j’ai vite compris que si j’osais insister, j’allais être pris pour cible ensuite car je prouvais que je n’étais pas « investi corps et âme » pour le business, comme demandé. Les sollicitations surviennent également pendant les jours fériés et les périodes de repos par SMS, appels téléphoniques, mails » nous raconte-t-il.
En février 2023, Matthieu Guilbert revoit son médecin traitant, qu’il reverra une troisième fois en juillet de la même année. Soucieux de ne pas gêner son imployeur, il refuse d’abord l’arrêt de travail proposé par son praticien. Mais à compter du mois d’aout, nerveusement à bout, il accepte enfin de se mettre en arrêt maladie. le 27 octobre 2023, il craque : « J’ai vécu perpétuellement un ascenseur émotionnel depuis ma prise de fonction, jonglant entre coups de pression, parole coupée pendant les réunions, promesses non tenues, mensonges, angoisses de recevoir un appel ou un SMS, infantilisation en m’appelant « mon grand » et en jouant constamment sur un management paternaliste. » raconte Matthieu Guilbert à Off Investigation. Il poursuit : « J’avais à la fois cette crainte de perdre mon emploi mais aussi une volonté d’être valorisé et de réussir dans mes missions en répondant au mieux aux exigences. […] La situation vécue a empiré notamment depuis que j’ai donné des alertes sur des risques psychosociaux. J’ai également saisi l’inspection du travail mais sans résultats » enchaîne l’ancien directeur régional d’Eva Santé.
Selon Matthieu Guilbert, il a dû s’adonner à des pratiques commerciales et managériales aux antipodes de ses convictions et de ses valeurs. Aujourd’hui, il le regrette. L’élément déclencheur de sa prise de recul a été le projet de fermeture d’un site de Eva Santé situé à Châlons-en-Champagne (Marne). Les étudiants en santé présents sur ce site sont rapatriés sur celui de Metz, zone de Matthieu Guilbert (le déménagement aurai finalement lieu en mars 2024, ndlr). La goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
De la vente forcée
« J’ai été amené à faire très souvent de la vente forcée de formations, des entretiens collectifs pour épurer la liste d’attente et faire des admissions massives d’étudiants à proposer en apprentissage aux différents employeurs. Ce n’était pas du tout dans mes valeurs personnelles et professionnelles et je l’ai évoqué à plusieurs reprises » se remémore l’ancien directeur auprès d’Off Investigation.
Lorsqu’il s’occupe du projet de fermeture du site marnais, Matthieu Guilbert indique avoir « été obligé de mettre un terme à la seconde période d’essai de Mme H. Et ce, trois jours avant sa titularisation en CDI ». Il enchaîne : « Il m’a été demandé de transformer l’établissement en unité commerciale, de « rapatrier » les étudiants sur le site de Metz, et de ne plus recruter d’équivalent temps plein de formateurs manquants à la suite de démissions. Il m’a été demandé de pousser à la pression une conseillère formation de Châlons-en-Champagne enceinte, pour la forcer à partir d’elle-même. J’ai préféré mettre en place un accompagnement pour comprendre son arrêt maladie entre février et mai 2023. Nous avons régulièrement eu des entretiens pour réorganiser ses missions. Ma hiérarchie avait indiqué « qu’un prud’homme ne coûterait pas grand-chose » et qu’il « fallait s’en occuper » ». « J’étais un exécutant qui devait rentrer de l’argent et ne pas se poser de question » souffle Matthieu Guilbert, qui a dû vivre avec ce cas de conscience pendant un peu de moins de deux ans.
Licenciement pour « insuffisance professionnelle«
Le calvaire de Matthieu Guilbert prend fin lorsqu’il est convoqué à un entretien préalable à un licenciement, par une lettre datée du 30 août 2023. Le 25 septembre qui suit, il est licencié pour « insuffisance professionnelle » sur l’ensemble de ses missions, avec un préavis de trois mois. Il sera resté un peu plus d’un an et demi chez Galileo.
Une libération d’un côté mais une injustice de l’autre. Matthieu Guilbert a décidé d’engager une procédure prud’homale afin de faire reconnaître la nullité de son licenciement. Les prud’hommes de Metz devront juger si, en le licenciant, son employeur a manqué à ses devoirs de loyauté et de sécurité, lors de l’exécution de son contrat de travail. Son avocate, Marie Jung, confirme « demander la nullité du licenciement qui permet d’avoir une réparation intégrale du préjudice. Les juges ne seront pas limités au barème Macron, qui limite drastiquement les dommages et intérêts en cas d’ancienneté faible. Il faut savoir que les salariés qui font une demande de maladie professionnelle et qui en informent leur employeur comme Matthieu Guilbert, sont protégés du licenciement, car l’employeur ne peut les licencier que pour faute grave ou impossibilité de maintenir le contrat (une justification rarement appliquée et purement théorique et exceptionnelle, ndlr) ». L’avocate enchaîne : « Un licenciement pour insuffisance professionnelle n’est pas une faute grave ou une impossibilité de maintenir le contrat ».
« Maladie professionnelle »
Contactés, Philippe Jacquier n’a pas répondu. Suite à un envoi de questions précises, la direction juridique de Galileo nous a indiqué que « les allégations contenues dans ces questions, tant à propos de Monsieur Guilbert que d’Eva Santé, ou plus largement du groupe Galileo, sont fausses. »
Elle a demandé que nous ne donnions pas les noms de ses collaborateurs. Une demande peu compréhensible pour Philippe Jacquier, au vu de ses fonctions au sein de GGE.
L’audience aux prud’hommes n’est pas encore programmée. Cependant, Matthieu Guilbert a obtenu une victoire le 27 mars dernier. Le comité régional de reconnaissances des maladies professionnelles (CRRMP), chargé de statuer sur les maladies professionnelles lorsque celles-ci ne figurent pas dans le tableau décrété par le ministère du Travail, a donné un avis favorable pour que son épuisement professionnel soit reconnu comme lié à son ancien travail. Un avis qui s’impose à l’assurance maladie pour la prise en charge du patient.
Galileo épinglé par Complément d’Enquête

Si le volet managérial de Galileo Global Education vous a intéressé, Complément d’Enquête a diffusé jeudi 25 avril dernier un numéro sur les milliards de l’apprentissage et ceux qui en profitent. Galiléo gère notamment l’EM Lyon (une école de management, NDLR) et le Cours Florent (une école de cinéma, NDLR). Sur France 2, un cadre encore en poste à Galiléo balance : « La priorité, elle est sur le chiffre d’affaires et sur la marge à la fin de l’année. » Des propos qui font écho à ceux de Matthieu Guilbert.
Autre souci : un journaliste de Complément d’Enquête a pu être admis dans une école du groupe pour une formation de « Marketing International » malgré un niveau d’anglais type collège. Selon le cadre de Galiléo témoignant anonymement dans ce Complément d’Enquête, ce n’est pas isolé car « il faut faire du chiffre ». Entendez remplir les écoles.
Ces dernières années, l’alternance (et son fort subventionnent par l’Etat) aurait permis de booster le chiffre d’affaires de Galileo Global Education. Mais selon le cadre interrogé par France 2, quand un contribuable donne 8 000 euros pour financer la formation d’un étudiant chez Galileo, seuls 1600 euros iraient à l’enseignement. Questionnée sur ces dysfonctionnements, Muriel Penicaud, ancienne ministre du travail d’Emmanuel Macron entrée au conseil d’administration de Galileo fin 2022, est restée évasive.