Israël-Palestine
La guerre coloniale s’intensifie

Des soldats israéliens au sud de la frontière gazaouie
Des soldats israéliens au sud de la frontière gazaouie, le 14 novembre 2023 (Photo : FADEL SENNA / AFP)

Suite à l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre dernier (plus de 1200 morts) l’Etat Hébreu bombarde massivement Gaza. Un récit du conflit s’est rapidement imposé sur la plupart des chaînes françaises d’information : celui d’une guerre du bien contre le mal. Pourtant, les circonstances permettent également au gouvernement israélien d’accélérer la mise en œuvre d’objectifs coloniaux plus anciens.

Le 29 novembre, un tweet de Benjamin Netanyahou mal traduit par Google translate pousse de nombreux internautes à croire que le Premier ministre israélien vient de revendiquer le début de la colonisation de Gaza. Le même jour, réagissant à la polémique, certains contrecarrent avec virulence la plausibilité d’un tel scénario. Après avoir traité d’ « abrutis » les internautes piégés par le traducteur le plus utilisé au monde, une journaliste d’I24News – chaîne qui appartient au groupe Altice (Patrick Drahi) et dont la ligne éditoriale est depuis plusieurs années pointée par certains observateurs comme « pro-Netanyahou » – assure qu’affirmer qu’Israël veut coloniser Gaza sert « les intérêts de quelques obsessionnels qui veulent à tout prix que le gouvernement israélien veuille récupérer Gaza alors qu’il affirme dix fois par jour le contraire ».

Notre retour à Gaza implique de nombreuses victimes [mais Gaza] fait partie de la Terre d’Israël et le jour viendra où nous y retournerons.

Orit Strock (parti sioniste religieux), actuelle ministre israélienne des Missions nationales

Lors d’une récente intervention à New-York pendant la 78e Assemblée générale des Nations unies (22 septembre 2023), après une introduction biblique conviant le « grand prophète Moïse » et alors qu’il évoquait le rôle à venir d’Israël au Moyen Orient, Benjamin Netanyahou avait présenté à son auditoire la carte d’un État hébreu effaçant intégralement les territoires palestiniens actuels, dont Gaza. 

Cette prise de parole n’a eu lieu que deux semaines avant le début de l’offensive israélienne enclenchée dans la foulée de l’attaque du Hamas. Rappelons que le mouvement armé palestinien, qualifié par de nombreux Etats occidentaux d’organisation terroriste, aurait été soutenu dans le passé par Benjamin Netanyahou avec entre autres objectifs, celui d’éviter la création d’un Etat palestinien.

Benjamin Netanyahou
Benjamin Netanyahou à la 78ème assemblée générale des Nations Unies le 22 septembre 2023

Autre déclaration rétrospectivement troublante : celle d’Orit Strock (parti sioniste religieux). Actuelle ministre des Missions nationales, elle déclarait en mars 2023 : « Notre retour à Gaza implique de nombreuses victimes [mais Gaza] fait partie de la Terre d’Israël et le jour viendra où nous y retournerons. » 

Son collègue Bezalel Smotrich, ministre des Finances, n’est pas en reste : dans le cadre de l’offensive israélienne en cours, il défend la voix de ceux selon qui l’élimination du Hamas – groupe qu’il avait lui-même considéré en 2014 comme « un atout » stratégique pour Israël – doit passer par la conquête de Gaza, enclave pour laquelle il appelle, selon des titres de la presse israélienne, à « un effondrement total »

Appartenant au parti suprémaciste « Force juive », le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, menace pour sa part de démissionner du gouvernement dans le cas où la guerre à Gaza viendrait à s’arrêter. Fait notable, au moment du retrait des colonies juives de la bande de Gaza (ordonné en 2005 par le Premier ministre de l’époque, Ariel Sharon), Ben Gvir participa en première ligne à des actions visant à soutenir les colons dans leur résistance à l’évacuation. 

Temporairement écarté des réunions gouvernementales fin 2023 en raison d’un dérapage au sujet du potentiel recours israélien à l’arme atomique sur Gaza, le ministre du Patrimoine Amichai Eliyahu appartient, comme Ben Gvir, au parti « Force juive ». Ouvertement favorable à la conquête de l’enclave gazaouie et au rétablissement d’implantations juives, Amichai Eliyahu déclarait début novembre : « Il n’y a pas de civils non impliqués dans la bande de Gaza […]. Ils peuvent aller en Irlande ou dans le désert, les monstres de Gaza devraient trouver une solution par eux-mêmes ». « Le nord de Gaza est plus beau que jamais. Tout faire exploser et tout aplatir est un régal pour les yeux. », s’extasiait-il encore devant l’ampleur des destructions sous les bombardements israéliens. 

« Conquérir Gaza est clairement dans les cartons de certains ministres israéliens »

Contacté, Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières (MSF) de 1982 à 1994, explique avoir du mal à imaginer une colonisation de Gaza dans un futur proche. Mais il considère l’hypothèse comme «un sujet préoccupant plutôt qu’une pure fantaisie». « C’est un projet possible mais je pense qu’il ne verra pas le jour car il serait trop coûteux politiquement pour le gouvernement américain, qui s’y oppose ouvertement », analyse ce natif de Jérusalem, engagé dans l’action humanitaire depuis plus de 40 ans. 

Selon lui, un autre blocage empêche pour l’heure une annexion immédiate de Gaza par l’État hébreu : la division de la droite israélienne sur la question. « Au sein de la droite dure et fascisante israélienne, il y a des gens pour qui Gaza reste un fardeau qu’il faut éviter, car trop coûteux financièrement et politiquement. Pour eux, la priorité est de mettre l’accent sur l’extension de la colonisation en Cisjordanie », résume-t-il, tout en rappelant : « Conquérir Gaza est clairement dans les cartons de certains ministres pour qui cette guerre doit être l’occasion d’accélérer l’annexion de territoires qui, selon eux, appartiennent à Israël ».

Les bombardements indiscriminés de l’armée israélienne sur Gaza, ainsi que son avancée terrestre significative dans le nord de l’enclave, et désormais dans sud, se seraient traduits en deux mois par plus de 15 000 morts et près de 100 000 blessés. Et encore le nombre de morts est pour certains observateurs sous estimé. Une boucherie dont nul ne sait à ce jour ce qui pourrait l’arrêter.

Après la trêve de sept jours qui a rendu possible l’échange de plusieurs dizaines de captifs entre le Hamas et l’État hébreu, le 3 décembre, le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaire (OCHA) a mis en en ligne un rapport faisant figurer des chiffres glaçants concernant la situation à Gaza : 15 500 morts dont environ 70 % de femmes et d’enfants ou encore 1,8 million de personnes déplacées à l’intérieur même de l’enclave. Et, selon un autre rapport de l’OCHA publié quelques jours plus tôt, le parc de logements gazaoui serait endommagé à hauteur de 60 %. En outre, le ciblage volontaire et massif de civils est de plus en plus documenté. Des révélations du média en ligne israélien +972 Magazine publiées le 30 novembre ont démontré comment l’armée israélienne mène régulièrement des frappes à Gaza « même en l’absence de cible militaire claire ». « Nous savons exactement combien de dommages collatéraux il y a dans chaque maison », « l’accent est mis sur la quantité non sur la qualité », estimait le journaliste israélien Yuval Abraham, auteur de cette enquête intitulée  » Une usine d’assassinats de masse : À l’intérieur du bombardement de Gaza calculé par Israël « . On y apprend entre autres l’existence de l’ » Évangile « , un système d’intelligence artificielle permettant à Tsahal de produire des cibles à un rythme jamais atteint : « Dans le passé, il y a eu des moments à Gaza où nous produisions 50 cibles par an. Ici, la machine a produit 100 cibles en une journée

Colonialisme renforcé en Cisjordanie

Pendant que Gaza suffoque sous les bombes, le gouvernement israélien multiplie les initiatives afin d’affermir sa politique de colonisation de la Cisjordanie. Le 29 novembre, le ministre israélien Benny Gantz (membre de l’actuel cabinet de guerre et ancien chef d’État-Major de Tsahal) fait publiquement savoir que « le renforcement du projet sioniste » figure parmi les principaux objectifs actuels de l’État hébreu. 

Selon Rony Brauman ce genre de déclaration permet d’« évoquer l’intensification de la colonisation en Cisjordanie avec des limites imprécises ». L’ancien président de MSF estime en effet qu’un tel propos peut aussi bien porter sur le renforcement de colonies déjà reconnues par Israël, tout comme il peut également annoncer l’officialisation de nouvelles colonies. « Dans tous les cas, ça veut dire qu’Israël ne lâchera rien sur la colonisation de la Cisjordanie. Je pense qu’il s’agit de se positionner par rapport aux appels à un règlement politique du conflit israélo-palestinien qui impliquerait le démantèlement de certaines colonies », analyse-t-il. 

En tout état de cause, des données alertent sur les récents développements de la situation en Cisjordanie. « Depuis le 7 octobre, 244 Palestiniens, dont 65 enfants ont été tués en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est […] ; 3 279 Palestiniens ont été blessés , dont au moins 520 enfants ; 45 % d’entre eux dans le cadre de manifestations et 46 % dans le cadre de perquisitions, d’arrestations et autres opérations », peut-on lire dans le rapport de l’OCHA datant du 3 décembre, qui fait état, pour la même période, de huit israéliens tués (dont trois soldats) dans des attaques menées par des Palestiniens en Cisjordanie ainsi qu’à Jérusalem-Ouest. « Jusqu’à présent, 2023 a été l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens de Cisjordanie depuis 2005 », rapporte encore l’OCHA. 

Bien qu’illégaux au regard du droit international et régulièrement dénoncés par l’ONU, l’établissement et le renforcement de colonies israéliennes en Cisjordanie sont plus que jamais encouragés par l’actuel gouvernement de l’État hébreu. Depuis son accession au pouvoir fin 2022, la coalition d’extrême droite mise en place par Benjamin Netanyahou a multiplié les déclarations et initiatives en ce sens, comme par exemple la légalisation de nouvelles colonies. Pour la seule année 2023 et à l’heure où nous écrivons ces lignes, l’OCHA fait état de 974 démolitions de structures appartenant à des Palestiniens ayant provoqué le déplacement forcé de plus de 1 800 d’entre eux.

Cartographie de la Cisjordanie
Cartographie de la Cisjordanie ( OCHA ) datant du 3 décembre, des mises à jour sont faites régulièrement.

Pendant que le monde a les yeux rivés sur Gaza, le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a débloqué fin novembre l’équivalent de 105 millions de dollars afin de financer sur le territoire « des impératifs de sécurité et des infrastructures afférentes » face à une population palestinienne locale qui, selon Bezalel Smotrich, compterait « deux millions de nazis » – déclaration que le ministre a faite en réaction à de récents sondages selon lesquels près de deux tiers des Palestiniens de Cisjordanie approuveraient l’attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre. 

A en croire Les Echos, ce budget prévoit la construction et la réfection de routes réservées aux colons afin de contourner les localités palestiniennes, ou encore l’entraînement et l’armement « d’unités d’intervention rapide » pour assurer la garde des implantations. 

Pour Rony Brauman, une telle initiative peut permettre à Israël de viser plusieurs objectifs. Premièrement, le fait d’armer les colons témoignerait d’une volonté de s’opposer à toute éventualité de retrait de colonies. « Il est question de mettre un cran d’arrêt à toute possibilité de démantèlement de ces colonies puisque cela pourrait provoquer une guerre civile », observe-t-il. Par ailleurs, l’ancien président de MSF déplore les conséquences de la politique coloniale israélienne : « Il s’agit aussi d’encourager les colons dans leurs stratégie actuelle, à savoir une politique terroriste vis-à-vis des Palestiniens dont on peut voir chaque jour que certains sont lynchés, harcelés voire assassinés, avec une perspective de découragement de toute possibilité de vie palestinienne en Cisjordanie ».

Nous dévoilons les dérives de la politique et des médias, grâce à vous.

Fondé fin 2021 en marge du système médiatique, Off Investigation existe grâce au soutien de plus de 6000 personnes.
Résultat : des centaines d’enquêtes écrites déjà publiées sans aucune interférence éditoriale et douze documentaires d’investigation totalisant plus de 7 millions de vues !
Cette nouvelle saison 2024-2025, nous faisons un pari : pour maximiser l’impact de nos articles écrits, TOUS sont désormais en accès libre et gratuit, comme nos documentaires d’investigation.
Mais cette stratégie a un coût : celui du travail de nos journalistes.
Alors merci de donner ce que vous pouvez. Pour que tout le monde puisse continuer de lire nos enquêtes et de voir nos documentaires censurés par toutes les chaînes de télé. En un clic avec votre carte bancaire, c’est réglé !
Si vous le pouvez, faites un don mensuel (Sans engagement). 🙏
Votre contribution, c’est notre indépendance.