Sarkozy en 2008
L’Elysée (déja) en guerre contre France Télévision

Jean-Baptiste Rivoire

Quatorze ans avant la suppression de la redevance par Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy avait déja entrepris de « couper les vivres » à France Télévision en interdisant la publicité sur les chaînes publiques (photo JB Rivoire)

Début 2008, Nicolas Sarkozy cède aux pressions de son ami Martin Bouygues et annonce la suppression de la publicité sur France Télévision. Quelques mois plus tard, il décide de nommer directement lui même les patrons de l’audiovisuel public. S’ensuit un long bras de fer avec les salariés de France Télévision, écoeurés que le service public audiovisuel soit mis à genoux au profit de TF1 (Martin Bouygues), M6 (Nicolas de Tavernost) ou D8 (Vincent Bolloré). (Extrait de « L’Élysée (et les oligarques) contre l’info », Jean-Baptiste Rivoire, Les liens qui libèrent, Paris, 2022)

Le 30 juin 2008, la tension est palpable devant le siège parisien de France Télévisions. Informés de la venue du président de la République au « 19/20 » de France 3, des dizaines de salariés manifestent avec des pancartes hostiles à la suppression de la publicité dans l’audiovisuel public, une mesure décidée unilatéralement par l’Élysée quelques mois plus tôt.
Quand Nicolas Sarkozy les aperçoit depuis son convoi présidentiel, il s’énerve. En montant quatre à quatre les escaliers, il lance à Patrick de Carolis, le président de France Télévisions venu l’accueillir : « Cette maison n’est pas tenue ! » À l’intérieur, il continue à l’accabler de reproches. Quelques instants plus tard, des salariés de France 3 excédés tentent d’envahir le plateau du « 19/20 » en faisant sauter la porte avec… un bélier ! Quand Nicolas Sarkozy prend place sous les projecteurs, il est toujours aussi en colère. Le président tance le technicien qui a le malheur de ne pas le saluer en lui installant un micro : « Quand on est invité, on a le droit que les gens vous disent bonjour, quand même ! Ou alors on n’est pas dans le service public ! »
Depuis la régie, un journaliste de Rue89 assiste à la scène. Mieux : il obtient des journalistes de France 3 une copie de ces quelques minutes d’avant-journal où les caméras tournent déjà et la met vite en ligne sur le site de Rue89. De retour à l’Élysée, le président redouble de colère. Embarrassé, Patrick de Carolis est contraint de déclencher une enquête interne. Pour comprendre cette incroyable tension entre Nicolas Sarkozy et France Télévisions, il faut revenir quelques mois en arrière.

Interdiction de la publicité
sur les chaînes publiques

Quand Nicolas Sarkozy accède à l’Élysée, TF1 est dans une situation difficile. Lancé en 1996, son bouquet satellite TPS est un gouffre financier qu’il a fallu revendre à Canal Plus. La TNT, la télévision numérique terrestre ? Patrick Le Lay a toujours méprisé cette « lubie marxiste du CSA » et TF1 en rate le coche. Pour sauver sa chaîne menacée par une concurrence accrue, Martin Bouygues veut obtenir de son ancien avocat devenu président une réforme du marché de la publicité.
Le 26 septembre 2007, Laurent Solly, son directeur adjoint de la campagne présidentielle qui s’est fait embaucher comme numéro deux de TF1, se lance dans un vibrant plaidoyer devant Nicolas Sarkozy : « Il faut supprimer la pub sur le service public pour la réserver aux groupes privés. Nous, les Français, sommes des nains face aux Américains. Il est nécessaire de compenser ce retard en fortifiant les groupes privés afin de reconquérir des territoires, au moins en Europe. »
Pour France Télévisions, qui tire près du tiers de ses ressources de la publicité, une telle réforme serait un coup de poignard dans le dos et déboucherait sur des milliers de licenciements. Pourtant, en cet automne 2007, un second canal de lobbying se met en place : Alain Minc, qui conseille officiellement Vincent Bolloré et officieusement le président de la République, pousse lui aussi Nicolas Sarkozy à couper la pub au service public. Favorable à un système à la « BBC » (un service public sans publicité), le rocardien Denis Olivennes, alors PDG de la FNAC, rédige également des notes sur ce thème.

« Les Marocains avaient la bouche tordue de haine »

Joseph Tual, France 3

C’est dans cette période que le nouveau locataire de l’Élysée va subir un affront de France 3. Le 22 octobre, alors qu’il s’envole vers le Maroc pour une visite d’État au pays de Mohammed VI, le « 19/20 » révèle que le juge Patrick Ramael vient de délivrer des mandats d’arrêt contre cinq hauts responsables marocains soupçonnés d’être impliqués dans l’affaire Ben Barka, du nom de l’opposant marocain ayant mystérieusement disparu en 1965 après avoir été intercepté en plein Paris par des agents du SDECE (ancêtre de la DGSE). Dénonçant depuis des années l’omerta entourant cet assassinat d’opposant, le journaliste à l’origine du scoop, Joseph Tual, n’est pas peu fier d’avoir contribué à placer le président de la République face à une responsabilité historique de la France : « Sarko a appris la nouvelle dans l’avion présidentiel ! Quand il a atterri, les Marocains avaient la bouche tordue de haine. Ils étaient fous furieux. En 2004, ils avaient reçu des garanties que la France ne les “embêterait” plus avec cette affaire. Du coup, le dîner d’État fut annulé. Et des contrats aussi ! Officiellement, Nicolas Sarkozy avait “mal à la gorge”. »
Suite à ce pataquès franco-marocain, les patrons de TF1 poussent leur avantage : Patrick Le Lay rédige une liste de revendications qu’il dépose à l’Élysée. Début janvier 2008, Nonce Paolini remet à Claude Guéant une note détaillant les souhaits de la première chaîne. Révélée quelques mois plus tard sous le nom de « livre blanc », elle réclame que les millions d’euros de publicité qui se déversent chaque année sur les chaînes françaises soient réservés aux chaînes privées (TF1, M6, Canal Plus…). Et que ces dernières obtiennent le droit d’en diffuser nettement plus.

« On ne voit pas très bien pourquoi il y aurait un service public »

Nicolas Sarkozy

Résultat, lors de sa première conférence de presse en tant que président, le 8 janvier 2008, Nicolas Sarkozy annonce à la presse, sans se concerter avec Christine Albanel, la ministre de la Culture, ni avec Patrick de Carolis, le président de France Télévisions, la réforme tant attendue par TF1. Dans son langage, cela donne : « Le service public existe parce qu’il a une mission particulière. Si les chaînes publiques fonctionnent selon les mêmes critères, selon les mêmes exigences, selon la même logique que les chaînes privées, alors […] on ne voit pas très bien pourquoi il y aurait un service public. […] Je souhaite donc que le cahier des charges de la télévision publique soit revu et que l’on réfléchisse à la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques. »  À la Bourse de Paris, les cours des chaînes privées bondissent aussitôt : + 9,94 % pour TF1, + 4,49 % pour M6. Le lendemain, Le Parisien titre : « Chaînes publiques sans pub : un cadeau à TF1 et M6. »

Patrick de Carolis « prend acte » de la fin de la pub

Patrick de Carolis, lui, manque de s’étrangler. La suppression totale de la pub, c’est 830 millions d’euros en moins chaque année pour les chaînes publiques. Comment les remplacer ? Lors de sa conférence de presse, Nicolas Sarkozy a évoqué des « taxes sur les surplus publicitaires des chaînes privées » et sur « les opérateurs de téléphonie »… Mais c’est difficile à mettre en œuvre, voire contraire au droit européen. Une annonce bâclée, donc. Un coup de fil de l’Élysée ordonne d’ailleurs à Patrick de Carolis de n’accorder aucune interview. Désireux de conserver son poste, il décide de ne pas broncher. Après tout, avec moins de pub, France Télévisions dépendra peut-être moins de l’audience, ce qui devrait permettre de mettre à l’antenne des programmes plus culturels. Par un communiqué, le patron de France Télévisions se contente donc de « prendre acte » de la suppression de la publicité.

« Tu ne vas tout de même pas rester chez ces connards de France 3 ? »

Nicolas Sarkozy à Christine Ockrent, présentatrice de France Europe Express

Mais ses 11 000 salariés, eux, sont inquiets. L’annonce présidentielle est hautement suspecte. À France 3, on n’a pas oublié les coups de gueule de Nicolas Sarkozy. Comme le 18 mars 2007, quand, furieux de devoir attendre quelques minutes au maquillage avant de participer à France Europe Express, l’émission de Christine Ockrent, il avait balancé à propos des dirigeants de France 3 : « Toute cette direction, il faut la virer. Je ne peux pas le faire maintenant, mais ils ne perdent rien pour attendre. Cela ne va pas tarder. » Quelques mois plus tard, il aurait confié à Christine Ockrent, qu’il s’apprêtait à inviter avec son époux Bernard Kouchner à se rendre pour Noël en Égypte à bord du jet de Vincent Bolloré : « Tu ne vas quand même pas rester chez ces connards de France 3 ? »
Y avait-il, chez le président de la République, une volonté d’affaiblir l’audiovisuel public ? « Sarkozy voulait que France Télévisions soit constitué de mini-Arte, révélera le producteur Nicolas Traube. Cela m’a été confirmé par David Martinon [alors porte-parole de l’Élysée]. Le service public généraliste ne l’intéresse pas. » Problème : le candidat UMP n’en avait rien dit durant sa campagne : « La suppression de la pub, ce n’était pas dans son programme, pointe Joseph Tual. On était en colère ! D’autant qu’aucune vraie compensation financière n’était prévue ! »
Un mois et demi plus tard, les syndicats de France Télés organisent une manif sur le thème : « Ni pub ni soumise. » 30 % des salariés font grève. Conscient que sa réforme improvisée suscite des critiques, Nicolas Sarkozy installe Jean-François Copé, alors président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, à la tête d’une « commission chargée de trouver une solution au financement de France Télévisions ». Mais soufflant plus le froid que le chaud, tout au long de l’année 2008, le locataire de l’Élysée continue à se comporter en chef tout-puissant qui harcèle, déstabilise, abîme France Télévisions.

« J’aurais voulu être directeur des programmes ! »

Nicolas Sarkozy

Dès le début de son quinquennat, Nicolas Sarkozy harcèle Patrick de Carolis et Patrice Duhamel, le duo à la tête de la télé publique, pour qu’ils favorisent les amis du président. Pour qu’ils trouvent une émission politique pour son ami Pierre Sled, pour qu’ils casent Jacques Chancel, Didier Barbelivien ou Christian Clavier, à qui il faudrait « proposer des téléfilms », ou qu’ils s’occupent de Daniela Lumbroso, venue se plaindre à l’Élysée qu’elle n’avait « plus d’émissions »… Quelques mois plus tard, c’est à David Hallyday, le fils de Johnny – le célèbre rocker a pris sa carte à l’UMP et l’a soutenu durant la campagne, au point d’être invité au Fouquet’s – qu’il faudrait laisser produire une émission sur France Télés avec son ami Cyril Viguier… À l’inverse, il faudrait écarter Patrick Sébastien ou Laurent Ruquier, qui auraient pris trop de distances à son égard. « Il faut que vous m’aidiez. Tu sais bien que les médias ne m’aiment pas, les médias ne me soutiennent pas, alors aidez-moi ! », aurait gémi à plusieurs reprises le président de la République en s’adressant à Patrice Duhamel courant 2007. « J’aurais voulu être directeur des programmes ! », aurait-il été jusqu’à avouer à cette époque à des syndicalistes de France Télévisions comme le rapportent Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos dans Libération

« Les journaux de France Télé ne valent pas mieux que ceux de France info ! »

Nicolas Sarkozy à Patrick De Carolis

De Carolis et Duhamel s’arrachent les cheveux. Le président de la République se comporte en permanence comme s’il voulait co-piloter France Télés ! En février 2008, quelques minutes avant d’installer la commission Copé, il fait à nouveau la morale à Patrick de Carolis et Jean-Paul Cluzel, le PDG de Radio France. À vous de juger, l’émission d’Arlette Chabot, serait trop « cacophonique ». France Europe Express, l’émission de Christine Ockrent, serait « diffusée trop tard »… Rappelons qu’elle est mariée avec Bernard Kouchner, son ministre des Affaires étrangères et qu’il s’apprête à la nommer à la tête de l’audiovisuel extérieur de la France (RFI, TV5 Monde…). Le PDG de Radio France, lui, se fait souffler dans les bronches sur le thème : « Les journaux de France Info ne valent pas mieux que ceux de France Télés ! », la profession « manquerait de déontologie » quand elle traite de sa « vie privée », etc.
En plus des engueulades récurrentes du président, Patrick de Carolis doit aussi supporter des rumeurs d’éviction colportées dans le Tout-Paris : il serait sur un « siège éjectable », le président se préparerait à le « remplacer ». Si on y ajoute l’ébullition qui règne à la base, les salariés craignant d’être étranglés financièrement pour le plus grand bénéfice de Martin Bouygues, voire de Vincent Bolloré, on comprend la situation intenable des dirigeants de France Télévisions. Auraient-ils pu appeler à la rescousse la ministre de la Culture, Christine Albanel ? Peu probable : « La relation d’amitié entre Nicolas Sarkozy et Martin Bouygues ne nous avait pas échappé, déclarera plus tard un membre de son cabinet. On faisait attention à tout ! On avait dans l’idée qu’au moindre problème, au moindre message qu’on aurait oublié de faire passer à la ministre, à la moindre instruction qu’on n’aurait pas bien suivie, on avait une chance de se faire virer. »

Pas d’augmentation de la redevance

L’hypocrisie laissant croire que Jean-François Copé mène la réforme de l’audiovisuel public vole en éclats en mai 2008. Alors qu’au sein de sa commission qui doit rendre son rapport fin juin, députés UMP et socialistes ne voient qu’une augmentation de la redevance pour compenser la réforme bancale du président de la République, celui-ci les humilie publiquement en tranchant à leur place sur RTL : « Je me suis toujours engagé à ce qu’il n’y ait pas d’augmentation de la redevance. Moi, ma politique, c’est de diminuer les taxes, les prélèvements, de libérer le travail. […] Chacun a son idée pour faire un petit prélèvement de plus. Je vous le dis : c’est non. » Après cet oracle présidentiel, le peu de crédibilité qu’il restait à Jean-François Copé s’effondre. Furieux, les quelques députés socialistes qui avaient accepté de jouer le jeu de sa commission « bidon » claquent la porte. Quelques jours plus tard, averti par Carla Bruni que des producteurs menés par Fabienne Servan-Schreiber s’apprêtent à déclencher une fronde, le président les reçoit à l’Élysée et leur accorde que, finalement, après une dizaine d’années de stagnation, la redevance sera au moins « indexée sur l’inflation ».
Mais le 17 juin, lors d’une remise de Légion d’honneur à Yann-Arthus Bertrand à l’Élysée, le président fond à nouveau sur Patrice Duhamel. Sous prétexte que France Télévisions vient de « piquer » Julien Courbet à TF1, Nicolas Sarkozy passe quinze minutes à « pourrir » Duhamel devant trente témoins. L’information à France Télés ? « Nulle ! Tout est à refaire, tout est à revoir, du sol au plafond ! » Avec une particulière mauvaise foi, le président reproche au numéro deux de France Télés que le groupe public ne diffuse pas le match France-Italie de l’Euro dont TF1 avait acquis les droits plusieurs mois auparavant. Nicolas Sarkozy conclut sa tirade en affirmant qu’il rédigerait lui-même le nouveau cahier des charges du service public. 

« Je nomme moi-même le président de France Télévisions »

Nicolas Sarkozy

Ainsi, à la remise du rapport Copé, le 25 juin 2008, le président de France Télévisions est sur ses gardes. Nicolas Sarkozy se montre affable, recevant même des syndicalistes de France Télévisions pour leur promettre qu’il entend « défendre le service public ». Mais en secret, il mijote une nouvelle annonce explosive, qu’il dévoile devant Patrick de Carolis, Patrice Duhamel et la ministre de la Culture quelques minutes avant le début de son discours : « Pour la nomination du président de France Télévisions, il faut être simple, quand même… Fini l’hypocrisie, c’est des bêtises, tout ça. Je vais annoncer que je nomme moi-même le président de France Télévisions. » Ses interlocuteurs sont estomaqués. En quelques mots, Nicolas Sarkozy vient d’officialiser un bond de quarante ans en arrière, quand le général de Gaulle nommait les patrons de l’ORTF. Après son discours, le président de la République fait la tournée de ses invités, hilare et content de lui.
Le lendemain, la presse s’afflige qu’il veuille « prendre possession de la télé ». Selon un sondage CSA/Le Parisien, 71 % des Français sont hostiles à ce retour en arrière qui fleure bon la « monarchie élective » dénoncée par le journaliste Laurent Joffrin quelques mois auparavant (on y reviendra). Patrick de Carolis est à nouveau relégué au rang de laquais. Les syndicalistes de France Télé, que le président avait caressés dans le sens du poil quelques minutes avant sa conférence de presse, se sentent trahis. C’est cinq jours plus tard, lors de la venue de Nicolas Sarkozy au « 19/20 » de France 3, qu’ils vont lui organiser comme on l’a vu, l’accueil le plus houleux de l’histoire de la télévision française.

« Une télévision respectable qui entend être respectée »

Patrick De Carolis à propos des programmes de France Télévision

Excédé, le président de France Télévisions envisage de « claquer la porte ». Mais le lendemain, il se ravise. Invité le 2 juillet par Jean-Michel Apathie sur RTL, Patrick de Carolis décide de balancer ses quatre vérités au président de la République. Il rappelle qu’il est « fier d’avoir été choisi par le CSA », façon de dire qu’il ne doit pas sa légitimité à Nicolas Sarkozy, indique que concernant les compensations liées à la suppression de la pub, il « prendra ses responsabilités si le compte n’y est pas ». Quant à la qualité des programmes, il estime faire une télévision « respectable » et entend qu’elle soit « respectée ». Enfin, il indique qu’il ne se « soumettra jamais une grille de programmes ou un concept d’émission à un quelconque visa venu de l’extérieur de l’entreprise ». En conclusion, il estime que « non, les programmes de France Télévisions et des chaînes commerciales n’ont pas grand-chose à voir ». Pour Carolis, dire le contraire comme le fait le président est « faux, injuste et stupide ».

Les salariés entrent en résistance

À l’écoute de RTL, les salariés de France Télévisions qui endurent les déstabilisations de Nicolas Sarkozy depuis des mois n’en croient pas leurs oreilles : après deux ans d’humiliation, Patrick de Carolis ose enfin dire sa vérité au président de la République. Ils ne sont pas les seuls à apprécier : France Télévisions reçoit suite à l’interview à RTL un nombre record de 15 000 lettres et mails de félicitations. À l’Élysée, évidemment, on n’apprécie pas. À peine sorti de RTL, de Carolis reçoit un coup de fil glacial de Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée : « C’est assez inédit qu’un président d’une entreprise publique attaque aussi frontalement le président de la République à la radio…
– C’est assez inédit de voir un président de la République décortiquer les grilles de programmes des chaînes et jouer au directeur des programmes, rétorque de Carolis.
– Ce serait bien qu’on en parle assez rapidement…
– Avec grand plaisir, mais je pars cet après-midi à l’étranger. Donc si vous voulez bien, nous en reparlerons dans une semaine.
– Très bien… », répond Guéant, interloqué.
Dans la foulée, Nicolas Sarkozy aurait passé un « savon » au directeur général de France Télévisions Patrice Duhamel, affirmant sa ferme intention de se débarrasser de son président, Patrick de Carolis. Le CSA aurait même été approché pour convoquer ce dernier, mais la manœuvre aurait échoué. Nicolas Sarkozy semble se résoudre à le laisser terminer son mandat. Pendant ce temps, à l’approche du débat parlementaire sur la réforme de l’audiovisuel, fin 2008, TF1 et M6 se frottent les mains. L’exécutif prévoit en effet une stricte limitation de la publicité sur France Télévisions, le déplafonnement de la publicité sur les chaînes privées en la portant de six à neuf minutes en moyenne par heure, l’autorisation d’une seconde coupure publicitaire dans les films et téléfilms et l’autorisation du placement de produits dans les programmes. Toutes les revendications de TF1 dans son fameux « livre blanc » ont été acceptées. 

« Le Napoléon de la télévision d’Etat »

Noel Mamère à propos de Nicolas Sarkozy

Les salariés de France Télés restent mobilisés. En novembre 2008, lors de l’examen du projet de loi au Parlement, 40 % d’entre eux se mettent en grève. Dans l’Hémicycle, le député écologiste Noël Mamère, qui présentait le « 20 heures » de France 2 quelques années auparavant, attaque au bazooka devant l’Assemblée nationale: « Pour le président, l’urgence consiste manifestement à remercier d’abord ceux qui l’ont fait roi, les Bouygues, Bolloré, Lagardère et compagnie. […] Il fallait payer en cash dès le début du quinquennat. Pendant que ses copains se goinfrent du gâteau publicitaire pour transformer la télévision en parts de cerveau disponibles, Nicolas Sarkozy devient le Napoléon de la télévision d’État, en soumettant les chaînes du service public au bon vouloir de son service privé. » « Comment les intérêts privés peuvent-ils à ce point prendre le pas sur l’intérêt général, dicter leur loi à l’intérêt public ? », tonnera plus classiquement le socialiste Didier Mathus toujours à l’Assemblée. Quelques jours plus tard, Noël Mamère moque à nouveau Nicolas Sarkozy devant l’hémicycle : « Maintenant que le président de la République est également devenu président et directeur des programmes de France Télévisions, le “Point route” pourrait être présenté par Dominique Bussereau [secrétaire d’État aux Transports, NDLA], “Amour, gloire et beauté” par Mme Carla Bruni-Sarkozy, “Motus” par François Fillon et le journal, naturellement, par Nicolas Sarkozy… » Malgré les fous rires dans les travées, le lendemain, la loi prévoyant la suppression progressive de la publicité sur France Télés et la nomination des patrons de l’audiovisuel public par l’exécutif est votée en première lecture.
En marge de ce climat d’intimidation qui tétanise désormais l’audiovisuel public, il reste quelques médias qui ne sont pas contrôlés par des oligarques clients ou amis du président. Ceux-là tentent de faire leur boulot : exercer un regard critique sur le pouvoir exécutif. Ils vont rapidement découvrir la violence du locataire de l’Élysée dès qu’il s’agit d’information indépendante.

La semaine prochaine: Quand Nicolas Sarkozy ciblait France Inter et Libération