Gaza : quand Le Figaro attaque Le Monde

Le Figaro s’en prend à la ligne éditoriale du Monde pour sa couverture du Proche-Orient  | (Image : AFP)

Avec des papotages, des déductions acrobatiques et des informations douteuses, la polémiste réactionnaire Eugénie Bastié s’est évertuée à clouer au pilori la ligne éditoriale du journal Le Monde sur le Proche-Orient, dans les colonnes de son voisin de droite, Le Figaro.

Dans son article publié le 17 décembre par Le Figaro, Eugénie Bastié se targue de révéler « un malaise grandissant sur le traitement d’Israël dans le journal Le Monde ». Avec, comme à son habitude, des allures de sérieux intellectuel et de rigueur analytique, la chroniqueuse préférée de la droite dure, ne fait en réalité que dénoncer ce qui la dérange : la mise en lumière du calvaire des Palestiniens de Gaza qu’elle souhaiterait qu’on taise, comme c’est le cas dans les médias où elle intervient régulièrement : CNews, Europe 1, ou encore pour la presse écrite, Le Figaro. Un journal qui n’hésite pas à faire la part belle aux inconditionnels soutiens de l’armée israélienne et qui ne se fait pas prier pour nier ou relativiser les accusations de génocide des Palestiniens.

En démocratie, la critique de la ligne éditoriale d’un journal, bien qu’indispensable, peut à son tour être remise en question, notamment sur les méthodes employées qui vont ici jusqu’à tordre les faits.

Ce que Le Figaro a sciemment caché à ses lecteurs…

Le journal de droite consacre presque 2 000 signes au fait qu’« un mur entier » des locaux du Monde est recouvert d’un « patchwork » autour de la cause palestinienne, surnommé « le mur de Gaza ».

Composé de photographies, caricatures et textes, cet assemblage est utilisé par Eugénie Bastié comme un élément majeur qui mettrait en lumière les divisions au sein de la rédaction du Monde entre « ceux qui ont fabriqué ce patchwork » et les autres, concernant sa couverture du conflit israélo-palestinien. Petite précision que Le Figaro se garde toutefois de porter à la connaissance de ses lecteurs : selon plusieurs témoignages que nous avons pu recouper, la composition en question se révèle être la décoration murale du bureau d’une seule et même employée administrative (qui n’écrit donc pas d’articles pour le journal) qui explique n’avoir jamais eu la moindre remarque de ses collègues à ce sujet. Salariée de l’entreprise depuis plusieurs décennies, elle assure qu’elle aurait évidemment pris en compte tout commentaire qui lui aurait été adressé étant donné la configuration « open space » des locaux. Selon nos informations, lorsqu’il s’est entretenu avec Eugénie Bastié, Jérôme Fénoglio, directeur du Monde, lui avait donné ces informations (initiative privée d’une salariée administrative sans aucune dimension éditoriale), mais l’inspectrice du Figaro, en se contentant de tronquer la réponse qui lui a été apportée à ce sujet, a préféré laisser le pluriel pour suggérer, à tort, qu’il s’agirait d’une démarche collective.

La polémiste de CNews rapporte par ailleurs des témoignages anonymes selon lesquels l’assemblage en question « choque une partie de la rédaction ». L’absence de remarque adressée à la principale intéressée serait-t-elle liée à « l’omerta » dans les locaux du Monde, décrite par un des interlocuteurs de Bastié ? « L’omerta est créée par ceux qui refusent d’exprimer leur point de vue. Notre direction n’est pas impériale comme elle a pu l’être sous le magistère d’Edwy Plenel qui avait un poids très fort sur la rédaction », répond un des journalistes du Monde contactés par Off-investigation. « Nos détracteurs se posent en martyrs de la liberté d’expression, mais ils ne se sont pratiquement jamais exprimés en public. Nous avons eu droit à beaucoup de bruits de couloirs, des citations anonymes dans des articles, des racontars, mais en 15 mois de guerre, seul un membre de l’équipe a exprimé son désaccord au service international. C’était une conversation, chacun a pu s’exprimer », explique un autre membre de la rédaction internationale.

La rédaction du Monde « minée par les divisions »… Mais encore ?

Il est à noter que de son côté, Le Figaro ne donne aucun ordre de grandeur du nombre de journalistes du Monde gênés par sa ligne éditoriale sur le Proche-Orient. S’agit-il de deux, trois, 10, 50 ou 200 personnes sur les 550 membres de la rédaction ? Nous ne le saurons pas. En tout cas, selon un des témoignages obtenus par Eugénie Bastié, ce malaise éditorial dont elle ne sait évaluer l’ampleur, pourrait s’expliquer par un « conflit générationnel » au Monde, avec une « jeune génération wokisée qui suit l’agenda politique de Jean-Luc Mélenchon », face à laquelle la direction serait « tétanisée ». Après une rapide recherche sur la composition du service international, Off Investigation a pu constater que la ligne du Monde sur le Moyen-Orient semblait surtout entre les mains de journalistes ayant chacun une expérience de terrain de plusieurs décennies, et dont la moyenne d’âge apparaît bien plus élevée que la jeune génération mise en cause par Bastié.

Interrogé au sujet des divisions ressenties dans les locaux du Monde, un de nos interlocuteurs ne remet pas en cause la diversité d’opinions qui existe au sein d’une rédaction de plusieurs centaines de journalistes : « Il y a des gens dans la rédaction qui sont sans doute plus attachés à Israël qu’à sa représentation politique. On est une rédaction très nombreuse, il y a forcément des divergences et c’est normal. »

Quant à « l’omerta » et au climat de « peur » décrits par Bastié, Raphaëlle Bacqué, Grand reporter et présidente de la Société des rédacteurs du Monde (SRM), exprime son étonnement et souligne que sa rédaction compte de nombreux journalistes « hyper chevronnés, qui vont dans des zones de guerre, font face à des situations terribles et travaillent dans des zones dangereuses où la liberté d’expression est muselée, dans des dictatures, comment peuvent-ils avoir peur de parler à leurs collègues ? On peut parfaitement avoir des discussions contradictoires. » La SRM qu’elle préside organise trois ou quatre comités de rédaction par an. En plus des discussions informelles et des conférences de rédaction quotidiennes, c’est aussi l’occasion de discuter des problèmes internes. « Il n’y a jamais eu de scandale, on peut faire des erreurs, comme celle que pointe Bastié sur l’emploi du terme “martyr”, oui c’était une erreur, on l’a reconnue, on est ouverts à la discussion et à l’autocritique », assure-t-elle.

Le lendemain de la publication de l’article du Figaro, comme tous les jours, une conférence de rédaction s’est tenue au Monde, « la réunion de midi » à laquelle ont participé une bonne centaine de personnes et durant laquelle, selon plusieurs participants que nous avons joints, l’ambiance était plutôt au soutien à l’équipe du service international.

« Bien sûr, il y a des débats et des désaccords, sur le sujet du Proche-Orient, comme sur un tas d’autres sujets, c’est tout à fait normal et sain »

Raphaëlle Bacqué, Grand reporter et présidente de la Société des rédacteurs du Monde (SRM)

Raphaëlle Bacqué confirme : « Les gens étaient émus et mécontents de la déformation de la réalité et de ces photos volées » dans l’article du Figaro qui dépeint une rédaction divisée. « Ce n’est pas du tout le cas. Bien sûr, il y a des débats et des désaccords, sur le sujet du Proche-Orient, comme sur un tas d’autres sujets, c’est tout à fait normal et sain. Il n’y a pas plus de débats sur Israël-Palestine au sein de la rédaction que sur beaucoup d’autres sujets », développe-t-elle. Et de rappeler qu’une quinzaine de journalistes, correspondants et envoyés spéciaux concourent à la couverture du Proche-Orient. « Benjamin Barthe n’est pas du tout le seul à chapeauter le service. Il est l’un des cinq rédacteurs en chef adjoints et ils ont une cheffe de service [Stéphanie Le Bars] », rappelle la journaliste.

Le Figaro, allergique à la cause palestinienne ?

Images à l’appui, Eugénie Bastié offre à ses lecteurs une analyse haute en couleur de l’œuvre murale pro-palestinienne évoquée plus haut. « Des caricatures affichées frisent l’antisémitisme ou le complotisme : une femme pleurant son enfant mort dans ses bras devant une forêt de micros avec cette légende “Mais condamnez-vous le Hamas ?” suggérant un unanimisme médiatique imposé », peste l’auteure de l’enquête, confirmant ainsi sa participation au biais médiatique qu’elle essaie de dénoncer. Ce biais médiatique, qui s’est révélé particulièrement violent dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre, consiste à dénigrer quasi-systématiquement les voix françaises qui s’élèvent pour dénoncer l’agenda colonial de l’État hébreu, les crimes commis par son armée, et leur imposer en préambule de toute réflexion la question : « Est-ce que vous condamnez le Hamas ? »

Et Eugénie Bastié de s’offusquer devant « une autre caricature représentant une main tenant un produit avec l’étiquette “Nettoyage ethnique” vaporisant du sang sur une carte de la Palestine ». N’en déplaise à cette habituée des plateaux télé, le terme de nettoyage ethnique qu’elle s’efforce ici de décrédibiliser, correspond pourtant à une réalité abondamment documentée. Dénoncé par d’anciens hauts responsables de l’État hébreu (Daniel Levy, décembre 2023) et les nouveaux historiens israéliens comme Ilan Pappé, par d’innombrables ONG et ce 19 décembre par Médecins sans frontières (MSF), ce nettoyage ethnique est d’ailleurs régulièrement revendiqué au sein-même de l’actuel gouvernement israélien (notamment avec ses ministres suprémacistes Amihai Eliyahu, Bezalel Smotrich, Orit Strock ou encore Itamar Ben Gvir).

Le Monde moins « équilibré » que Le New York Times… Vraiment ?

Pour appuyer son propos selon lequel la ligne éditoriale du Monde serait en proie à un biais pro-palestinien, Le Figaro rapporte le témoignage anonyme d’un ancien administrateur du journal du soir : « Le New York Times est bien plus équilibré que Le Monde dans sa couverture du conflit. » Et Eugénie Bastié de préciser que cela concernerait particulièrement « la documentation des viols commis le 7 octobre. Un travail que n’a jamais fait le Monde, qui s’est contenté de reprendre des rapports écrits par des ONG sur ce sujet. » 

Nous avons relevé pas moins de quatre articles du Monde (dont deux de leur correspondant à Jérusalem et deux avec AFP) consacrés aux allégations de viols « massifs et systématiques » qui auraient été commis par le Hamas le 7 octobre 2023, ici, ici, et . Les sources sont diverses : avocats, associations, police et gouvernement israéliens, ainsi que l’ONU qui a envoyé une délégation sur place. Celle-ci a d’ailleurs réclamé une enquête indépendante sur ces allégations, refusée par les autorités israéliennes qui monopolisent les informations sur ce sujet. En somme, le Monde a traité le sujet comme l’ont fait la plupart des journaux grand public internationaux. Quant au New York Times, il s’est en effet distingué mais pas dans le sens d’une plus grande rigueur déontologique. C’est un euphémisme que de le dire. Eugénie Bastié serait en effet bien inspirée de nuancer sa célébration du travail « équilibré » du New York Times sur ce sujet. L’article le plus marquant publié par le quotidien étasunien fin décembre 2023 a été largement remis en cause. Il prenait comme fil conducteur l’histoire de Gal Abdush, une jeune femme israélienne tuée avec son mari aux abords du festival Nova par le Hamas. Après la publication, Miral Alter, la soeur de la victime a très vite réfuté les allégations de viol avancées par le New York Times expliquant que la famille avait échangé avec le couple quasiment jusqu’aux derniers instants avant qu’ils ne soient tués. La famille a accusé le journal d’avoir manipulé ses témoignages et de ne pas l’avoir informée que l’angle de l’article portrait sur le viol. Voici ce que Miral Alter a déclaré dans un commentaire Instagram du 2 janvier. « Ma sœur n’a pas été violée… Il n’y avait aucune preuve qu’il y ait eu viol ». Elle a également souligné que le temps écoulé entre le dernier message de Gal dans le groupe familial et le moment de son meurtre rendait impossible qu’un viol ait eu lieu : « Comment en 4 minutes [ont-ils] été violés et brûlés [?] demande-t-elle. Si nous avions su que le New York Times allait présenter l’histoire comme un viol, jamais nous n’aurions accepté, jamais […] Il n’y a aucune preuve de viol et s’il y en avait une, on voudrait bien sûr la connaître. » 

Les choses ne se sont pas arrangées pour le journal newyorkais quand il s’est avéré qu’Anat Schwartz, l’une des co-signataires de l’article n’avait jamais travaillé comme journaliste auparavant et avait servi comme officier du renseignement dans l’armée de l’air… israélienne. Le quotidien a ensuite annoncé cesser sa collaboration avec cette Israélienne qui, de surcroît, avait “liké” des publications appelant à transformer Gaza en « abattoir » et à « violer toutes les lois pour atteindre la victoire », car « ceux qui sont en face sont des animaux humains ». Et le journal a fini par renoncer à diffuser le podcast qui devait suivre l’article. 

Notons par ailleurs que le New York Times a déjà été épinglé pour des consignes données en interne sur l’utilisation de certains mots. En avril 2024, le média en ligne The Intercept rapportait une note de service du journal demandant aux journalistes d’éviter les mots « génocide », « nettoyage ethnique » et « territoire occupé ».

Si le New York Times a pu démontrer un certain biais pro-israélien qui convient à Eugénie Bastié, est-il permis de conclure, comme elle le fait, que Le Monde aurait, lui, une ligne pro-palestinienne ? « Ce n’est pas vrai ! On essaye de décrire les faits et la complexité de cette réalité. Nous n’avons pas de ligne idéologique, contrairement à Eugénie Bastié qui voudrait qu’on ait une ligne pro-Netanyahou. C’est un conflit extrêmement difficile et polarisant et nous sommes le journal qui en a le traitement le plus riche, avec une grande diversité d’angles et de formats », répond Raphaëlle Bacqué. Et de citer les nombreux reportages et articles rendant compte du point de vue de la société israélienne, de même que le récit, du mieux possible, de ce qui se passe à Gaza, où la presse internationale est interdite d’entrée par les autorités israéliennes. 

Quand Eugénie Bastié participe à une campagne diffamatoire contre son confrère Benjamin Barthe

Présentée sous la forme d’une enquête, l’article du Figaro qui nous intéresse aujourd’hui repose par ailleurs sur le procès d’intention contre un confrère, Benjamin Barthe, dont la vie privée est jetée en pâture dès les premières lignes. Rédacteur en chef adjoint du service international du Monde, ancien correspondant en Palestine occupée et prix Albert Londres, Benjamin Barthe est ciblé depuis plusieurs mois par une intense campagne de dénigrement et d’intimidation, dans le cadre de laquelle il a dû déposer une plainte pour menaces de mort. Qu’à cela ne tienne, c’est aujourd’hui au tour du Figaro d’enfoncer le clou en lui attribuant, sur la base de procédés contestables, une emprise nocive sur la rédaction du Monde. Dès le chapô, Bastié annonce la couleur : « Le cas de Benjamin Barthe, rédacteur en chef adjoint du service international marié à une activiste palestinienne, enflamme la rédaction. » Pas du tout racoleur… 

Le journal de droite rejoint ainsi une longue liste de publications pro-israéliennes (Franc-Tireur, JDD, I24 News, Le Point, Causeur mais aussi Tribune juive ou encore des posts de la part de la députée Caroline Yadan) dans une campagne diffamatoire contre le journaliste Benjamin Barthe qui s’est intensifiée depuis le 7 octobre 2023. En cause, non pas son travail mais les publications sur X de sa femme, palestinienne, révulsée par le massacre de son peuple. En quoi Benjamin Barthe devrait être comptable des posts de sa femme ? Il est sous « influence » de celle-ci, selon Eugénie Bastié qui développe une théorie des plus conspirationnistes : un post de son épouse sur X tombait au même moment qu’un article du journaliste dans Le Monde sur un sujet d’actualité chaude qui concernait la Palestine, thématique de spécialité de Barthe. Mais selon Bastié, l’interdiction d’entrée en France d’un médecin palestinien, Ghassan Abou Sitta (dont elle écorche le prénom, en l’écrivant “Gasshan”), sujet de l’article incriminé, ne méritait pas d’être traitée, laissant entendre que c’était une banale histoire de visa qui n’intéressait personne. Or, à la même date où Barthe signe (sous influence de sa femme, selon Bastié) ce papier, le 4 mai 2024, des articles sur le refoulement d’Abou Sitta sont publiés sur RFI, I24 News, Mediapart, L’Humanité, le sujet est traité en interview sur France 24, et une dépêche AFP est reprise sur Ouest-France, le Parisien et – dommage pour Bastié – Le Figaro et Europe 1… C’est dire si le sujet n’intéressait personne d’autre que les époux Barthe.

Fausse compassion, vrai cynisme

Avec l’aplomb et l’assurance qui la caractérisent sur des sujets qu’elle ne maîtrise pas, Eugénie Bastié pointe en outre un article publié le 8 octobre 2024, dans lequel Le Monde, faisait le bilan, « un an après le début de l’offensive lancée par les Israéliens en représailles aux attaques terroristes du Hamas ». C’est « factuellement contestable » décide Bastié selon qui « le premier raid dans la bande de Gaza a lieu le 13 octobre » 2023.

Il ne s’est trouvé personne dans l’ensemble de la chaîne de publication du Figaro pour relever cette énormité. Les bombardements de Gaza ont commencé le 7 octobre 2023 dans l’après-midi, si bien que le lendemain, France 24, titrait : « En images : dans l’enfer de Gaza, sous les bombes de la riposte israélienne » et dressait le bilan de 410 morts et près de 2 300 blessés. Le 13 octobre, date avancée par Bastié, le bilan passait à 1 900 Palestiniens tués par Israël à Gaza

Réseaux sociaux, plateaux télé, presse écrite : toujours les mêmes contorsions

Eugénie Bastié n’a eu de cesse de défendre Israël et ne s’est autorisée que quelques minimes concessions sur la souffrance des Gazaouis, comme dans cet article du Figaro où elle autorise son lecteur éprouver de « l’émotion envers ce qui se passe à Gaza ». Mais à ce propos, elle conteste toute accusation de génocide ou de nettoyage ethnique. Dans un post du 23 novembre 2023, elle écrivait : « Sémantique de l’outrance et du déni : parler de « génocide » et de « nettoyage ethnique » à Gaza et de « rixe » et de « bagarre » à Crépol. Symptomatique d’un monde qui n’arrive plus à justement nommer les choses (sans vouloir minimiser l’horreur d’un côté comme de l’autre). » Heureusement que Bastié est là pour nous aider à bien nommer les choses et nous remettre la tête à l’endroit : il y a, comme chacun sait, une bagarre et une rixe à Gaza et un génocide et un nettoyage ethnique à Crépol. 

Cette championne de la rhétorique contorsionniste, abonnée au plateau de CNews, y déclarait (en mars) à propos du colonialisme israélien qu’il est « au cœur de la haine antisioniste et du rejet d’Israël […] et je ne pense qu’Israël soit un Etat colonial. Alors ça ne veut pas dire qu’il [n’]y a [pas] de colonisation en Cisjordanie qui est inacceptable et qu’il faut dénoncer, mais fondamentalement Israël n’est pas un Etat colonial ». Et de poursuivre : « Le problème c’est qu’Israël s’est construit au moment où dans tous les autres pays il y avait la décolonisation, donc on a plaqué sur Israël ce modèle du colonialisme et cette rhétorique est très dangereuse parce que dans l’idée de l’extrême gauche, le colonialisme, c’est le crime absolu, le crime impardonnable, c’est le crime qui est dans leur esprit l’équivalent du génocide des juifs, de la Shoah, et si on dit que c’est le crime impardonnable tout est permis contre ce crime-là, et c’est ce que dit Sartre au moment de la guerre d’Algérie, il dit que le terrorisme est permis contre le colonialisme parce que le colonialisme est le crime absolu, donc derrière cette idée, il y a une légitimation du terrorisme. »

Résumons cette performance acrobatique : si nous devions faire un raccourci entre le début et la fin du raisonnement d’Eugénie Bastié, il faut comprendre que selon elle, affirmer qu’Israël est un Etat colonial, c’est légitimer le terrorisme. 

Dans un avis publié le 22 novembre 2024, Le Monde rendait compte de l’auto-saisine de son comité d’éthique et de déontologie, face à la campagne « virulente portant sur sa couverture du conflit au Proche-Orient [qui] vise nommément l’un des chefs adjoints du service international, Benjamin Barthe. » Après analyse des différentes publications hostiles, le comité a considéré « important de qualifier ces attaques comme participant à une campagne d’intimidation visant à peser sur les choix éditoriaux dans sa couverture du conflit au Proche-Orient. » Un avis qui semble partagé par un grand nombre de journalistes de différentes rédactions qui ont exprimé publiquement leur soutien à Benjamin Barthe, comme Olivier Tesquet (Telerama), Akram Belkaïd (Le Monde diplomatique), Quentin Muller (Marianne), Edwy Plenel (Mediapart), Nadia Sweeny (Le Média), Armin Arefi (Le Point) ou encore un récent édito de L’Humanité. Pour la présidente de la Société des rédacteurs du Monde, Raphaëlle Bacqué, le conflit israélo-palestinien fait partie de ceux qu’on a tendance à importer « à des fins intérieures pour alimenter une polarisation de l’opinion en France, c’est dommage ».

Alors que nous publions cet article, nous prenons connaissance, via un communiqué de la direction de la rédaction du Monde, que certaines images du « mur de Gaza » évoqué plus haut, ont été supprimées. Une victoire pour Eugénie Bastié ? La chroniqueuse de CNews n’a en tout cas pas tardé à partager cette décision auprès de sa communauté sur les réseaux sociaux.

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