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L’USAID a été de toutes les guerres d’influence américaines. Noyautée par les Démocrates, elle a été brutalement terrassée par Donald Trump et Elon Musk. Depuis, l’institution livre ses secrets. L’Europe et la France ont été ciblées.
Le 24 janvier 2025, Donald Trump ordonne le gel quasi-total de l’aide étrangère administrée par l’USAID, l’agence américaine pour le développement international. La décision est brutale, et donne un blanc sein à Elon Musk, désormais à la tête du DOGE (Département pour l’efficacité gouvernementale) pour achever de démanteler l’agence qu’il s’empresse de qualifier d’« organisation criminelle ».
En quelques jours, l’USAID est ainsi réduite à l’état de spectre : 294 fonctionnaires rescapés sur les 10 000 qui, hier encore, tissaient la toile de l’influence américaine sous couvert de bienfaisance.
USAID letters are being removed from the building here in Washington. pic.twitter.com/oe9zrOJ4Wt
— Reshad Hudson (@ReshadHudson) February 7, 2025
La presse française a choisi d’aborder l’évènement sous l’angle strictement humanitaire. On peut le comprendre : l’USAID finançait jusqu’à 47% de l’aide humanitaire mondiale, et 30 à 40% des ONG françaises. On s’alarme donc de la cessation des flux financiers, en oubliant d’analyser un instrument diplomatique aux multiples usages, souvent éloignés du dévouement philanthropique qu’on lui prête.
Quand la CIA se cachait derrière des opérations de charité
L’USAID voit le jour en 1961 sous l’impulsion de John F. Kennedy. Officiellement, l’agence a pour vocation de structurer l’aide américaine au développement, de coordonner les flux financiers alloués aux pays du tiers monde, de combattre la malnutrition et la maladie ou encore d’exporter les droits de l’homme. L’USAID a pourtant mauvaise presse dans les milieux du renseignement et de l’intelligence économique, tandis que la frange la plus anticonformiste de l’opinion publique ne voit l’USAID que comme un paravent commode de la CIA.
L’illusion humanitaire dissimulerait une réalité plus âpre : celle d’une organisation œuvrant non à la charité, mais à la préservation des intérêts stratégiques des Etats-Unis.
Dès les années 1960, Alfred McCoy, un universitaire américain spécialiste des guerres d’Asie du Sud-Est, expose les liens de l’USAID avec les opérations clandestines américaines au Laos. Il révèle dans son ouvrage « The Politics of Heroin » que l’agence aurait financé l’acquisition de deux avions pour des compagnies Air America Airline et Continental Air Service Inc (toutes deux appartenant à la CIA) et utilisés dans des opérations de trafic d’opium depuis le Triangle d’or.
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William Blum, un journaliste américain (1933 – 2018), enfonce le clou : l’USAID aurait abrité sous son aile des officiers du renseignement opérant à l’international sous couverture. Son « Bureau de la sécurité publique », dissous depuis, entraînait jadis les polices de régimes amis aux méthodes de contre-insurrection, quitte à faire de la torture une science appliquée.
L’affaire « Dan Mitrione », ce fonctionnaire de l’USAID en réalité officier de la CIA, formant la police uruguayenne aux « techniques d’interrogatoire », a jeté une lumière crue sur ces pratiques, qui seront relatées dans le film « Etat de Siège » de Costa Gavras (1973). L’histoire se répète avec le programme CORDS, visant à pacifier les campagnes vietnamiennes en conjuguant propagande, développement civil et intervention militaire, et qui fut l’un des exemples les plus patents de cette collusion. À l’œuvre dans cette opération : l’armée américaine, le Département d’État, la CIA et l’USAID. La mission ? Gagner les « cœurs et les esprits » en neutralisant la rébellion. Le résultat ? Un échec cuisant qui s’éteignit en 1973, avec le retrait américain du Vietnam (Ecole de guerre économique, 2015).
Contrer l’influence russe dans l’arrière cour américaine
Comme dit l’adage, « il n’y a pas de repas gratuit ». La création de l’USAID obéissait d’abord à une logique stratégique : contrer l’influence soviétique, et étendre celle des Etats-Unis. De l’Amérique latine à l’Asie, elle a semé des aides soigneusement orientées, consolidé des régimes en accord avec la doctrine américaine, et participé, parfois en première ligne, à des guerres de l’ombre.
L’affaire « Iran-Contra », (dans laquelle plusieurs hauts responsables du gouvernement Reagan ont, dans les années 1980, soutenu illégalement un trafic d’armes vers l’Iran) en ce sens, demeure emblématique. Et, quand la CIA fut à la même époque éclaboussée par le scandale du financement clandestin des Contras au Nicaragua, l’USAID a par la suite été chargée de reprendre le flambeau. Mission officielle : l’aide humanitaire. Mission réelle : préserver la pression sur le gouvernement sandiniste en encadrant l’assistance aux guérilleros anti-sandinistes, en distribuant ressources et formations pour éviter leur dispersion (ADST, 2016).
La démocratie en kit
A partir des années 1990, on assiste à une multiplication et une montée en puissance des ONG, qui deviennent dès lors des acteurs incontournables des relations internationales. Dans le même temps, des révolutions se multiplient dans les pays de l’ex-URSS. De Belgrade à Kiev, de Tbilissi à Bichkek, un scénario se répète avec une constance admirable : un régime corrompu et vieillissant vacille après une élection entachée de fraudes, un mouvement de jeunesse émerge, drapé dans une couleur vive et un slogan accrocheur, bientôt porté par une foule en liesse qui rêve d’Europe et de liberté. L’opinion occidentale s’enthousiasme, les chancelleries applaudissent, et le tyran est enfin chassé. Pourtant, à y regarder de plus près, le hasard a ici des airs d’organisation.
Car dans les coulisses de ces bouleversements, les mêmes acteurs s’activent (CF2R, mars 2015) : des ONG financées par Washington, l’USAID en première ligne, relayée par la National Endowment for Democracy (NED) – à l’époque présidée par James Woolsey, cet ancien directeur de la CIA qui se vantait de faire espionner les entreprises françaises dans le Figaro –, Freedom House ou encore la tentaculaire Open Society Foundations de George Soros.
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Ces institutions appliquent un mode opératoire désormais bien rodé. Elles forment les leaders de la contestation, affûtent les slogans, vulgarisent les techniques de résistance non violente inspirées des travaux de Gene Sharp, théoricien de la chute des régimes autoritaires par la désobéissance civile.
Renverser les tyrans alignés sur Moscou
Dans son ouvrage « l’import-export de la Démocratie », Camille Gangloff revient sur ces révolutions colorées qui ont émaillé les pays baltes à cette période : révolution des bulldozers en Serbie (2000), révolution des roses en Géorgie (2003), révolution orange en Ukraine (2004) et enfin révolution des Tulipes au Kirghizistan (2005).
Allen Weinstein, fondateur de la National Endowment for Democracy (NED)« Bien des choses que nous faisons maintenant étaient faites clandestinement par la CIA 25 ans auparavant. »
Dans tous ces cas, une constante demeure : ces mouvements ont conduit à l’accession au pouvoir de dirigeants favorablement disposés à l’égard des États-Unis, prompts à s’arrimer aux structures euro-atlantiques et à réduire l’influence de Moscou ou Pékin.
Comme le soulignait dès 1982 l’ancien directeur de la CIA William Colby : « Il n’est pas nécessaire de faire appel à des méthodes clandestines. Nombre des programmes qui, auparavant, étaient menés en sous-main peuvent désormais l’être au grand jour, et par voie de conséquence, sans controverse. » Quant à Allen Weinstein, historien et fondateur de la NED, dont les subsides proviennent de l’USAID, il l’admettait sans détour : « Bien des choses que nous faisons maintenant étaient faites clandestinement par la CIA 25 ans auparavant. »
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