
Alors que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé un plan de 800 milliards d’euros pour « réarmer l’Europe », le pouvoir macroniste prépare le pays à l’austérité. La notion d’« économie de guerre » fait son chemin au sein du paysage politico-médiatique français.
La volonté américaine d’accélérer la fin du conflit russo-ukrainien par le biais du « hard power » assumé de Donald Trump a exaspéré plusieurs chancelleries européennes. Et pour cause, l’humiliation qui se profile est de taille : après un alignement quasi-constant sur Washington depuis le début de la guerre, l’Union européenne pourrait-elle ne pas avoir voix au chapitre final ?
Jean-Noël Barrot, ministre français des Affaires étrangères« Nous Européens, nous aurons le choix : le confort et la servitude ou les efforts et la liberté. »
Peinant à contenir leur amertume, certains gouvernements n’ont pas tardé à la reporter directement sur leur population, qu’ils entendent à tout prix conditionner sur le sujet : « La ligne de front ne cesse de se rapprocher de nous », déclare le 3 mars sur France inter le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot. Et d’enfoncer le clou en repartageant le lendemain son intervention du jour à l’Assemblée nationale : « Nous Européens, nous aurons le choix : le confort et la servitude ou les efforts et la liberté. »
Nous Européens, nous aurons le choix : le confort et la servitude ou les efforts et la liberté. pic.twitter.com/8MWghbamzZ
— Jean-Noël Barrot (@jnbarrot) March 4, 2025
« L’enjeu est très simple : il s’agit de réunir tous les moyens possibles pour se substituer autant que possible à une aide internationale qui aurait été arrêtée […]. C’est un effort considérable que les Européens, en tout cas ceux parmi les Européens qui sont décidés à aider l’Ukraine, doivent réunir », affirme pour sa part le chef du gouvernement dans l’hémicycle, faisant référence à la suspension de l’aide militaire américaine à l’Ukraine.
Les Français sont ainsi prévenus d’un « choix » qu’il ne leur reviendra probablement pas, mais pour lequel une petite musique d’austérité leur a été donnée d’entendre ces derniers jours. A l’heure où nous écrivons ces lignes, une allocution du président de la République Emmanuel Macron est prévue ce 5 mars à 20 heures.
Eric Lombard, ministre français de l’Economie« Nous allons devoir dépenser plus d’argent public »
Invité le 4 mars sur le 8.30 de France info, Eric Lombard, ministre de l’Economie du gouvernement Bayrou, a d’ores et déjà annoncé que « ceux qui ont une épargne importante doivent contribuer plus à l’impôt », ou encore que « pour renforcer la défense dans un modèle européen, nous allons devoir dépenser plus d’argent public ».
"Pour renforcer la Défense dans un modèle européen, nous allons devoir DÉPENSER PLUS D'ARGENT PUBLIC"
— Fabien Rives (@FabienRives_Off) March 5, 2025
Eric Lombard, ministre de l'Economie – 4 mars 2025 sur @franceinfo pic.twitter.com/yXolHFsipX
Et depuis plusieurs jours, c’est globalement tout le clan présidentiel qui s’est mis en branle-bas de combat. Ce 5 mars, la porte-parole du gouvernement Sophie Primas confirme que l’idée de « mobiliser l’épargne des Français pour pouvoir investir dans la défense est une piste intéressante à mettre sur la table ».
🔴 Compte-rendu du Conseil des ministres
— LCI (@LCI) March 5, 2025
🗣️ Sophie Primas ( @sophieprimas ), porte-parole du Gouvernement : "mobiliser l'épargne des Français pour pouvoir investir dans la défense est une piste intéressante à mettre sur la table" pic.twitter.com/5x0sqW56Ry
Quelques jours plus tôt, la députée européenne « Renew » Valérie Hayer estimait déjà sur France Inter qu’il fallait « se mettre en mode économie de guerre », lever des « investissements massifs », pour une « défense européenne ».
Altercation Trump/Zelensky : "Il faut se mettre en mode économie de guerre", estime la députée européenne @ValerieHayer, appelant à "des investissements massifs" dans la "défense européenne" #le69inter pic.twitter.com/o8mhBdgykW
— France Inter (@franceinter) March 1, 2025
A l’image d’un climat anxiogène particulièrement prégnant sur les plateaux de télévision depuis plusieurs jours, l’ancien député affilié au Mouvement démocrate Jean-Louis Bourlanges, contribuait le 2 mars à chauffer les esprits sur LCI : « dans trois-quatre ans, on sera peut-être tous morts ».
Ukraine : "Nous sommes confrontés à des Américains qui sont des amis qui ne nous veulent pas de bien (…) Nous devons conquérir une autonomie", Jean-Louis Bourlanges ancien président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée Nationale
— LCI (@LCI) March 2, 2025
▶️ Avec @mchantrait pic.twitter.com/sbnFI3W5jk
Le Medef réclame des efforts aux Français !
« Effort » : le mot sonne comme un appeau pour le Mouvement des entreprises de France (Medef), dont le président Patrick Martin était au micro de RMC le matin même. Avec pour point de repère le Danemark, où le gouvernement – socialiste – a proposé de repousser l’âge de départ à la retraite à 70 ans, pris en étau entre les ambitions expansionnistes de Donald Trump au Groenland et Vladimir Poutine en Europe. « Je ne suis pas en train de vous dire qu’il faut porter à 70 ans l’âge de départ en retraite en France », tempère aussitôt le président du Medef, « mais ça veut dire qu’il y a un consensus, une conscience partagée que cette situation très grave nécessite des moyens exceptionnels ».
Économie de guerre: "Le Danemark a décidé de reporter à 70 ans l'âge de départ à la retraite pour que l'économie finance l'effort de guerre", dit Patrick Martin (@PatrickMartin_1), président du MEDEF#ApollineMatin pic.twitter.com/MiniEqbJ9p
— RMC (@RMCInfo) March 4, 2025
Réforme des retraites, hausse de la TVA, mobilisation de l’épargne… Bienvenue en économie de guerre !
Aux grands maux les grands remèdes ? Rien n’est joué d’avance : les manœuvres danoises ici érigées en modèle à suivre ont d’ores et déjà provoqué la grogne des syndicats du pays, qui souhaitent engager des discussions avec le pouvoir en place, explique le HuffPost. Quoi qu’il en soit, pour accompagner ces diverses prises de positions politiques, un véritable rouleau compresseur médiatique est en marche. Sur BFM Business, le 3 mars, le ton était donné dans l’émission matinale « Les Experts ». « Est-ce que dans six mois, un an, les débats sur l’âge de départ à la retraite à 64 ans, un éventuel retour à 62 ans, ne paraîtront pas dérisoires ? Est-ce qu’on ne doit pas le passer à 65, 67, voire davantage ? », s’est interrogé sur le plateau de télévision Gilbert Cette, professeur d’économie à Neoma Business School, en reprenant l’exemple des retraites : « On est dans une situation où l’imprévu doit être pris en compte, et l’imprévu c’est en bonne partie qu’on doit se diriger vers une économie de guerre. »
Patrick Bertrand, directeur général des opérations du fonds d’entrepreneurs Holnest également invité sur BFM Business, a pour sa part pointé un possible « aspect planification autoritaire » : « Ça peut aller très vite de mettre 2 points de TVA. Ça peut aller très vite de recourir à l’épargne privée de manière autoritaire. Ça peut aller très vite de dire on n’indexe plus les prestations sociales et les pensions de retraite. » Avant de conclure : « Tout ça peut aller très très vite hein. » Le même jour, sur RTL, l’éditorialiste Isabelle Saporta encourageait les auditeurs à tourner une page de leur vie : « Fini de jouer. L’heure de la maturité et de la responsabilité est venue pour la France ». « Cessons de prétendre que nous allons revenir sur une réforme des retraites passée […] à coups de 49.3, la vérité c’est que nous n’avons pas les moyens de revenir dessus. Et nous devrons sans doute encore nous serrer la ceinture pour que le système tienne. Le temps de l’efficacité et de la maturité est venu, et au fond c’est une bonne nouvelle ».
Clash Trump-Zelensky : "Fini de jouer. L’heure de la maturité et de la responsabilité est venue pour la France"@isabellesaporta dans #RTLMatin pic.twitter.com/TzcgD6xkT7
— RTL France (@RTLFrance) March 3, 2025
Un sujet semble être mis sur la table d’une manière de plus en plus systématique, celui du recours à l’épargne privée des Français qui, comme nous l’avons vu, est envisagé par le gouvernement (Emmanuel Macron ayant lui-même récemment évoqué la création d’un nouveau livret réglementé, sur le modèle du Livret A pour orienter l’épargne des ménages vers les entreprises de défense). Le 5 mars, l’ancien ministre du Budget Jean-François Copé (aujourd’hui maire de Meaux) abonde : « Il faut que l’épargne privée vienne au secours de la dépense publique. Il faut lever tous les tabous. »
« Il faut que l’épargne privée vienne au secours de la dépense publique. Il faut lever tous les tabous ».
— Philippe Murer 🇫🇷 (@PhilippeMurer) March 5, 2025
✅Ils ont ruiné l’Etat, il ne leur reste plus qu’à nous ruiner en nous prenant notre épargne.
Des incompétents et corrompus à dégager urgemment. pic.twitter.com/wSOg5M117I
Du côté de la presse écrite aussi, certains sont à l’œuvre pour défendre les perspectives d’une économie de guerre. Comme par exemple dans les colonnes du quotidien L’Opinion, qui se revendique « libéral, pro-business, et pro-européen ». Dans un article de son fondateur, Nicolas Beytout, paru le 4 mars, celui-ci assène : « A nouvelle époque, nouvelle exigence donc : faire le tri des dépenses budgétaires et sociales au profit de l’impératif militaire. »
Et les Français dans tout ça ? Rarement consultés par voie référendaire, ils sont souvent sollicités par des instituts de sondage. Selon un Baromètre d’Odoxa réalisé pour AGIPI, Challenges et BFM Business mardi 4 mars, relayé dans La Dépêche, « trois Français sur quatre soutiennent l’augmentation du budget de la Défense ». Toutefois, l’étude en question fait également état d’une désensibilisation progressive à la cause ukrainienne : les Français seraient en effet de moins en moins nombreux à défendre le « quoi qu’il en coûte » pour l’Ukraine. 49 % des Français estimeraient qu’il faut soutenir davantage Kiev, même si cela nuit à notre économie. Un chiffre en baisse constante depuis l’été 2022, où ils étaient encore 61 % à être prêts à faire des sacrifices pour aider le pays attaqué par la Russie.
Macron à l’origine de mécontentements au sein de l’UE
Malgré la baisse d’enthousiasme des Français autour d’un renfort de l’aide militaire à apporter à Kiev, la question va être abordée le 6 mars à Bruxelles, à l’occasion d’un sommet extraordinaire des dirigeants de l’Union européenne. Un rendez-vous qui s’annonce décisif alors que le dossier ukrainien est à l’origine de divisions intra-européennes de longue date. Pas plus tard que le 4 mars, le président hongrois Viktor Orban a encore accusé « la majorité de l’Europe » de vouloir « prolonger la guerre », tandis que le mois dernier, d’autres Etats membres ont exprimé des frustrations de ne pas avoir été conviés par Emmanuel Macron à des réunions sur le dossier, organisées à Paris. La Croatie, la Slovénie, la Roumanie ou encore la République Tchèque ont en effet fait savoir leur mécontentement, comme on pouvait le lire le 17 février dans les colonnes du journal britannique The Guardian. Ces rancœurs, à ce stade peu relayées dans la presse française, seront-elles reléguées au second plan lors de la prochaine réunion des 27 ?
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