EXCLUSIF | Les 25 et 26 novembre dernier, Jean-Marc Morandini a comparu en appel à Paris après avoir été condamné en 2023 pour « harcèlement sexuel » et « travail dissimulé » en tant que producteur des « Faucons », une série audiovisuelle qui se passionnait pour les vestiaires d’une équipe de foot. Malgré l’ampleur médiatique de ce scandale révélé en 2016 par les Inrocks, seul Off Investigation était présent lors de ces deux jours d’audience.
Du 25 au 26 novembre, la Cour d’Appel de Paris a accueilli une audience très intimiste, celle de Jean-Marc Morandini, jugé en appel pour des faits de harcèlement sexuel et de travail dissimulé. Au deuxième jour de cette audience, aucun autre journaliste que ceux d’Off Investigation n’était présent dans la salle. L’affaire avait pourtant fait grand bruit en juillet 2016, après les révélations du magazine Les Inrocks, et mené à une grève massive des salariés d’I-Télé, pour protester contre l’arrivée à l’antenne de l’animateur, alors visé par de nombreuses plaintes.
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Devant la 14ème chambre correctionnelle, l’animateur vedette de CNews a fait face à trois des cinq plaignants de son affaire, de jeunes hommes. Il a été rappelé qu’ils étaient 14 concernés par les mêmes faits. Mais pour neuf d’entre eux, un non-lieu a été prononcé.
Sous fausse identité, Morandini réclamait des scènes de fellation
L’affaire éclate en juillet 2016, lorsque le magazine Les Inrocks publie un article sur la web série « Les Faucons », produite par Jean-Marc Morandini, et dont le tournage a eu lieu entre fin 2015 et début 2016. Centrée sur une équipe de jeunes footballeurs, elle se révèlera être un piège pour les postulants aux différents rôles.
Les Inrocks révèlent en effet que lorsqu’il poste son annonce sur le site de castings Nawak, l’animateur ne le fait pas en son nom. Il crée un personnage fictif, celui de Catherine Leclerc, directrice de casting, qu’il utilisera des mois durant auprès des postulants. À ceux-là, la fictive Catherine Leclerc fera des demandes très particulières. Elle réclame des photos et vidéos des jeunes hommes, nus. À certains, elle demande des vidéos de masturbation. À l’un des postulants, Gabriel, elle va jusqu’à solliciter une scène de fellation sur Jean-Marc Morandini, pour son deuxième entretien, précisant qu’il « n’est pas n’importe qui… Star télé et radio ».
Un système de rémunération problématique
Les requêtes de Jean-Marc Morandini, se faisant passer pour Catherine Leclerc, sont d’autant plus déconcertantes qu’il est précisé aux comédiens que la série comportera peu de scènes de nu. Mais sur le tournage, les scripts initiaux se voient parfois modifiés. Y sont ajoutées des scènes d’érection, ou bien de masturbation. Certains des comédiens acceptent les changements, d’autres refusent de tourner des scènes. Selon Les Inrocks, beaucoup se seraient senti floués.
C’est également la rémunération des acteurs qui pose problème. Plusieurs d’entre eux se voient remettre de petites sommes (deux fois 50 euros) ; d’autres ne sont pas rémunérés. Certains ne sont pas non plus déclarés auprès des organismes sociaux et ne signent aucun contrat de travail. Pourtant, l’annonce indiquait bien qu’il s’agissait d’un tournage rémunéré.
Classée, l’affaire refait surface : Morandini est jugé coupable
Le volet judiciaire s’enclenche à la suite de la publication de l’article des Inrocks. Plusieurs des acteurs portent plainte contre l’animateur et sa société de production Ne Zappez Pas ! Production. En décembre 2016, le parquet classe l’affaire. Mais de nouvelles plaintes sont déposées, et le 29 août 2023, Jean-Marc Morandini est finalement jugé par le Tribunal judiciaire de Paris pour travail dissimulé (concernant cinq plaignants), et harcèlement sexuel envers un plaignant. Il sera déclaré coupable.
S’agissant du travail dissimulé, les juges ont notamment considéré que les acteurs, même sans contrat, se devaient de suivre les consignes des réalisateur et producteur, créant là un lien de subordination, caractéristique de la relation de travail contractuelle.
Pour ce qui est du harcèlement sexuel envers l’un des plaignants, âgé de 19 ans au moment du casting et du tournage, la justice a considéré que par ses requêtes, l’animateur, au travers du faux profil de Catherine Leclerc, avait abusé de sa position, du fait de sa notoriété. Jugeant que l’accusé avait pleinement conscience de la nature sexuelle de ses demandes, Jean-Marc Morandini était condamné à six mois de prison avec sursis probatoire de deux ans, obligation de soins psychologiques, et se voyait privé de son droit d’éligibilité pour trois ans. Sa société de production était quant à elle condamnée pour travail dissimulé.
Une audience très intimiste, passée sous le radar médiatique
Ayant fait appel de la décision, Jean-Marc Morandini se retrouvait donc de nouveau sur le banc des accusés, en ce mois de novembre 2024.
À la barre, les trois plaignants présents vont se succéder, et décrire les mêmes procédés, et stratégies de l’animateur. Tous évoquent l’importance qu’il accordait au « caractère imberbe des postulants » qu’il souhaitait voir rajeunis, leur demandant de se raser autour de leurs parties intimes. Ils font également état des pressions exercées sur eux, par « Catherine Leclerc », voire Morandini lui-même. Devant la cour, ils rappellent leur jeune âge au moment des faits, et leur absence d’expérience dans le cinéma pour certains, mais aussi la notoriété de l’animateur, en qui ils plaçaient une certaine forme de confiance. Jonathan, l’un des plaignants, décrit à la barre les mots de l’animateur, pour toujours « [les] emmener au-delà de ce qui est prévu à la base ». Gabriel quant à lui, relate cette rencontre entre lui et Jean-Marc Morandini, qui le fait assister à son émission : « J’ai bien compris la grandeur et le rayonnement de cette personne », à qui « il est très difficile de dire non ».
Et puis, ils décrivent les demandes incessantes de photos et de vidéos de la part de l’animateur.
« Se lâcher », « se lâcher encore plus », « repousser ses limites »…
Victor, l’un d’eux, relate la demande de l’animateur vedette, suite à un entretien, de trois vidéos où il devait « se lâcher ». Après un premier envoi, l’animateur souhaite qu’il en tourne une autre « en se lâchant encore plus » ; puis une dernière, dans laquelle il devrait être « mieux éclairé ».
Gabriel lui, raconte des demandes de vidéos formulées par « Catherine Leclerc », où il se devait de « repousser ses limites ». Après chaque envoi, « la directrice de casting » fictive lui en demande toujours plus, allant même jusqu’à réclamer au jeune homme une vidéo d’éjaculation. À ces requêtes incessantes s’ajoutent, dit il, une stratégie visant à « dédramatiser les scènes qui allaient être jouées », comme lorsque, hésitant face à l’une d’elles, Catherine lui rétorque : « d’autres l’ont fait avant toi ».
Lors des auditions des parties civiles et de leur conseil, la Cour prend soin de les interroger sur les conséquences des événements vécus, dans leur vie, et parle du « parcours du combattant des victimes ».
La série « Les faucons » ayant été largement diffusée sur le web ces dernières années, notamment sur des sites pornographiques, plusieurs plaignants évoqueront le harcèlement en ligne et les sollicitations sexuelles d’inconnus qu’ils ont subi, et continuent aujourd’hui, presque 10 ans plus tard, de subir. Plusieurs ont abandonné leur projet, voire leur rêve, de devenir acteur. C’est le cas de Quentin, que son avocate décrit comme « complètement détruit », « blessé dans sa dignité la plus profonde ». Blacklisté, ayant quitté le monde du cinéma, il déclarait à son conseil : « Lorsque l’on touche à Monsieur Morandini, qui appartient au groupe Bolloré, bah on touche au groupe Bolloré ».
Victor lui, décrit une période sombre dans sa vie, au cours de laquelle il voulait « essayer d’oublier ». Aujourd’hui, il voit toujours un psychologue, en lien avec ces événements.
Une audience éprouvante pour les plaignants
Malgré la difficulté que peut représenter pour eux cette audience, les trois plaignants présents vont témoigner de cet « après », difficile et douloureux. Jonathan, après avoir apporté son soutien à ses « camarades », terminera son audition en déclarant : « Je sais que la chose que je fais est noble. Je le fais pour une vraie cause ».
Quand vient son tour face à la Cour, Jean-Marc Morandini, apparait peu convaincant. Interrogé sur la création du personnage de Catherine Leclerc, et la dissimulation de sa véritable identité, il explique n’avoir pas souhaité que son nom soit affiché sur l’annonce de casting de peur que des personnes postulent « juste parce que c’était [lui] ». Quand une des magistrates lui fait remarquer qu’il aurait pu faire appel à son réalisateur en lieu et place d’une personne fictive, il répond : « Oui c’est vrai, mais il était dans le Sud-Ouest ». Expliquant avoir plusieurs fois « voulu arrêter avec Catherine Leclerc », il déclare que ce sont les acteurs qui « voulaient revenir vers elle ».
Quant à la demande de fellation sur sa personne, que la (fausse) directrice de casting demandait à Gabriel, il reconnait qu’elle n’était effectivement pas liée à un épisode de la série, mais nie en avoir fait la demande, affirmant : « C’était une évocation […] On est simplement dans l’évocation ; c’est quoi tes limites en fait ? ».
A la barre, Morandini peine à convaincre
Comme en première instance, l’animateur de la chaîne de Bolloré reconnait la matérialité des faits. Mais il nie de nouveau en appel le harcèlement et les intentions sexuelles personnelles qui lui sont prêtées. Il concède néanmoins avoir compris que « quand on a de la notoriété, on ne peut pas faire ça ». Et lorsque l’avocat d’une des parties civiles, Me Antoine Lachenaud, lui demande s’il a le sentiment d’avoir floué quelqu’un, après un long silence, il répond : « Aujourd’hui, je suis triste de la façon dont ça se passe. »
Des réponses qui ne satisferont pas l’Avocate Générale qui, après avoir d’abord rendu hommage à toutes les victimes de l’affaire, « qui ont eu le courage d’affronter depuis hier Monsieur Morandini », ressort de ces débats en « étant inquiète quant à l’avenir ».
Déclarant que « ce comportement de prédateur [de Jean-Marc Morandini], vis à vis de jeunes majeurs est vraiment inquiétant », elle explique qu’elle aurait voulu entendre des excuses de sa part, qui ne sont jamais venues : « Je vois très bien que rien n’a changé depuis 2015-2016. »
Des réquisitions qui s’alourdissent
Regrettant par ailleurs que le harcèlement sexuel n’ait pas été retenu pour les autres victimes du dossier, elle demandait une confirmation de jugement, avec une aggravation des peines. Ainsi le Parquet a-t-il requis à l’encontre de l’animateur vedette de Cnews, constamment protégé par Vincent Bolloré tout au long de cette affaire, une peine de 18 mois d’emprisonnement assortie d’un sursis probatoire ; une amende de 20 000 euros ; une diffusion sur les sites Nawak et casting.fr de la décision, et la privation du droit d’éligibilité pour trois ans. Ces réquisitions sont donc plus lourdes que la condamnation en première instance, qui, comme nous l’avons vu plus haut, correspondait à six mois de prison avec sursis probatoire de deux ans, obligation de soins psychologiques, et privation de droit d’éligibilité pour trois ans. Pour la société du prévenu, « Ne Zappez Pas! Production », le parquet a requis une amende de 50 000 euros, ainsi qu’un affichage de la décision sur les sites précités.
L’arrêt de la Cour d’Appel sera rendu en janvier 2025. En attendant, Jean-Marc Morandini n’en a pas fini avec la Justice. Il est rejugé aujourd’hui, mercredi 27 novembre, dans le cadre d’une autre affaire, cette fois pour corruption de mineurs, toujours par la Cour d’Appel de Paris. Une de ses réponses au procès des 25 et 26 novembre, résonne. Lorsque la Cour lui demande s’il ne pense pas qu’il y a en lui un côté incitatif, il répond : « Je pense qu’il y a un dialogue avec quelqu’un de majeur. » Un argument qu’il sera difficile de réïtérer aujourd’hui, face à des victimes qui étaient toutes mineures au moment des faits…
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