Arnaud Murati
Depuis son rachat par le groupe LVMH de Bernard Arnault en 2015, le premier quotidien d’Ile-de-France subit des pressions éditoriales accrues, la fin de ses fameuses éditions départementales et les ingérences d'un actionnaire visiblement engagé dans un soutien au couple présidentiel. Ces ingrédients explosifs expliquent la crise de confiance exprimée début avril par la majorité des journalistes du titre.
Le Parisien - Aujourd’hui en France est un drôle de journal, souvent brocardé pour son positionnement très populaire, sa capacité à « donner la parole aux gens » (du moins jusqu’à des temps récents). Mais c'est aussi un quotidien très respecté pour les infos qu’il divulgue. Il n’était pas rare, à une certaine époque, que les journalistes de la presse télévisée appellent un journaliste du Parisien pour lui demander… s’il n’avait pas une info à leur donner.
Plusieurs témoignages, recueillis au début des années 2000, font même état d’un surnom que les journalistes de la télévision donnaient au quotidien : « Le conducteur », qui est en réalité le nom du document ultime que le présentateur d’un journal télé livre à son équipe technique pour qu’elle réalise correctement l’émission. C’est dire l’importance que revêtait Le Parisien aux yeux de centaines de professionnels de l’information.
Et pourtant, ce « drôle de journal » est chroniquement déficitaire depuis des années. En 2015, lassé de devoir le maintenir à flots, son propriétaire de l’époque, le groupe Amaury, dit « stop ». Il se voit contraint de brader le titre pour 50 millions d’euros (selon plusieurs sources), après avoir tenté, en vain, de le céder pour quatre fois plus cher cinq ans auparavant.
À deux ans de la présidentielle de 2017, c’est Bernard Arnault et son groupe LVMH, déjà propriétaires des Echos, qui mettent la main sur cette marque phare de l’information en Ile-de-France. Afin de l’instrumentaliser politiquement ? Dès la prise de contrôle du Parisien par l’empereur du luxe, le Syndicat national des journalistes (SNJ) pose une revendication : « La ligne éditoriale non partisane du Parisien doit perdurer ». Moins d’un an plus tard, les craintes d’ingérence de la part de l’actionnaire se concrétisent.
« Merci patron » censuré
En 2016, François Ruffin, aujourd’hui député LFI, raconte dans son documentaire « Merci patron !» le désarroi de deux ouvriers du textile licenciés par une filiale du groupe LVMH. Très corrosif vis-à-vis de Bernard Arnault, le film est littéralement invisibilisé dans les colonnes du Parisien. Pas le moindre article. Un silence assourdissant. Selon une déclaration commune à la société des journalistes du Parisien et au syndicat SNJ : « Ordre a été donné aux confrères du service culture-spectacle (…) de ne pas le chroniquer, fut-ce en 10 lignes (…) à nos yeux, c’est un acte de censure qui a été posé. Ou plus précisément d’autocensure ». Et les représentants des journalistes d’estimer que « le silence pour lequel a opté le directeur de la rédaction (Stéphane Albouy, ndlr) est un message dangereux envoyé à l’actionnaire LVMH ».
Et de fait, cette décision de Stéphane Albouy, un pur produit du Parisien fort apprécié en interne, d'invisibiliser le documentaire "Merci patron" va le fragiliser. Quelques mois après l’incident, un ancien rédacteur en chef du titre, le journaliste Nicolas Charbonneau, est nommé directeur délégué des rédactions. Officiellement, il a été recruté pour « épauler » M. Albouy.