La Cour royale de justice de Londres laisse trois semaines aux États-Unis, à compter du mardi 26 mars, pour garantir un bon traitement à Julian Assange en cas d’extradition. Sans cet engagement, la justice britannique accorderait au journaliste le droit de faire appel. Depuis sa cellule, le fondateur de WikiLeaks reste confronté à un avenir incertain. Alors que son incarcération suscite une indignation montante à travers le monde, certains refusent catégoriquement d’apporter ne serait-ce que l’esquisse d’un début de soutien à celui dont le travail a été récompensé par de nombreux prix de journalisme. En France, Emmanuel Macron et François Hollande figurent sur le podium du silence.
Au cours de leurs mandatures respectives à l’Élysée, François Hollande et Emmanuel Macron ont été sollicités à plusieurs reprises pour apporter leur aide à Julian Assange. Les deux chefs d’État n’ont cependant jamais daigné exprimer le moindre soutien au journaliste australien, traqué depuis plus d’une décennie par Washington. Nous vous proposons ici quelques exemples d’initiatives balayées par les deux derniers locataires de l’Élysée. Étant précisé que la liste suivante n’est pas exhaustive.
2015 : Hollande refuse la demande d’asile formulée par Assange
Juillet 2015. Julian Assange est reclus depuis déjà trois ans dans la petite ambassade de l’Équateur à Londres pour se protéger de la traque qui se prépare contre lui depuis Washington. S’il y est temporairement à l’abri, il n’en est pas libre pour autant : aucune possibilité d’accéder à l’extérieur, pas même pour se rendre à l’hôpital en cas d’urgence. À ce stade, le journaliste australien ne s’est aventuré en tout et pour tout que trois fois sur le balcon de l’appartement diplomatique, pour s’exprimer devant les caméras.
S’appuyant sur une intervention télévisée de la garde des Sceaux française de l’époque, Christiane Taubira, qui expliquait le 26 juin 2015 sur BFMTV « ne pas être opposée à ce que la France lui octroie l’asile politique », le fondateur de WikiLeaks écrit une lettre ouverte à François Hollande, qui paraît le 3 juillet dans les colonnes du Monde.
« Seule la France se trouve aujourd’hui en mesure de m’offrir la protection nécessaire contre les persécutions politiques dont je fais aujourd’hui l’objet (…). En tant que pays engagé par toute son histoire dans la lutte pour les valeurs que j’ai faites miennes, en tant que cinquième puissance mondiale, en tant que pays qui a marqué ma vie et qui en accueille une partie, la France peut, si elle le souhaite, agir », écrit notamment Julian Assange après avoir évoqué plusieurs éléments démontrant la volonté états-unienne de l’emprisonner à vie outre-Atlantique.
La réponse ne se fait pas attendre puisque la présidence française publie le jour-même un communiqué : « Un examen approfondi fait apparaître que compte tenu des éléments juridiques et de la situation matérielle de M. Assange, la France ne peut pas donner suite à sa demande […]. La situation de M. Assange ne présente pas de danger immédiat. Il fait en outre l’objet d’un mandat d’arrêt européen », peut-on y lire.
Depuis la parution de ce texte, près d’une décennie s’est écoulée : procédures kafkaïennes, privation totale de liberté, complications de santé, espionnage illégal, plans d’assassinat… Vous reprendrez bien un peu d’absence de « danger immédiat » ?
Février 2020 : un éphémère engagement de Éric Dupond-Moretti et une lettre morte à l’Elysée…
Près de cinq ans plus tard, la situation n’a fait qu’empirer pour Julian Assange. Pour résumer, il est désormais incarcéré dans une prison de haute sécurité britannique où son état de santé s’est significativement détérioré. En France, François Hollande a été remplacé par Emmanuel Macron. Sa dernière mandature est entre autres marquée par plusieurs remaniements de gouvernement, dont l’un permettra à Eric Dupond-Moretti de devenir garde des Sceaux…
Quelques mois avant son arrivée place Vendôme, le célèbre avocat français avait rejoint l’équipe de défense européenne de Julian Assange. Une aubaine pour l’homme de loi qui consacre alors à cette affaire quelques apparitions médiatiques.
Le 20 février 2020, lors d’une conférence en soutien à Julian Assange, Éric Dupond-Moretti intervient avec force aux côtés de l’entourage proche et de plusieurs soutiens français du journaliste australien, pour défendre la cause de son client : « Nous allons demander à rencontrer le président de la République car nous estimons que la situation est suffisamment grave », affirmait-il notamment lors de cette conférence de presse. Dans la foulée, il écume quelques plateaux, notamment sur la chaîne BFM TV (où il évoquera notamment la dégradation de l’état de santé d’Assange)
Éric Dupond-Moretti défendant son client Julian Assange sur le plateau de BFMTV en février 2020.
Ou encore sur France 5 (où il ne parvient malheureusement pas à répondre de façon appropriée à un commentaire de Patrick Cohen très à charge contre le fondateur de WikiLeaks).
Le 20 février 2020, l’avocat Éric Dupond-Moretti défendait Julian Assange sur le plateau de C à vous (France 5).
Pour sa part, Emmanuel Macron reçoit à la fin de ce même mois de février 2020 une lettre co-signée par les principaux syndicats de journalistes français et divers organismes de défense des droits de l’homme. D’une même voix, ces organisations invitent le président de la République à « apporter une réponse positive à la demande d’asile à la France formellement déposée par Julian Assange ». Alors que cette lettre est rapidement rendue publique, son destinataire ne s’exprimera jamais à son sujet.
Il en est finalement de même pour Éric Dupond-Moretti qui, depuis qu’il est ministre de la Justice, ne s’exprime plus sur l’affaire Assange. Le ministère de l’Intérieur fait valoir à l’été 2020 que « le garde des Sceaux ne peut pas interférer dans des procédures de demande d’asile qui relèvent de la responsabilité d’un organisme indépendant, l’Ofpra ». De fait, plusieurs initiatives l’invitant à se prononcer sur le cas Assange se sont en effet heurtées au mutisme habituel du gouvernement français. On retiendra par exemple une lettre adressée à Éric Dupond-Moretti par l’association Robin des Lois en août 2020, ou encore, bien plus récemment (début mars 2024), une question écrite que lui a fait parvenir le député insoumis de Seine-Saint-Denis, Arnaud Le Gall.
Février 2022 : une proposition d’asile bloquée par la Macronie
Début 2022, à l’initiative de 39 députés, en tête desquels des ex-LREM tels que Jennifer de Temmerman et Cédric Villani, mais aussi Jean Lassalle ou encore François Ruffin, une résolution est présentée à l’Assemblée nationale. Son objectif est notamment d’inviter le gouvernement français à offrir l’asile politique à Julian Assange. Mais le 4 février 2022, l’initiative se heurte à une majorité de votes contre : par 31 voix contre 17, et sous l’impulsion de la majorité présidentielle, les élus de la Chambre basse rejettent la proposition. Dans le cadre de ce vote qui se déroule à une heure très tardive, Franck Riester, alors ministre de la Culture, est invité à s’exprimer sur le cas Assange, devant un hémicycle quasi-vide : on en retiendra une intervention fastidieuse, tant sur le fond que sur la forme.
Février 2024 : trois sollicitations, une seule non-réponse
Il serait ici trop long de décrire de façon exhaustive l’aggravation de la situation de Julian Assange, mais retenons qu’à ce stade, la perspective de son extradition vers les États-Unis se rapproche et que la justice britannique doit bientôt se prononcer à ce sujet. En amont de l’échéance juridique en question, l’Élysée et le quai d’Orsay, directement sollicités par trois journalistes français sur l’affaire Assange, s’en tiennent à une seule non-réponse : en cette mi-février, Paris n’entend pas commenter les procédures de justice qui se déroulent dans un “État de droit”, le Royaume-Uni.
Rappelons que dans ce dossier, ledit « État de droit » britannique a donné son accord en 2022 pour extrader Julian Assange vers les États-Unis, où des plans d’assassinat visant sa personne avaient pourtant été rendus publics. Soulignons également que cet « État de droit » retient dans ses geôles depuis bientôt cinq ans un ressortissant australien qui n’a aucune peine à purger au Royaume-Uni. Notons par ailleurs que la privation de liberté que Londres impose à Julian Assange est dénoncée à travers le monde entier depuis plusieurs années par différents organismes de presse, des professionnels de santé et même au sein de l’ONU. Enfin, tous les observateurs s’accordent à constater que le poids des enjeux politiques de l’affaire Assange alourdit depuis des années les procédures juridiques. De quoi s’interroger sur la définition d’un État de droit, entre autres censé garantir la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire…
Mars 2024 : « Pas question de venir commenter le temps judiciaire d’un autre pays »
Début mars, Olaf Scholz s’exprime de façon inattendue sur le sort de Julian Assange. Comme le rapporte la Deutsche Welle, le chancelier allemand « s’oppose à l’extradition du fondateur de WikiLeaks vers les États-Unis, soulignant l’importance d’un traitement équitable« . Afin de savoir si ce commentaire pourrait être de nature à faire sortir l’exécutif français de son mutisme dans cette affaire, l’auteur de cet article se rend le 6 mars à l’Élysée pour Off Investigation.
La réponse est sans ambiguïté : Paris n’entend toujours pas exprimer un quelconque soutien au journaliste le plus primé du XXIe siècle, et ce, tant que les procédures sont en cours. Une retenue qui contraste avec certaines démarches menées par le chef d’État français ces dernières années. En mars 2019 par exemple, Emmanuel Macron n’a pas attendu que la justice saoudienne prononce une condamnation de presque six ans de prison à l’endroit de la militante Loujain al-Hathloul pour appeler à sa libération. La même année, le président français avait personnellement sollicité son homologue camerounais pour demander à ce que l’homme politique Maurice Kamto soit libéré. Emmanuel Macron s’était d’ailleurs plus tard félicité d’avoir participé à l’abandon des poursuites des autorités camerounaises dans cette affaire.
La porte-parole du gouvernement français assure ici à plusieurs reprises avoir répondu aux questions qui lui ont été posées. Cependant, au cours de cet échange, aussi courtois soit-il, il apparaît clairement qu’aucune réponse n’est apportée aux relances visant à élargir notre demande initiale. C’est pourquoi nous avons depuis écrit au gouvernement. Silence radio, malgré la publication du courriel en question :
Nous soulignons une nouvelle fois que cette liste n’est pas exhaustive. Elle ne mentionne par exemple pas les initiatives citoyennes continuellement organisées d’un bout à l’autre de la France en soutien au fondateur de WikiLeaks (ces initiatives sont régulièrement communiquées sur plusieurs plateformes comme le site « Le Grand soir », et sur les réseaux sociaux par plusieurs collectifs comme par exemple la page Facebook « Assange, l’ultime combat » ou encore le compte X du comité français de soutien à Julian Assange).
En outre, plusieurs responsables politiques se sont exprimés ces dernières années avec plus ou moins de régularité sur le sujet. Ainsi, si elle est historiquement défendue par Jean-Luc Mélenchon, la cause de Julian Assange s’est aussi invitée dans quelques publications d’autres partis d’opposition, tels que le RN de Marine Le Pen. Mais, à défaut de comparer les déclarations constatées ici et là, il nous apparaissait plus important de pointer ici le mutisme systématique du pouvoir politique français en place, dont il y a fort à parier qu’une prise de position officielle en faveur d’un journaliste persécuté aurait eu un puissant retentissement sur la scène internationale. « La France pourrait se faire entendre. Si vous ne vous exprimez pas maintenant, vous entrerez dans l’histoire comme étant du mauvais côté », estimait récemment à ce sujet l’actuel rédacteur en chef de WikiLeaks, Kristinn Hrafnsson. À bon entendeur…