Casseroles et bras d’honneur
Pourquoi Éric Dupond-Moretti est nerveux

Jean-Baptiste Rivoire 

Le ministre de la justice Eric Dupond-Moretti lors d'une conférence de presse de présentation de la loi de finances 2023 à Paris le 27 septembre 2022 (Photo Stéphane de Sakutin / AFP)

Honoraires payés en cash, Maserati achetée en liquide, soupçons de fraude fiscale, les pratiques " border " d’Éric Dupond-Moretti quand il était un ténor du barreau ont été moquées par Stéphane Guillon sur France 2 le 25 février. Mais la blague de l'humoriste n’a pas fait rire le ministre de la justice. Le lendemain, il lui téléphonait pour lui mettre une grosse pression. Puis, le 7 mars, après qu'Olivier Marleix a rappellé à l'Assemblée nationale qu'il était mis en examen pour "prise illégale d'intérêts" (et renvoyé devant la Cour de justice de la République), Éric Dupond-Moretti lui faisait un double bras d'honneur en plein hémicycle. Pressé par ses collègues de s'excuser, il refusait tout net et menaçait de démissionner sur le champ, comme l'a raconté Mediapart, avant de s'incliner. Intrigué par la nervosité du garde des sceaux, Off Investigation a enquêté sur son passé. 

La séquence commence par cette petite scène, survenue samedi 25 février sur le plateau de Quelle époque, émission présentée par Léa Salamé et Christophe Dechavanne sur France 2. Interrogé sur Éric Dupond-Moretti, Guillon répond : " Super CV. Franchement, super parcours. Propriétaire d'une Maserati achetée avec de l'argent sale, mis en examen pour "prise illégale d'intérêts", Moretti à la justice ? pourquoi pas Jean-Luc Lahaye à la petite enfance ? "

Le 25 février 2023, sur le plateau de Quelle époque (France 2), Stéphane Guillon se moque d'Éric Dupond-Moretti (à 2'43) (photo DR)

Le lendemain, Éric Dupond-Moretti appelle le célèbre humoriste pour lui passer un savon, comme Guillon le révélait sur Twitter la semaine dernière : "j'ai tout de même été élégant, j'aurais pu dire qu'il avait aussi oublié de déclarer 300 000 euros au fisc ! "

Le 28 février, Stéphane Guillon raconte sur Twitter son engueulade par Éric Dupond-Moretti (photo DR)

Guillon aurait-il tout inventé ? Pas vraiment. Tout au long de sa carrière d’avocat, le célèbre ténor du barreau bombardé garde des sceaux par Emmanuel Macron a effectivement fait preuve d’un amour certain de l’argent, surtout en liquide, et des voyous ou autres représentants de la pègre qui lui réglèrent longtemps de gras honoraires. Un passé qui expliquerait sa nervosité actuelle et sa grossièreté à l'assemblée nationale. Florilège.

Le 7 mars, à l'Assemblée nationale, Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, reconnait avoir fait deux bras d'honneur à Olivier Marleix, patron des députés LR (AFP)

L’avocat de la pègre corse 

Dans les années 2000, lorsque sa réputation « d’acquitator » commence à essaimer de cour d’assises en cour d’assises, Maître Eric Dupont Moretti se gargarise en privé d’être « le routier le mieux payé de France ». En 2008 et 2009, il défend Jacques Mariani, poids lourd de la Brise de Mer, une mafia corse qui a sévi sur l’île jusqu’aux années 2000. Un jour, ses honoraires d’avocat lui sont versés en liquide par un inconnu qui lui a donné rendez vous sur une aire d’autoroute du sud de la France.
Problème, comme le raconte Le Monde : ces honoraires ont été en fait « réglés par les gérants du Mistral et de la Joïa, deux boîtes de nuit (implantées à Aix en Provence, ndlr) devenues les « pompes à fric » du clan Mariani ». En clair, les deux établissements nocturnes aixois sont rackettés par la Brise de Mer. Et la justice enquête sur ce racket. Toute la question est de savoir si Dupond-Moretti connaissait la provenance suspecte des billets qu’il a empochés à la va-vite sur la fameuse aire d’autoroute du sud de la France. 
Il s’en est expliqué en juin 2009, à sa demande, dans le bureau du juge d’instruction marseillais qui enquêtait sur le dossier. Visiblement convaincant, il évite in extremis une mise en examen pour recel d’extorsion en bande organisée qui n’aurait pas manqué de mettre un terme à sa carrière. 
Lorsque cette histoire croquignolesque commence à circuler dans les rédactions parisiennes menaçant la réputation de Dupond-Moretti, ce dernier n’hésite pas à appeler en pleurs les journalistes pour expliquer qu’il ignorait tout de la provenance de ses honoraires.  

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