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Pour remplacer Laurent Fabius à la présidence du Conseil constitutionnel, Emmanuel Macron a proposé Richard Ferrand, l’un des premiers socialistes à avoir rejoint les rangs d’En Marche, en 2016. Un « fidèle entre les fidèles » au passif sulfureux qui s’est déclaré favorable à un troisième mandat présidentiel.
Tribunes, interviews, articles incendiaires… La volonté d’Emmanuel Macron de nommer Richard Ferrand à la présidence du Conseil constitutionnel suscite un tir de barrage inédit dans l’Histoire de la Vème République. Comme l’a révélé ce jour Libération, le professeur de droit public Julien Boudon a même démissionné de la revue du Conseil constitutionnel, estimant que les autorités qui ont la charge de nommer les «sages» les choisissent trop souvent parmi leurs amis ou fidèles, sans considération de leur compétence en droit. A 62 ans, M. Ferrand a été choisi par le chef de l’Etat, le 10 février, pour présider le conseil dans le cadre d’un mandat de neuf ans qui couvrira les élections présidentielles de 2027 et 2032. Si le parlement le confirme, il devrait donc remplacer le socialiste Laurent Fabius, en poste depuis 2016.
Dans les jours qui ont suivi la publication de cet article, nous avons appris que le président du Sénat Gérard Larcher (LR) refuserait de donner une consigne de vote pour soutenir la nomination de Richard Ferrand à la tête du Conseil des Sages. Or, le soutien du groupe LR au Sénat est indispensable au candidat d’Emmanuel Macron pour passer le barrage du Parlement. Sur les 122 parlementaires (49 au Sénat, 73 à l’Assemblée), 62 font partie du « socle commun » (du MoDem à LR) et 60 sont contre. Au total, 74 voix suffiraient à retoquer M. Ferrand.
🔥 CONSEIL CONSTITUTIONNEL : LARCHER CONTRE FERRAND
— Off Investigation (@Offinvestigatio) February 14, 2025
🚨 Selon nos informations, le président du Sénat @gerard_larcher refuse de soutenir la nomination d'un proche d'@EmmanuelMacron à la tête du @Conseil_constit⤵️https://t.co/aJYRYdkUDk
Ce « fidèles entre les fidèles » d’Emmanuel Macron, transfuge du PS, est visé par des accusations de « copinage », notamment de la part de la gauche : « L’exemplarité n’est pas sa caractéristique première, il a trahi sa famille politique d’origine en marchant avec Macron », grince un éminent socialiste qui a connu l’ancien président de l’Assemblée nationale en Bretagne où il a exercé des mandats locaux. « Le Conseil devient un lot de consolation pour les ambitions perdues, c’est problématique. », déplore le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier auprès d’Off Investigation.
Des constitutionnalistes désabusés
A ces reproches, plutôt classiques, déminés par l’Elysée – « c’était le cas aussi pour Roland Dumas avec Mitterrand, Jean-Michel Debré, gardien de la Chiraquie ou de Laurent Fabius avec François Hollande », fait observer un interlocuteur régulier du président de la République – s’ajoute une fronde des juristes et des spécialistes de la Constitution, plus inhabituelle, celle-là. « La nomination envisagée de Richard Ferrand à la présidence du Conseil constitutionnel éclaire le peu de considération d’une partie de notre classe politique à l’égard de cette institution », dénoncent dans une tribune au Monde le constitutionnaliste Dominique Chagnollaud et le professeur de droit public, Jules Lepoutre.
Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille, spécialiste de de droit constitutionnel.« Le Conseil constitutionnel n’est pas une institution vouée à accueillir les figures en pré-retraite mais une instance majeure pour protéger l’Etat de droit. »
« Ce n’est pas un bon candidat », lâche carrément leur confrère Benjamin Morel, sur France Inter ce mardi 11 février. « Le Conseil constitutionnel n’est pas une institution vouée à accueillir les figures en pré-retraite mais une instance majeure pour protéger l’Etat de droit », appuie Jean-Philippe Derosier. Ce que confirme un haut fonctionnaire qui connaît bien les us et coutumes du 2, rue de Montpensier, où siègent les « Sages » deux fois par semaine. « Ce surnom n’est pas un élément de folklore, ce sont vraiment les gardiens de la Constitution », explique notre interlocuteur. D’autant que leur mission s’est considérablement élargie depuis leur création en 1958. « Il n’est pas seulement le juge électoral ou le contrôleur des lois qui lui sont soumises, ils doivent aussi statuer sur les questions prioritaires de constitutionnalité depuis 2008 et statuer sur les demandes de référendums », explique notre source.
État de droit Vs État de droite ?
C’est sur ces points en particulier que la nomination de Richard Ferrand inquiète les spécialistes. « L’État de droit n’a jamais été aussi attaqué, avec une extrême droite qui pourrait potentiellement arriver au pouvoir », détaille Jean-Philippe Derosier. Comprendre : en cas de victoire du Rassemblement national en 2027, les « Sages » se retrouveraient en première ligne. D’autant que les ministres issus de la droite, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, actuellement en poste dans le gouvernement Bayrou, remettent déjà en question l’Etat de droit, ce principe selon lequel la puissance publique est soumise au droit (Vie publique). « Il règne une ambiance générale assez délétère », s’inquiète-t-on au Conseil des sages.
Faux procès, s’agace-t-on en macronie. « Richard a été président de l’Assemblée nationale, il a été garant de la protection des Français et de la Constitution. Ces polémiques ne visent qu’à dévoyer le rôle du Conseil Constitutionnel », le défend le député Ensemble pour la république Ludovic Mendès, sollicité par nos soins. Pourtant, cette défiance contre le droit s’est affirmée au plus au niveau de l’Etat. Emmanuel Macron n’a-t-il déjà pas fragilisé la position des « Sages » en affirmant que Laurent Fabius était son « seul opposant », lors de la réforme des retraites, qui avait précipité les Français dans la rue ?
Un petit monde qui se retrouve…
L’impartialité dont Richard Ferrand devra faire preuve en succédant à Fabius est d’ores et déjà questionnée en raison des soupçons qui ont pesé sur lui dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne (Anticor). La plainte qui le visait avait initialement été classée sans suite pour prescription, en 2017, par le tout nouveau procureur de Brest. Sa supérieure hiérarchique, alors procureure générale près la cour d’appel de Rennes, Véronique Malbec, est ensuite devenue la directrice de cabinet d’Éric Dupond-Moretti à la Chancellerie avant d’être nommée au Conseil constitutionnel sur proposition de… Richard Ferrand en 2022, comme président de l’Assemblée nationale, rappelle Médiapart.
Il retrouvera la magistrate en poste rue de Montpensier mais aussi l’ancienne sénatrice et ministre Jacqueline Gourault, nommée par Emmanuel Macron la même année. Cette personnalité issue du MoDem n’est ni juriste, ni publiciste, contrairement aux usages. « Si on compte sur Ferrand et ce duo pour défendre la Constitution contre le RN, on est mal barrés», en frémit un bon connaisseur de l’institution.
🚨L'asso @anticor_org annonce qu'elle envisage une action en responsabilité pour FAUTE DE L’ETAT commise à son encontre pour le préjudice causé dans la délivrance d’un agrément irrégulier.
— Off Investigation (@Offinvestigatio) November 6, 2024
💥CORRUPTION : CES AFFAIRES QUE MACRON VEUT ENTERRER (repost)https://t.co/trLFj5nIza
Ferrand ouvrira-t-il la voie à un troisième mandat pour Macron ?
Richard Ferrand est aussi le promoteur d’une vision très extensive de la Constitution de 1958. L’ancien président de l’Assemblée nationale l’a démontré en juin 2023 quand il a suggéré qu’il faudrait la modifier pour permettre au président de la république de se présenter une troisième fois, au nom d’une « respiration démocratique ».
« A titre personnel, je regrette tout ce qui bride la libre expression de la souveraineté populaire », défendait-il dans un entretien au Figaro, déplorant la « limitation du mandat présidentiel » (à deux mandats, ndlr) qui « corsète notre vie publique. » Des propos qui avaient provoqué un tollé à l’époque et que les oppositions ne se privent pas de rappeler au bon souvenir du futur président du Conseil constitutionnel. « Rassurant », lâche le sénateur socialiste Alexandre Ouizille, tandis que le député LFI Aurélien Saintoul évoque une « grande combine. »
« Cela jette une suspicion sur les décisions qu’il pourrait prendre. Il faudrait que Richard Ferrand clarifie ses intentions », pontifie de son côté le coordinateur de LFI Manuel Bompard. Or, le président de la république fait régulièrement savoir dans la presse qu’il « regrette » cette limitation instaurée par Nicolas Sarkozy en 2008, rappelle l’un de ses anciens conseillers à Off Investigation. Les constitutionnalistes débattent entre eux de tous les scénarios possibles: « Et si Emmanuel Macron décidait de démissionner pour se représenter dans la foulée malgré l’interdiction des deux mandats, que déciderait le Conseil avec quatre de ses membres qui lui doivent tout, il leur suffirait de retourner l’un de leur camarade pour avoir la majorité ?, s’interroge un expert du droit sous le sceau de l’anonymat. Avant la présidence Macron, c’était de l’ordre de l’impossible mais depuis, tout semble possible. » Même le pire.
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