Jean-Baptiste Rivoire
Début 2008, Nicolas Sarkozy cède aux pressions de son ami Martin Bouygues et annonce la suppression de la publicité sur France Télévision. Quelques mois plus tard, il décide de nommer directement lui même les patrons de l'audiovisuel public. S'ensuit un long bras de fer avec les salariés de France Télévision, écoeurés que le service public audiovisuel soit mis à genoux au profit de TF1 (Martin Bouygues), M6 (Nicolas de Tavernost) ou D8 (Vincent Bolloré).
Le 30 juin 2008, la tension est palpable devant le siège parisien de France Télévisions. Informés de la venue du président de la République au « 19/20 » de France 3, des dizaines de salariés manifestent avec des pancartes hostiles à la suppression de la publicité dans l’audiovisuel public, une mesure décidée unilatéralement par l’Élysée quelques mois plus tôt.
Quand Nicolas Sarkozy les aperçoit depuis son convoi présidentiel, il s’énerve. En montant quatre à quatre les escaliers, il lance à Patrick de Carolis, le président de France Télévisions venu l’accueillir : « Cette maison n’est pas tenue ! » À l’intérieur, il continue à l’accabler de reproches. Quelques instants plus tard, des salariés de France 3 excédés tentent d’envahir le plateau du « 19/20 » en faisant sauter la porte avec… un bélier ! Quand Nicolas Sarkozy prend place sous les projecteurs, il est toujours aussi en colère. Le président tance le technicien qui a le malheur de ne pas le saluer en lui installant un micro : « Quand on est invité, on a le droit que les gens vous disent bonjour, quand même ! Ou alors on n’est pas dans le service public ! »
Depuis la régie, un journaliste de Rue89 assiste à la scène. Mieux : il obtient des journalistes de France 3 une copie de ces quelques minutes d’avant-journal où les caméras tournent déjà et la met vite en ligne sur le site de Rue89. De retour à l’Élysée, le président redouble de colère. Embarrassé, Patrick de Carolis est contraint de déclencher une enquête interne. Pour comprendre cette incroyable tension entre Nicolas Sarkozy et France Télévisions, il faut revenir quelques mois en arrière.
Interdiction de la publicité
sur les chaînes publiques
Quand Nicolas Sarkozy accède à l’Élysée, TF1 est dans une situation difficile. Lancé en 1996, son bouquet satellite TPS est un gouffre financier qu’il a fallu revendre à Canal Plus. La TNT, la télévision numérique terrestre ? Patrick Le Lay a toujours méprisé cette « lubie marxiste du CSA » et TF1 en rate le coche. Pour sauver sa chaîne menacée par une concurrence accrue, Martin Bouygues veut obtenir de son ancien avocat devenu président une réforme du marché de la publicité.
Le 26 septembre 2007, Laurent Solly, son directeur adjoint de la campagne présidentielle qui s’est fait embaucher comme numéro deux de TF1, se lance dans un vibrant plaidoyer devant Nicolas Sarkozy : « Il faut supprimer la pub sur le service public pour la réserver aux groupes privés. Nous, les Français, sommes des nains face aux Américains. Il est nécessaire de compenser ce retard en fortifiant les groupes privés afin de reconquérir des territoires, au moins en Europe. »
Pour France Télévisions, qui tire près du tiers de ses ressources de la publicité, une telle réforme serait un coup de poignard dans le dos et déboucherait sur des milliers de licenciements. Pourtant, en cet automne 2007, un second canal de lobbying se met en place : Alain Minc, qui conseille officiellement Vincent Bolloré et officieusement le président de la République, pousse lui aussi Nicolas Sarkozy à couper la pub au service public. Favorable à un système à la « BBC » (un service public sans publicité), le rocardien Denis Olivennes, alors PDG de la FNAC, rédige également des notes sur ce thème.