Hollande et les médias, la grande trahison

« Hollande et les médias, la grande trahison » (Gauthier Mesnier, Emmanuel Gontier, Off investigation, janvier 2025)

Quand en 2011, Dominique Strauss-Kahn trébuche à New-York suite à une accusation de viol, c’est un « boulevard » pour François Hollande. Avec l’aide de sa compagnie Valérie Trierweiler, salariée de Paris Match (Groupe Lagardère) mais aussi de Direct 8 (Vincent Bolloré), le nouveau président socialiste va s’efforcer de tisser avec les milliardaires des médias des liens aussi forts que ceux que son prédécesseur Nicolas Sarkozy. Au risque de mettre la puissance publique à leur service et de sacrifier l’indépendance de l’information ? Un documentaire de Gauthier Mesnier et Emmanuel Gontier

14 mai 2011, New-York. L’affaire du Sofitel prive Dominique Strauss-Kahn (alors directeur du FMI) de ses ambitions présidentielles en France. Une aubaine pour l’outsider socialiste François Hollande, qui va tout faire pour succéder à Nicolas Sarkozy.

Hollande, cet « ami des journalistes »…

Face à un président sortant adoubé par les plus grosses fortunes de France, l’ancien maire de Tulle a de son côté appris à soigner ses relations de travail avec les journalistes, auprès de qui il a souvent joué le rôle de source, comme le confie dans notre documentaire son ancien conseiller en communication, Gaspard Gantzer.

En pleine campagne face à Nicolas Sarkozy, le camp socialiste vante alors un candidat « ami des journalistes », déterminé à sauver les médias de la mainmise de leurs puissants propriétaires. En se présentant lui-même en lutte contre « le monde de la finance », François Hollande parvient finalement à convaincre les Français et s’impose de peu (51,80 %) face à Nicolas Sarkozy.

Qui veut se rapprocher des propriétaires de médias !

Ce que les électeurs du candidat socialiste ne savaient probablement pas à l’époque, c’est que sa compagne Valérie Trierweiler, employée par Arnaud Lagardère via Paris-Match et par Vincent Bolloré via Direct 8 l’encourage depuis plusieurs mois, en coulisses, à se rapprocher des grands propriétaires de médias. Une tâche à laquelle François Hollande s’attelera dès 2011 en se rapprochant de Martin Bouygues, dont le vaisseau amiral, TF1, était pourtant historiquement très pro-Sarkozy.

Profitant de la dégradation des relations entre le président de droite et le magnat du BTP, Hollande tisse des liens avec le second. Et, de façon tout à fait inédite, celui qui est aussi le propriétaire de TF1, s’abstiendra de faire campagne pour Sarkozy en 2012, malgré une proximité quasi-familiale.

Volet social et liberté de la presse : deux renoncements de François Hollande

Mais rien n’est gratuit. Une fois élu, le président socialiste soutiendra plusieurs projets du premier bétonneur français, de qui il se sait redevable. Cette compromission avec le monde des affaires ne sera pas la seule.

Encouragé par des amis de droite, François Hollande nommera à Bercy le jeune Emmanuel Macron. Sous l’influence de l’ex-associé de la banque Rothschild, le chef d’État va alors drastiquement baisser les impôts des entreprises. Sa politique pro-business, il l’accélérera d’ailleurs sans scrupule sous la pression du Medef, ce qui décevra une partie de ses électeurs de gauche. .

« Ce n’est pas le droit à l’information des citoyens qui les motive, ce sont les logiques d’influence et de connivence »

Laurent Mauduit, journaliste d’investigation

En 2013, Libération, seul quotidien qui soutient le président socialiste, est en quasi faillite. L’occasion d’une nouvelle compromission pour Hollande ? Pour sauver le journal, il pactisera avec l’homme d’affaires franco-israélien Patrick Drahi, malgré ses fâcheuses pratiques fiscales et sociales. Ainsi, alors que le patron d’Altice vient de racheter SFR où il taille dans la masse salariale et provoque des grèves inédites, Hollande ne lève pas le petit doigt. En échange, Patrick Drahi nomme à la tête de Libé un homme qui soutient le virage libéral du président de la République : Laurent Joffrin. Un coup terrible pour la presse. « Ce n’est pas le droit à l’information des citoyens qui les motive, ce sont les logiques d’influence et de connivence », analyse pour OFF le journaliste de Mediapart Laurent Mauduit.

Hollande et la mise au pas de la presse « de gauche »

En 2016, alors que l’Europe est confrontée à plusieurs rejets de politiques dites de rigueur (Espagne, Grèce…), le président français maintient son cap austéritaire avec la « loi travail » à l’origine d’un mouvement social qu’il réprimera sévèrement. Bilan : 2 000 arrestations, 500 blessés, dont un éborgné.

A cette époque, face à certains journalistes de renom qui montent en première ligne pour pointer son virage libéral, le président contre-attaque. Selon plusieurs témoignages, François Hollande aurait en effet pactisé avec certains propriétaires de médias pour faire écarter de leurs fonctions plusieurs professionnels de l’information.

« Xavier Niel avait absolument un intérêt vital pour son business à montrer son total alignement sur l’Elysée, et François Hollande avait envie de remettre toute la presse de gauche sociale démocrate au pas »

Aude Lancelin, journaliste

Aude Lancelin, alors directrice adjointe de la rédaction de L’Obs, en sait quelque chose. Au printemps 2016, alors qu’elle incarne à l’Obs une ligne critique de la Hollandie, elle est éjectée de son poste sous pression de Claude Perdriel, avec l’assentiment de Xavier Niel, sous pretexte que « ses opinions » auraient « influencé son travail ». Peu après, Niel obtient l’appui du président de la République pour une renégociation d’un contrat de téléphonie mobile auprès de l’État. « Xavier Niel avait absolument un intérêt vital pour son business à montrer son total alignement sur l’Elysée, et François Hollande avait envie de remettre toute la presse de gauche sociale démocrate au pas », estime aujourd’hui notre consœur.

Ernotte parachutée à la tête de France Télévisions

En 2015, après avoir nommé un des siens (Olivier Schrameck) à la tête du gendarme de l’audiovisuel (à l’époque le CSA), François Hollande intervient pour appuyer une des candidatures au poste de PDG de France Télévisions : celle de Delphine Ernotte. En 2009, elle avait pourtant été impliquée dans un système de harcèlement moral qui avait poussé des dizaines de salariés de France Telecom au suicide. « C’est un parachutage, elle a été parachutée [par François Hollande] », dénonce aujourd’hui Jean-Jacques Cordival, syndicaliste CGC France Télévisions.

« Quand vous faites nommer quelqu’un à la tête du service public de l’information, la personne vous est redevable et vous savez que vous n’allez pas être emmerdé pendant cinq ans », abonde Christophe Nobili, journaliste médias au Canard enchaîné.

Rapidement, pour diriger l’information de France télé, Delphine Ernotte choisit Michel Field, un homme qui s’efforcera d’aider François Hollande à redorer son image face à la crise sociale en cours, en lui préparant entre autres des passages à l’antenne sur mesure.

Toujours plus proche des milliardaires ?

Celui dont les promesses de campagne vantaient une hausse de la taxation les riches, s’acoquinera progressivement avec Bernard Arnault, malgré une tentative d’exil fiscal belge de l’homme le plus riche de France. Durant son mandat, François Hollande s’efforcera également de se rapprocher d’Arnaud Lagardère (propriétaire de Match), alors fortement endetté, à qui l’exécutif offrira un cadeau fiscal de près de 600 millions d’euros. A la suite de quoi François Hollande, bénéficiera pour sa part d’une belle « Une » dans Paris Match… Simple coïncidence ?

Enfin, le président socialiste se montrera particulièrement bienveillant à l’égard de Vincent Bolloré, lors de sa conquête du groupe Canal. Hollande fera notamment en sorte d’éviter l’arrivée de l’Allemand Thomas Rabe à la tête de Vivendi. Il s’efforcera en outre d’empêcher le retrait de la « Caisse des dépôts » du capital du même groupe, qui s’en serait vu affaibli. Des coups de pouce qui arrangeront les affaires de l’homme d’affaires breton, dont l’emprise croissante sur les chaînes du groupe Canal ne semble pas avoir inquiété François Hollande à l’époque.

C’est d’ailleurs le sujet sur lequel nous avons brièvement interrogé l’ancien président socialiste, lors d’une séance de dédicace de son dernier livre, fin 2024, dans une petite librairie parisienne. Après avoir reconnu « ne pas avoir compris assez tôt » l’orientation illibérale de Vincent Bolloré, François Hollande prétendra finalement avoir été l’un des premiers à alerter sur le problème (dans le livre « Conversations privées avec le président », de Karim Rissouli et Antonin André, Albin Michel, Paris, 2016, ndlr). Avant de nous adresser cette dédicace: « Le défi de gouverner suppose, pour être relevé, de maîtriser la communication »…

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