Mathieu Jégou envoyé spécial à Clermont-Ferrand🎤
Délais de jugement excessifs, outils et infrastructures informatiques insuffisants ou obsolètes, exécution tardive des décisions de justice, conditions de détention indignes… la décrépitude de la justice française est patente. Pour mettre en lumière ces dysfonctionnements, Mathieu Jégou a rencontré des avocats, des magistrats et des justiciables désespérés.
En octobre 2021, les macronistes lançaient des » États généraux de la Justice ». Ils ont débouché sur un rapport, intitulé : « Rendre justice aux citoyens ». Remis au Président de la République le 08 juillet 2022, ce rapport démontrait sans surprise l’état de délabrement avancé de l’institution judiciaire, après des décennies de politiques publiques défaillantes.
Un « ras le bol » des professionnels
Le 22 novembre dernier, devant le Palais de Justice de Clermont-Ferrand, une manifestation de magistrats et d’avocats marqua le ras-le-bol général des professionnels de Justice face à des décennies d’abandon de ce service public, en France. Nos interlocuteurs déplorent des conditions de travail déplorables, un épuisement professionnel de tous les acteurs, des audiences surchargées, des délais pour obtenir une audience « au-delà du raisonnable », des décisions exécutées plusieurs mois, voire plusieurs années après le jugement. Selon nos interlocuteurs, les réformes mises en place par l’exécutif ne visent qu’à « colmater les brèches » d’un système défaillant.
« Nous travaillons au quotidien dans un service public dégradé », dénonce d’emblée Laurent Rozier, bâtonnier de l’ordre des avocats de Clermont-Ferrand, qui ajoute : « Nous sommes en flux tendu, il va y avoir une implosion de notre système ».
Même sentiment pour Maître Jean-Louis Borie, représentant du Syndicat des avocats de France à Clermont-Ferrand. « Nous menons cette bataille pour les gens … qu’ils aient une Justice accessible, rapide, efficace et de qualité ».
« La situation ne fait qu’empirer, due notamment à la complexité du Droit et au nombre important de recours des citoyens devant la Justice », renchérit Thierry Griffet, Vice-Procureur de la République et délégué régional de l’Union syndical des magistrats. « Trois minutes pour juger un dossier n’est pas tolérable dans notre démocratie ».
Des justiciables désespérés
Retrouver à l’écoute ci-dessous, des cas concrets de citoyens désabusés par la Justice, en France. Florence et Jean-Stéphane sont soignants à l’hôpital de Clermont-Ferrand. Depuis la fin de l’année 2021, ils sont suspendus pour avoir refusé de se faire vacciner. Ils attendent tous les deux de passer devant la Justice, d’obtenir une première audience… pour le moment restée lettre morte.
Isabelle, qui travaille également dans la fonction publique hospitalière, a été harcelée à son travail et est en burn-out depuis des mois. Arrêtée depuis décembre 2020, elle a engagé une procédure contre son employeur : « J’attends… aucune réponse n’est venue de la Justice pour le moment ».
Bernard, travailleur handicapé, a le statut de cadre au sein du Groupe La Poste. Harcelé et mis au placard par sa hiérarchie, il espère qu’un tribunal le rétablira dans ses droits. « Sachant les lenteurs de la Justice, La Poste en a joué bien sûr … et aujourd’hui ça fait deux ans que j’attends un signe ».
» Justice cabossée «
Des situations critiques qui sont mises en perspective par Maître Patrick Roesch, avocat au barreau de Clermont-Ferrand, qui nous a reçu dans son cabinet à Chamalières. « La Justice en France est de plus en plus cabossée », à tel point aujourd’hui que : « Les contentieux engagés par des justiciables contre la Justice, pour des délais de jugement déraisonnables augmentent de plus de 100 % d’année en année ».
Depuis le cabinet de Maître Roesch, à Chamalières, des justiciables évoquent la grande misère de la justice.
Six mois après la remise du rapport des États généraux de la Justice, le garde des Sceaux, Ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, a dévoilé, le 5 janvier 2023, les mesures de son plan d’action pour la Justice. Ce plan sera, en partie, rassemblé dans un projet de loi d’orientation et de programmation, que le ministre souhaite présenter au printemps.
Voici ci-dessous, les principales mesures du plan : Une hausse du budget de la justice de 9,6 à 11 milliards d’euros en 2027, censée permettre de financer, entre autres :
– la revalorisation des rémunérations des agents du ministère
– 15 000 places supplémentaires en prison
– la modernisation des palais de justice
– la numérisation de la justice
– le recrutement de 10 000 fonctionnaires de justice afin de renforcer les effectifs (dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers) à l’horizon 2027.
Le plan de Eric Dupond-Moretti prévoit aussi une » modernisation des procédures civile et pénale » via notamment la création d’une « audience de règlement amiable » qui devrait permettre au juge d’avoir un rôle de conciliateur, en réunissant les parties au début de la procédure. L’objectif ? des délais « divisés par deux » d’ici 2027. Mais aussi une refonte du code de procédure pénale devenu, au fil de multiples révisions, « illisible et inadapté« .
Une Justice « zéro papier » ?
Dans un souci de proximité, le garde des Sceaux a annoncé la création d’une application pour smartphone. Elle donnera des informations sur le fonctionnement de la justice avec, par exemple, un accès à des simulateurs de pension alimentaire ou d’aide juridictionnelle.
Ci-dessous : Le « débrief » du plan d’action de la Justice, avec Maître Roesch, avocat au barreau de Clermont-Ferrand. « Est-ce que ces améliorations (budgétaires) vont permettre de sauver le système ? … L’avenir nous le dira, mais il y a beaucoup à faire… ». Tous les professionnels de Justice, sont vigilants à l’annonce du plan : « Je suis inquiet notamment du volet numérique de ce plan… La Justice, ce n’est pas des algorithmes que l’on rentre dans une machine, pour dire le Droit… Non ! ». Wait and see…
Maître Roesch, avocat au barreau de Clermont-Ferrand, porte un regard critique sur le dernier » plan de modernisation de la justice » annoncé par le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti.