Le gouvernement Barnier censuré par 331 députés
Lui et le chaos

Macron
Emmanuel Macron en visite d’Etat dans le désert Saoudien, le 4 décembre 2024 (photo Ludovic Marin/pool/AFP)

Depuis la chute du gouvernement Barnier, Emmanuel Macron et ses opposants s’accusent mutuellement de plonger la France dans une crise sans précédent, sur fond d’échec budgétaire et d’appels répétés à la démission du chef de l’État. Mais en refusant toute cohabitation et toute inflexion de sa politique « pro-business » depuis les élections législatives, c’est bien le président de la République qui rend la France ingouvernable.

Celui qui s’était illustré par la longévité de ses bons et loyaux services à Bruxelles (avec plus de quinze ans en poste à la Commission européenne) n’aura pas réussi à rester à Matignon plus de trois mois : après avoir pris ses fonctions le 5 septembre, Michel Barnier vient d’être renversé, par une motion de censure du gouvernement votée le 4 décembre par 331 députés, soit 58% de l’hémicycle.

Déposée par la gauche, cette motion de censure devant laquelle s’étranglent le camp présidentiel et ses alliés « compromistes », a largement été plébiscitée par le RN, les socialistes et apparentés, et les écologistes. Résultat : 331 votes en faveur de la censure sur 574 députés. A qui la faute ?

Macron et sa « grenade dégoupillée balancée dans les jambes »

La séquence débute par la dissolution surprise décidée en secret par Emmanuel Macron au début de l’été. L’idée était distillée par un petit groupe de conseillers, « les apprentis sorciers de la dissolution », comme le titrait Le Monde en juin 2024. Avant d’être annoncée, cette « grenade dégoupillée balancée dans les jambes » du reste de la classe politique était restée confidentielle. Même le tout-puissant Bernard Arnault, réputé très proche du couple Macron, avait failli l’apprendre par la presse (Nouvel Obs).

À l’époque, les proches conseillers d’Emmanuel Macron défendent une nécessité. Dissoudre, c’était prévenir une censure du gouvernement que Les Républicains menaçaient de voter à l’automne, pour le vote du budget. Pour « clarifier » la situation (plus vraisemblablement pour couper l’herbe sous le pied de ses opposants), Macron voulait rester « seul maître à bord ».

Mais les choses ne se passent pas tel que l’avait prévu l’ancien associé-gérant de la banque Rothschild : suite à l’annonce de cette dissolution surprise, la gauche parvient à s’unir en un temps record sous la bannière du Nouveau Front Populaire. Puis, en raison d’un « deal » avec les macronistes prévoyant des désistements mutuels (le « front républicain »), le Rassemblement National n’a pas la majorité absolue pour imposer un Premier ministre. Emmanuel Macron refusant de nommer à Matignon une représentante de la coalition représentant le plus grand nombre de députés à l’Assemblée (le NFP), la patate chaude du vote du budget se retrouve sur les bras d’un gouvernement mixte LR-Macronie dont le président cherchait à évacuer la paternité — « Je n’ai choisi personne, et c’est délibéré. Dis-le bien à tous. Ce n’est pas mon gouvernement », confiait-il à un ami au moment de la nomination du gouvernement Barnier (cité par Libération) — sans y parvenir tout à fait. Celui qui n’a « choisi personne » se retrouve tout de même avec une présence en force de ses fidèles au sein du gouvernement Barnier…

Macron démission ?

Alors que ces derniers jours, la censure du gouvernement apparaissait chaque jour plus inévitable que la veille, la tentative d’Emmanuel Macron de se défausser de la responsabilité d’un échec annoncé n’a pas fonctionné. En témoignent les récents appels à la démission de personnalités issues de tout le spectre politique : François Ruffin a demandé au chef de l’État de « réfléchir sérieusement » à son départ, le député indépendant de centre-droit Charles de Courson a de son côté déclaré sur LCI que « c’est au président, qui est à l’origine du chaos politique (…) de respecter le vote des Français » avant d’appeler à sa démission. Pour les insoumis, qui demandent de longue date le retrait du président, la question est enfin « à l’ordre du jour ».

Même à droite, certains y voient désormais la seule porte de sortie de la crise, à l’instar du maire de Meaux, Jean-François Copé : « Sa démission est la seule solution au problème qu’il a lui-même posé. Ça ne peut pas continuer comme ça jusqu’en 2027. » Au Rassemblement National, les députés Sébastien Chenu et Philippe Ballard parlent d’une démission comme d’une « porte de sortie ».

À l’inverse, Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti Socialiste ne voit aucun intérêt politique à la démission du chef de l’État. C’est « une illusion, dit-il avant de continuer au micro de BFM, avec quelle majorité un Président nouvellement élu gouvernerait-il le pays ? Nous ne pouvons pas dissoudre l’Assemblée avant le mois de juillet. […] Et donc ça veut dire que nous n’aurons pas les moyens, même avec un Président de gauche, de mener une politique de gauche. » Même un habitué de l’Elysée, cité par Le Point, a osé demander au président : « Au fond, es-tu bien sûr que tu ne démissionneras pas ? »

Tous partagent le même constat : en ayant décidé de dissoudre l’Assemblée nationale en juin, Emmanuel Macron est responsable de la crise politique et de l’instabilité institutionnelle qui affaiblit la France depuis 6 mois.

La faute à qui ?

Depuis l’Arabie Saoudite – où il était en déplacement ces derniers jours et qui vient d’être épinglée par un nouveau décompte faisant état d’un nombre record, en 2024, d’exécutions dans le pays (France info) – le chef de l’État a balayé les appels à son propre départ, de la « politique-fiction » selon lui. Avant d’ajouter : « Il se trouve que si je suis devant vous, c’est que j’ai été élu deux fois par le peuple français. J’en suis extrêmement fier et j’honorerai cette confiance avec toute l’énergie qui est la mienne jusqu’à la dernière seconde pour être utile au pays. »

À ses yeux comme à ceux de Michel Barnier, la censure du gouvernement était une irresponsabilité de la part de celles et ceux qui s’apprêtaient à la voter. Interrogé par Anne-Sophie Lapix et Gilles Bouleau le 3 décembre, le Premier ministre avait brandi des risques économiques si les députés ne votaient pas le budget : « L’impact de cette instabilité, vous le verrez immédiatement dans les taux d’intérêt », puis de menacer : « Près de 18 millions de Français verront leur impôt sur le revenu augmenter. »

En tout état de cause, tout le spectre politique se renvoie la balle, s’accusant chacun de créer l’instabilité politique. Le gouvernement et l’Elysée reprochent aux socialistes de renier leur héritage de parti de gouvernement. Les socialistes blâment Emmanuel Macron pour ne pas avoir nommé un premier ministre issu du NFP en premier lieu et avoir préféré Michel Barnier pour ne chercher des compromis qu’avec l’extrême droite. Le Rassemblement National, soucieux de s’afficher comme un parti de pouvoir, a expliqué par la voix du député Jean-Philippe Tanguy qu’ils « ne votent pas un texte », mais « la censure du gouvernement. »

Une question demeure : jusqu’où ira l’acharnement du chef de l’État à s’accrocher au pouvoir ? Dans les prochains mois, certains de ses soutiens historiques risquent de commencer sérieusement à envisager l’après-Macron…

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