Le député Louis Boyard ciblé par Canal+

Louis Boyard
Le député LFI Louis Boyard, dans les couloirs du Tribunal correctionnel de Paris, le 17 décembre 2024. | Photographie : Lalo Ponni

Quelques mois après son altercation avec Cyril Hanouna à l’antenne de C8 (groupe Canal+), Louis Boyard a été ciblé par une mystérieuse pétition en ligne baptisée « Stop à la drogue en politique ! ». Selon Mediapart, il s’agissait d’une campagne planifiée par des cadres de Canal+.

En 2023, Louis Boyard était directement visé par une pétition sur la plateforme Change.org , dont les auteurs dénonçaient la consommation de drogues par des élus. Et pour cause, avant de devenir député LFI, l’ancien chroniqueur de TPMP avait déjà publiquement confié avoir vendu des stupéfiants durant ses études (C8, septembre 2021).

Pour mémoire, cette pétition était publiée quatre mois après un violent accrochage, en direct sur le plateau de TPMP, entre Boyard et Hanouna, autour des activités de Vincent Bolloré en Afrique. L’animateur avait alors abondamment insulté son invité, jusqu’à ce que celui-ci quitte le plateau. L’épisode avait conduit l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) à infliger une amende record de 3,5 millions d’euros à C8 (Le Monde, 10 juillet 2024). En outre, ces insultes ont par la suite donné lieu à un procès auquel nous avons assisté le 17 décembre 2024 au Tribunal correctionnel de Paris, dont le jugement est attendu le 20 février 2025.

Une opération montée de toutes pièces

Deux ans après la parution de la pétition en question, une enquête de Mediapart révèle que, loin d’être une initiative citoyenne spontanée, cette campagne visant explicitement Louis Boyard aurait en réalité été directement planifiée par des cadres de Canal+, propriété de Vincent Bolloré.

Selon le média d’investigation en ligne, Gérald-Brice Viret, directeur général du groupe, et Damien Hammouchi, alors directeur du développement de C8, auraient confié la mise en place de cette opération à une agence spécialisée dans la communication d’influence : Progressif Media. Officiellement rachetée par le groupe Vivendi en janvier 2022, cette entité aurait participé à des campagnes d’influence et de désinformation, révèle Mediapart.

Le directeur de Canal+ à la manœuvre pour torpiller le député LFI Louis Boyard Par Antton Rouget

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— Mediapart (@mediapart.fr) 10 février 2025 à 13:25

Dans le cadre de cette opération montée de toutes pièces, Progressif Media aurait donc été chargée de créer un faux compte, « Carole Delval », pour lancer la pétition. Pour se crédibiliser, l’agence aurait créé une adresse email jetable ou encore produit une vidéo diffusée sur YouTube, qui associait plusieurs affaires impliquant des élus et la drogue (et mettait particulièrement en avant Louis Boyard avec des extraits de TPMP).

Dès sa mise en ligne, la pétition a été massivement relayée sur les réseaux sociaux, notamment sur X, par des comptes anonymes.

Une agence liée à d’autres campagnes de désinformation

Dirigée par Émile Duport, un ancien communicant de « la Manif’ pour tous » et militant anti-avortement, Progressif Media a déjà été épinglée pour avoir pris part à plusieurs campagnes d’influence et de contre-offensive médiatique pour le compte du groupe Bolloré. Selon Libération, l’agence avait notamment piloté le projet « Corsaires », une initiative visant à contrer les actions de Sleeping Giants France, un collectif militant pour le retrait des annonceurs des médias d’extrême droite.

Progressif Media s’est également liée au « Vivendi Village » de Paris, où elle produit des contenus politiques, notamment des vidéos pour des influenceurs et influenceuses de droite et d’extrême droite. Parmi eux, on retrouve notamment Thaïs d’Escufon, ancienne porte-parole du groupe Génération identitaire, dissous en 2021.

Ingérence politique made in Bolloré ?

Cette affaire pose des questions plus larges sur l’influence des grandes entreprises dans le débat public et sur les stratégies de communication indirectes utilisées pour peser sur la politique. En janvier 2025, lors d’un colloque au Conseil constitutionnel, Jean-Pierre Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), a alerté sur l’absence de cadre juridique permettant de réguler les campagnes négatives financées par des entreprises. Ce n’est pas la première fois que le groupe Bolloré est soupçonné d’intervenir dans le jeu politique. La CNCCFP a récemment enquêté sur un possible soutien du groupe au Rassemblement National lors des européennes de 2024, mais faute de preuves formelles, aucune action n’a été engagée.

Enfin, Progressif Media a également été identifiée par Reporters sans frontières (RSF) comme étant à l’origine d’une campagne de désinformation contre l’ONG qui avait saisi le Conseil d’État pour contraindre l’Arcom à mieux faire respecter le pluralisme sur CNews (RSF, février 2024). Cette offensive comprenait la création d’un faux site, « Sectaires sans frontières », destiné à discréditer RSF et à l’accuser de censurer les médias conservateurs.

La récente enquête de Mediapart intervient peu après la défaite électorale de Louis Boyard à la mairie de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), le dimanche 2 février. Une course électorale particulièrement scrutée par la galaxie Bolloré, qui ne s’est pas gênée de torpiller le candidat LFI.

« On avait tout le monde contre nous, on avait le ministre de l’Intérieur qui a fait des ingérences dans des élections qu’il est censé lui-même organiser, on avait le Front national, on avait Eric Zemmour, on avait Valérie Pécresse… On avait les médias de Vincent Bolloré », a regretté Louis Boyard lui-même auprès de la presse (L’Obs, 3 février 2024).

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