Gaza, chronique d’une faillite médiatique

« Ci-gît l’humanité. Gaza, le génocide et les médias », un livre de la journaliste indépendante Meriem Laribi.

Dans « Ci-gît l’humanité. Gaza, le génocide et les médias » (éd. Critiques), la journaliste indépendante Meriem Laribi livre un témoignage sensible et indigné d’une année d’horreurs à Gaza, victime du colonialisme israélien et du biais des médias occidentaux. Pendant des mois, elle a interpellé sans relâche l’Élysée et le Quai d’Orsay lors de leurs points presse hebdomadaires.

À l’heure où la bande de Gaza compte ses ruines et ses morts, l’analyse minutieuse du temps présent se révèle précieuse, non sans douleur. Écrit comme un journal de bord, ce livre paru aux Editions Critiques recense mois après mois les ravages subis par les Palestiniens et les lâchetés qui les ont accompagnés.

Propagande guerrière

Journaliste indépendante, collaborant notamment au Monde Diplomatique et Orient XXI, Meriem Laribi y expose la détermination froide et sanglante d’Israël et le soutien indéfectible de ses principaux alliés. Ainsi, depuis les attaques du 7 octobre par le Hamas ayant fait 1 208 morts, l’État hébreux a revendiqué sans faiblir « le droit de se défendre » au nom de la lutte contre le terrorisme selon une stratégie de communication visant l’étranger, la « hasbara », savamment entretenue et relayée.

Devant cette propagande guerrière et messianique, Meriem Laribi s’en tient aux faits, compte les morts, cite les propos déshumanisants de Benjamin Netanyahou et des membres de son gouvernement d’extrême droite. Exemple : pour commenter le bombardement de l’hôpital Al-Ahli le 17 octobre, ses 471 morts et 317 blessés, le premier ministre israélien emploie ces termes : « Il s’agit d’une lutte entre les enfants de la lumière et les enfants des ténèbres, entre l’humanité et la jungle. » La bande de Gaza est devenue « l’endroit le plus dangereux au monde » pour les enfants qui représentent 40% des personnes tuées, selon l’UNICEF.

« État colonial brutal »

D’autres pays, comme, la Colombie, le Brésil ou l’Afrique du Sud, rejoints par quelques européens, l’Espagne et l’Irlande en tête, ont clairement dénoncé cette rhétorique haineuse et les bombardements qu’elle légitime, allant jusqu’à rompre tout lien diplomatique avec Israël. Ce conflit révèle plus que jamais une lutte des regards et une fracture d’humanité sur le caractère des violences perpétrées en Palestine, une bande de terre à peine trois fois plus étendue que Paris.

Ces pages entendent inscrire l’année 2024 dans la longue histoire de la dépossession d’un territoire et de l’oppression d’un peuple par un « État colonial brutal ». De nombreux intellectuels, plusieurs fois cités, comme l’historien israélien Ilan Pappé, se sont employés à en démontrer les effets, aggravés par la guerre : exécutions extra-judiciaires, détentions arbitraires, tortures, privations de libertés, pénuries multiples. Des « traitements inhumains et dégradants », visant particulièrement les femmes, sont ainsi constamment rapportés par les ONG et l’ONU.

« Blanc-seing » sur les plateaux

Doit-on encore parler de « guerre » quand l’affrontement est si inégal, le droit international si ouvertement bafoué, le nombre de morts si disproportionné ? Une nouvelle étude de The Lancet, publiée en janvier 2025, montre que le bilan humain serait d’ailleurs sous-estimé de plus de 40%. Il atteindrait ainsi plus de 64 000 morts directs, dues à des lésions traumatiques, sans compter les disparus sous les décombres et les morts indirects. Au génocide à Gaza, dont la Cour internationale de Justice a reconnu le « risque plausible » en janvier 2024, s’ajoute un urbicide (destruction du milieu urbain) volontaire et politique. Selon l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, près de 70 % des infrastructures, 60 % des maisons et 65 % des routes y ont été anéanties.

Par ce livre, Meriem Laribi tend un miroir à la plupart des médias occidentaux dont la partialité et la désinformation ont contribué à invisibiliser et déshumaniser les Palestiniens. Ce « blanc-seing » donné à Israël s’est particulièrement dévoilé sur les plateaux des chaines d’information en continu avec I24News comme fer de lance. En France, de rares journalistes s’y sont refusés à leur dépend. C’est le cas de Mohamed Kaci de TV5 Monde. En novembre 2023, le présentateur fut désavoué par sa direction et cible de cyberharcèlements, après l’interview d’Olivier Rafowicz, l’omniprésent porte-parole de l’armée israélienne, portant sur la prise de l’hôpital Al Shifa. Saisie, l’Arcom a finalement déclaré, dans un avis rendu en février dernier, qu’il n’avait fait que son travail.

« Des milliers d’images faciles à authentifier sont ignorées par les médias, et le Français moyen qui regarde sa télé le soir ne verra rien »

Meriem Laribi, journaliste indépendante

Comment alors faire exister ce récit sans subir l’opprobre, sans prendre le risque d’être accusé d’antisémitisme ou poursuivi pour apologie du terrorisme, une sanction facilitée en France depuis la circulaire Dupond-Moretti ?

Sans jamais cacher sa légitime émotion ni son soutien aux luttes anticoloniales, Meriem Laribi a su utiliser les réseaux sociaux comme outils d’expression et d’information. « Des milliers d’images faciles à authentifier sont ignorées par les médias, et le Français moyen qui regarde sa télé le soir ne verra rien », souligne-t-elle, se référant principalement aux journalistes palestiniens sur place. Parmi eux, Wael Al-Dahdouh, chef du bureau d’Al-Jazzera à Gaza, Ahmed Alnaouq, fondateur du site We are not numbers, ou encore Rami Abou Jamous, fondateur de Gaza Press et lauréat du Prix-Bayeux pour les correspondants de guerre. D’autres l’ont payé de leur vie. Selon le dernier bilan de Reporters sans frontières, 145 journalistes ont été tués par l’armée israélienne en un an, dont au moins 35 en raison de leur travail. Le site stopmurderingjournalists, fait pour sa part état d’un décompte de 236 journalistes tués à Gaza par l’armée israélienne, indiquant leurs noms, le jour et les circonstances de leur mort.

Pendant des mois, Meriem Laribi a posé sans faillir ses questions aux points presse hebdomadaire de l’Élysée et du Quai d’Orsay, sur les livraisons d’armes et d’équipements par la France, le « double standard » de sa diplomatie ou l’implication des 4000 franco-israéliens dans de possibles « crimes de guerre ». En réponse, des éléments de langage et un mépris récurrent des porte-paroles du gouvernement sans compter « l’hostilité » de certains collègues présents, visiblement agacés d’être bousculés dans leurs habitudes. Ce livre rend justice aux oppressés de l’histoire et au travail acharné de journalistes pour les faire exister.

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