
Malgré un appel à manifester ultramédiatisé après la condamnation de Marine Le Pen à cinq ans d’inéligibilité, le RN n’a réuni que 7 000 personnes à Paris le 6 avril, selon la préfecture de police. Mais, au fil des prises de parole, les intervenants se sont montrés très déterminés.
Ce dimanche 6 avril sur la place Vauban, dans le VIIe arrondissement de Paris, le vent frais fait claquer les drapeaux tricolores ainsi que les étendards frappés de symboles patriotiques (croix de Lorraine ou encore fleurs de lys). Selon la préfecture de police, ils sont 7 000 à avoir répondu présents à cet événement organisé par le Rassemblement national (RN) en soutien à sa candidate historique, Marine Le Pen. Pour rappel, le 31 mars, la patronne des députés RN a été jugée coupable de détournement de fonds publics dans l’affaire des assistants parlementaires et a écopé de quatre ans de prison, dont deux ans ferme aménageable sous bracelet électronique, mais aussi et surtout de cinq ans d’inéligibilité avec application immédiate.
🔴MARINE LE PEN INÉLIGIBLE POUR 2027
— Off Investigation (@Offinvestigatio) March 31, 2025
💥@MLP_officiel est condamnée à quatre ans de prison dont deux ferme, ainsi qu'à CINQ ANS D’INÉLIGIBILITÉ assortis d’une exécution provisoire
⚖️ Elle est reconnue coupable de détournement de fonds publics
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De part et d’autre des barrières qui délimitent l’espace de la manifestation, un agent du service de sécurité du RN lance les premières consignes : « On reste groupés, on avance calmement. » Autour des manifestants, des passants s’arrêtent quelques instants, interloqués, avant de reprendre leur chemin.
Alfonse, 67 ans, retraité de la fonction publique« Nous sommes le peuple français. Et ce peuple a le droit d’exister, d’être respecté, d’être entendu. »
L’ambiance est tendue, mais disciplinée, tandis que la sono entonne des tubes de Dalida ou d’Abba. « On n’a rien à cacher », souffle Clément, 24 ans, étudiant en droit à l’université Paris-Panthéon Assas, arborant un pins tricolore sur le col : « Je suis là parce que je crois qu’on est en train de perdre quelque chose. La France, ce n’est plus ce que c’était… » Autour de lui, beaucoup de jeunes hommes, souvent en bande. À mesure que s’approche les premières prises de parole des barons du parti prévues à 15 heures, l’ambiance devient un peu plus fébrile. En queue de rassemblement, quelques visages plus âgés observent patiemment. Alfonse, retraité de la fonction publique âgé de 67 ans, explique : « Nous sommes le peuple français. Et ce peuple a le droit d’exister, d’être respecté, d’être entendu. »

Quelques boucliers transparents luisent en marge de la place. Entre deux lignes de CRS, d’autres manifestants commencent à se rassembler. On entend d’abord le froissement des drapeaux, tenus haut sur des hampes de bois poli. Sur les écrans géants installés de part et d’autre de la place, les visuels en soutien à Marine Le Pen sont soignés, presque graphiques, comme s’ils avaient été pensés pour Instagram.
Une participation en-deçà des espérances
Une demi-heure après le début supposé du rassemblement, le parti doit se rendre à l’évidence. Cette manifestation ne réunit pas les foules d’une grande journée syndicale. La place Vauban, censée accueillir jusqu’à 10 000 personnes (selon BFMTV), est aux deux tiers vide. En son centre, un jeune boulanger en apprentissage distribue des tracts. Coupe militaire, jean brut, parka vert foncé. Il dit s’appeler Rémi, 22 ans. « Des gens pensent qu’on est violents. Leur avis ne nous intéresse pas. Mais ce qu’on veut, c’est la paix. Pas n’importe quelle paix : une paix enracinée. » À côté de lui, Rebecca, militante du RN « depuis plus d’une décennie », distribue des autocollants aux couleurs du parti. Cheveux attachés en chignon strict, sourire figé. Sur son manteau beige, une petite broche en forme d’hexagone tricolore. Elle évite les journalistes, mais accepte de dire ceci : « On ne veut pas exclure, on veut préserver. »
A la tribune, la première prise de parole est celle de Louis Aliot – également condamné dans l’affaire des assistants du RN, l’actuel maire de Perpignan a échappé à une exécution provisoire de sa peine (France Bleu, 31 mars). Pas de foule anarchique. Tout est calibré. A ses côtés, des messages vidéo de soutien à Marine Le Pen sont diffusés durant plusieurs minutes. Ils proviennent des alliés historiques du RN dans toute l’Europe, de l’Italien Matteo Salvini, à Viktor Orbán en Hongrie, qui font référence à leurs déboires judiciaires respectifs.
Certains agents du service de sécurité du parti portent des brassards blancs. Ils encadrent la marche, parlent peu, mais communiquent entre eux avec des oreillettes. L’organisation évoque plus un service d’ordre froidement structuré qu’une bande d’improvisés. Ici, rien ne dépasse. Et pourtant, tout déborde. À l’autre bout de la place, quelques manifestantes Femen se sont réunies en réaction pour un bref happening avant d’être maîtrisées par le service de sécurité.
Une action des Femen au rassemblement du RN place Vauban à Paris pic.twitter.com/XamNYvVlMq
— BFMTV (@BFMTV) April 6, 2025
Des cars venus de toute la France
La manifestation n’a évidemment pas surgi spontanément de ce quartier parisien. Beaucoup des participants ont voyagé plusieurs heures pour rejoindre la place Vauban, ce bout de Paris encadré par les grilles dorées des Invalides. C’est la première fois que leur mouvement manifeste ici. Un lieu lourd de symboles, à quelques pas de « là où repose Napoléon », comme ne manque pas de le rappeler Jordan Bardella à son auditoire. « Ce n’est pas seulement Marine Le Pen qui est injustement condamnée, c’est la démocratie française qui est exécutée sur une simple décision de justice », déclare le président du RN, qui fustige les « pressions exercées par certaines organisations », notamment le Syndicat de la magistrature, classé à gauche. Enfin, il se félicite que « 10 000 » personnes soient présentes sur la place. Une information rapidement mise en cause, car le lieu était en réalité pour le moins clairsemé. La police parle plutôt de 7 000 manifestants environ.
Jordan Bardella : "Vous êtes plus de 10 000."
— Kunta van den Kinté (@denkinte_2) April 6, 2025
BFM : "Cette place, elle n'est pas remplie… loin de là."
BFM qui fait du fact-checking en direct après les mensonges de Bardella qui veut gonfler les chiffres à la place Vauban. 🤣 🍿 pic.twitter.com/1wcXFNsHoX
Les soutiens du parti, eux, sont pourtant venus de toutes les régions de France : Bourgogne, Savoie, Normandie, Occitanie… Le mouvement a coordonné des bus par région, via des groupes WhatsApp et autres boucles de discussion en ligne.
Antoine, 28 ans, informaticien venu de la Loire« J’ai pris ma voiture. J’ai prévenu mes collègues de section. Ceux qui comprennent, sont venus. Les autres resteront au chaud, ils attendront les élections pour se soulever à leur tour. »
D’autres ont organisé des covoiturages via des canaux plus discrets. Certains, comme Antoine, 28 ans, informaticien venu de la Loire, ont roulé seuls : « Quand j’ai vu que ça se passait à Vauban, j’ai pris ma voiture. J’ai prévenu mes collègues de section. Ceux qui comprennent, sont venus. Les autres resteront au chaud, ils attendront les élections pour se soulever à leur tour. »
Tous ne sont pas encartés, mais beaucoup sont liés de près à des sections locales du parti, ou à des satellites, comme le « Rassemblement national de la jeunesse ». C’est le cas de Marie, 19 ans, étudiante en licence d’histoire venue de la Vienne avec deux camarades de son groupe de jeunes nationalistes. Elle n’a jamais voté mais se dit « engagée à sa façon ». Plus loin, un petit groupe venu de Perpignan, le fief de Louis Aliot, rit autour d’un thermos partagé. Certains arborent des sweat-shirts avec des citations latines imprimées en lettres gothiques. Ils ont roulé toute la nuit, alternant conduite et débats politiques : « C’est pas les urnes qui comptent aujourd’hui. C’est d’être là, de se montrer. On ne veut plus se cacher. »
Arthur, peintre en bâtiment, 34 ans« La droite bourgeoise nous méprise, la gauche nous hait. Tant mieux. On ne veut pas leur plaire »
À l’arrière du cortège, un petit groupe de trentenaires discute à voix basse. Ils évoquent la décadence de l’Occident, la guerre en Ukraine. L’un d’eux, Arthur, qui se présente comme un peintre en bâtiment de 34 ans, n’hésite pas à citer Carl Schmitt (philosophe allemand qui, dans les années 30, a rejoint le parti nazi avant de s’en voir écarté). « La droite bourgeoise nous méprise, la gauche nous hait. Tant mieux. On ne veut pas leur plaire », affirme-t-il. Une référence au contre-rassemblement de la gauche qui a lieu au même moment sur la place de la République, dans le XIe arrondissement.
Rassemblement de la gauche sur la Place de la République à Paris pour protester contre le rassemblement de soutien à Marine Le Pen qui se tient aujourd'hui à Paris. pic.twitter.com/TFAQKt4sRc
— Luc Auffret (@LucAuffret) April 6, 2025
Notre interlocuteur ajoute plus doucement : « Mais on veut être entendus. C’est pas pareil. » A quelques dizaines de mètres de là, dans l’ombre du dôme des Invalides, un couple de touristes venus d’Allemagne s’arrête net, visiblement surpris par la scène qui se joue devant eux.
Finalement, c’est au tour de Marine Le Pen de prendre la parole vers 16h30. La cheffe de file du RN dénonce ainsi une « décision politique » ainsi qu’une « chasse aux sorcières ». « Ce n’est pas une décision de justice, c’est une décision politique » qui a « non seulement bafoué l’État de droit, mais aussi l’État de démocratie », assène-t-elle au micro sous les acclamations de ses partisans.

Pour s’éloigner des marques de soutien affichées à son encontre par son encombrant allié de circonstance, le président américain Donald Trump, et faire taire les critiques l’accusant de préparer un « Capitole à la française » (20 Minutes, 2 avril 2025), la candidate historique du parti fait le choix de références historiques et culturelles qui ne manquent pas de surprendre. Notamment celui de prendre pour modèle le pasteur américain Martin Luther King et son « combat pour les droits civiques ». Une comparaison étonnante. Marine Le Pen accumule également les références bibliques, évoquant tour à tour les « sacerdoces », ou la « couronne d’épines » dont on l’affublerait. Marine Le Pen se rêve-t-elle en martyre de la République ?
A quelques rues de là, sur la place André Tardieu, un groupuscule extraparlementaire en profite pour tenter d’attirer de nouvelles recrues. Devant la station de métro Saint François-Xavier, un jeune homme propose, l’air de rien, des brochures aux partisans du RN qui quittent la manifestation en groupes épars. Signés par le groupuscule d’ultradroite Luminis, le tract affiche l’image d’un couteau ensanglanté, accompagnée d’une série de slogans belliqueux : « Organisons-nous ! Français, debout, bats-toi, tu es ici chez toi ! »
Tract distribué devant la station de métro Saint François-Xavier, à moins de 300 mètres du meeting (VIIe arrondissement de Paris)
À 17 heures, les derniers manifestants se dispersent. Certains partent par petits groupes vers les cafés dont regorge ce quartier parisien huppé. D’autres encore se dirigent vers le métro, avec leur drapeau sous le bras. Dans les bars aux alentours, les discussions reprennent. Une serveuse confie à voix basse : « C’est bizarre de les voir là, si nombreux. Je les croyais marginaux. » Un avant-goût de 2027 ?