La détresse alimentaire des étudiants s’aggrave

Une file d'attente d'étudiants pour une distribution alimentaire, le 13 septembre 2024 @scum34
Une file d’attente d’étudiants pour une distribution alimentaire, le 13 septembre 2024 à Montpellier  | X : SCUM – Montpellier

A l’heure où d’impressionnantes files d’attente d’étudiants sont observées sur divers points de distribution alimentaire, les chiffres de la précarité au sein de cette jeune population sont alarmants. Plusieurs structures se mobilisent sur le terrain. Rencontres avec ces associations vitales pour les étudiants.

Depuis la rentrée, plusieurs vidéos montrant d’immenses files d’attente d’étudiants sur différents points de distribution alimentaire ont été partagées sur les réseaux sociaux.

Les associations étudiantes et syndicats sont unanimes : la précarité augmente, et continuera d’augmenter pour l’année 2024-2025. Le coût de la vie étudiante monte encore de 2,25% pour cette rentrée, selon une étude du syndicat étudiant l’UNEF publiée en août 2024. Les causes principales : la hausse des coûts des inscriptions universitaires, mais aussi de ceux de l’énergie, des loyers des résidences Crous et des parcs privés, ainsi que de l’alimentation. Pour Benjamin Flohic, président de l’association de distribution alimentaire étudiante Cop1 et étudiant à Paris 8, les étudiants sont en bout de chaîne : « Nous dépendons énormément de l’Etat, ou de la situation de nos parents pour ceux qui en ont et qui peuvent aider, explique-t-il. Les conditions des étudiants sont donc extrêmement sensibles à l’inflation et aux crises, nous sommes une population qui ne dépend pas de son propre travail mais de facteurs extérieurs pour vivre. » 

Créée à Paris il y a quatre ans, l’association s’est rapidement développée dans plusieurs villes en France. Elle a distribué près de 100 000 paniers alimentaires en 2023. « Nous nous préparons à doubler ces chiffres cette année, car nous développons sans cesse de nouvelles antennes », explique Benjamin Flohic. Cop1 n’est pas la seule structure d’aide alimentaire à préparer activement une nouvelle année plus difficile que la précédente. L’association Linkee, première structure d’aide alimentaire durable destinée aux étudiants, a distribué l’équivalent de plus de 2,3 millions de repas à 70 000 étudiants en 2023, soit deux fois plus qu’en 2022.

L’association propose des colis de 8kg, composés de produits frais comme du lait, des pâtes fraîches, des plats cuisinés, ou encore du pain et des fruits et légumes. « L’idée est de remplir un frigo avec un panier pour une semaine, explique Julien Meimon, président de l’association. On a commencé en 2020 avec une première distribution à Paris, puis une deuxième, une troisième. Au début, il y avait 100, puis 200, puis 700 personnes. » À la quatrième distribution, l’association est contrainte de changer de lieux pour pouvoir accueillir la demande croissante. « En six mois, on a ouvert 19 points de distribution en région parisienne, confie Julien Meimon. Chaque nouveau lieu de distribution est très vite pris d’assaut, et ne désemplit pas par la suite, bien au contraire. »

Un étudiant sur cinq ne peut pas manger à sa faim ?

En janvier 2024, l’association Linkee publiait une nouvelle étude annuelle au constat affligeant : la précarité étudiante ne fait qu’augmenter et se pérenniser, et rien ne montre un inversement des courbes. L’étude, réalisée auprès des étudiants bénéficiant de leurs paniers alimentaires, montre une hausse de 132% de colis distribués entre septembre 2022 et août 2023 par rapport à l’année précédente. L’alimentation, mais aussi la santé et les loisirs sont les premiers postes de dépense à être sacrifiés par les étudiants. Pourtant, selon la Fédération Associative Générale Etudiante (FAGE), 19% des étudiants déclarent ne pas manger à leur faim, et sauter plus de trois repas par semaine (Consultation étudiante 2024, FAGE). Les bénéficiaires des colis alimentaires de Linkee ont en grande majorité 100 euros de « reste à vivre » par mois, soit 3,33 euros par jour, le prix d’un repas dans les restaurants Crous pour les non-boursiers. « Les chiffres indignent, témoigne Julien Meimon. Personne n’est capable de vivre avec trois euros par jour, mais c’est ça la situation réelle des étudiants qu’on accueille. »

L’association Linkee met également l’accent sur la qualité de l’alimentation des étudiants, alors que 49% d’entre eux affirment à la FAGE ne pas avoir les moyens d’acheter des fruits et légumes frais chaque semaine. En plus de ses produits locaux, Linkee « a toujours inclus des kits d’hygiène dans nos distributions, explique Julien Meimon. Les protections menstruelles sont particulièrement chères et le sujet était peu traité en 2020. » Depuis, l’association élargit la gamme de ses produits en proposant des rasoirs et des savons. Benjamin Flohic, de Cop1, insiste aussi sur l’accès des étudiants à un accompagnement psychologique, la pratique du sport, la culture et à leurs droits : « À chacune de nos distributions, nous essayons d’inviter des associations culturelles ou de santé pour donner les moyens aux étudiants d’avoir accès à plus que l’alimentaire », explique-t-il. L’association organise également un festival dans quatre villes en France la première semaine d’octobre, pour ouvrir l’offre culturelle des étudiants et faire connaître l’initiative.

Des loyers qui pèsent lourd sur les plus maigres budgets

Selon l’étude de Linkee, un étudiant sur deux commence à recourir à l’aide alimentaire à cause de l’inflation, et ceux qui vivent seuls représentent plus de 55% des bénéficiaires de leur aide alimentaire. Mais l’alimentation n’est pas la seule corde qui tire sur le maigre budget des étudiants. Alors que deux des trois millions d’étudiants français ne vivent pas chez leurs parents, le montant des loyers pèse majoritairement dans leur budget. L’indicateur 2024 de la rentrée de la FAGE annonce d’ores et déjà une augmentation de 2,5% des frais de logement, le « plus gros poste de dépense des étudiants ». En Île-de-France, le loyer moyen payé par un étudiant s’élève à 700 euros par mois, bien au-dessus du montant maximum proposé par les bourses du Crous (la mensualité de l’échelon 7 étant de 633,5 euros par mois pour l’année 2024-2025). À l’échelle nationale, 62,6% des étudiants interrogés par Linkee paient plus de 400 euros de loyer par mois, alors que seulement 37,1% des étudiants bénéficient d’une bourse pour la rentrée (Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, septembre 2024). « La majorité des étudiants que nous aidons n’habitent plus chez leur parent, c’est un facteur important, précise Julien Meimon. Si les étudiants n’avaient encore qu’à se nourrir ok, mais il faut aussi se soigner, s’habiller et pouvoir avoir une vie sociale. » En 2023, le gouvernement démissionnaire avait annoncé 35 000 nouveaux logements étudiants d’ici à 2027, en plus des 1 600 chambres des villages olympiques promises. Un engagement ambitieux, alors que le plan précédent lancé en 2017 et qui prévoyait 60 000 logements étudiants supplémentaires, n’a pas été atteint. 

Des étudiants contraints de rater des cours à cause de leur job alimentaire

Ces frais élevés poussent de nombreux étudiants à travailler à côté de leurs études par nécessité. Selon l’étude de la FAGE, 41% des étudiants ont besoin de se salarier, et 31% d’entre eux sont non-boursiers, une « zone de fragilité » selon la Fédération, pour ceux qui ne bénéficient pas de bourse malgré leur situation précaire. La FAGE tire notamment la sonnette d’alarme quant aux étudiants travaillant plus de 12 heures par semaine (35%) : au-delà, l’association considère que le salariat met en péril la réussite académique des étudiants et accentue les inégalités sociales. Le constat est partagé par Linkee, qui révèle qu’un tiers des étudiants de ses distributions qui travaillent sont contraints de rater des cours à cause de leur emploi. Plus de la moitié considère que leur job a donc une conséquence négative sur leurs études. La Présidente de la FAGE, interrogée lors d’une conférence de presse en janvier 2024, martelait que « la précarité est le premier facteur d’échec académique. » (Localtis, 17 janvier 2024). Elle insiste également sur les termes, car pour elle on peut désormais parler de « pauvreté étudiante », non plus de précarité. 

Pour Benjamin Flohic, Président de l’association Cop1, les étudiants se sentent souvent illégitimes à demander de l’aide : « Tous les jours, on voit des étudiants qui viennent à nos distributions et qui rebroussent finalement chemin, parce qu’ils se disent qu’il y a pire qu’eux ou qu’ils ne sont pas légitimes, confie l’étudiant de Paris 8. Ils font donc des sacrifices de leur côté, comme sauter des repas. »

Les étudiants, comme tous les autres publics, n’ont pas envie d’être catégorisés comme des gens dont le premier élément d’identité est la précarité

Julien Meimon, président de Linkee, structure d’aide alimentaire destinée aux étudiants

Julien Meimon, président de Linkee, insiste sur le poids d’un statut précaire dès un très jeune âge : « Les étudiants, comme tous les autres publics, n’ont pas envie d’être catégorisés comme des gens dont le premier élément d’identité est la précarité, explique-t-il. D’abord parce que la précarité ce n’est pas valorisant, mais aussi parce que ces jeunes ont 20 ans et personne ne souhaite commencer sa vie avec cette étiquette. » Le Président de Linkee apporte une vigilance particulière à ce que les points de distribution ne soient jamais des espaces de stigmatisation : « Le message est très simple : “tu as le droit à cette aide, et tout le monde est dans la même situation”. »

Les associations étudiantes et les syndicats communiquent également au maximum avec les institutions et les services publics, pour faire remonter la détresse des étudiants. « On fait savoir de façon très claire que notre action n’est pas normale, martèle Benjamin Flohic. Ce n’est pas normal que ce soit des étudiants qui aident d’autres étudiants à se nourrir, ce n’est pas normal que je passe 95% de mes études à me battre pour que d’autres étudiants puissent justement étudier sans avoir à faire des sacrifices et se demander comment remplir leur frigo. » En partenariat avec l’Ifop, Cop1 a réalisé une étude sur la situation des étudiants en France qu’ils souhaitent utiliser pour faire pression sur le nouveau gouvernement : « A priori, il va y avoir de grosses coupes budgétaires dans la vie étudiante, redoute Benjamin Flohic. Si on continue à réduire les moyens on va se retrouver dans une situation impossible ».

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