Au printemps 2024, Thierry Vincent et Daphné Deschamps ont interviewé d’anciens macronistes déçus par la dérive autoritaire du président et des figures conservatrices et d’extrême-droite qui estiment qu’Emmanuel Macron prépare un « boulevard » au Rassemblement National pour 2027. Au lendemain des élections européennes qui ont vu l’extrême droite atteindre un score de 37,5% des voix, nous republions leur documentaire.
« Je veux avoir un mot pour les Français qui ont voté simplement pour défendre la République face à l’extrémisme. Je sais nos désaccords, je les respecterai, mais je serai fidèle à cet engagement pris : je protègerai la République ». Ces mots , prononcés avec solennité par Emmanuel Macron le 7 mai 2017, le président sortant les réitèrera, sous une autre forme, le 24 avril 2022, lors de sa réélection, toujours face à Marine Le Pen : « Nombre de nos compatriotes ont voté (…) non pour soutenir les idées que je porte, mais pour faire barrage à celles de l’extrême-droite. (…) j’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir ».
« Entre 2017 et 2022, + 10 points pour Marine Le Pen »
Kévin Mauvieux, député Rassemblement National de l’Eure
Une déclaration de principe dans laquelle le président se pose en « rempart » face à l’extrême-droite : des mots qui résonnent étrangement à un mois des élections européennes de 2024, alors que le Rassemblement national ne cesse d’engranger des soutiens et apparaît pour la première fois comme possible vainqueur de la prochaine présidentielle. « Entre 2017 et 2022, plus 10 points pour Marine Le Pen [au deuxième tour, NDLR], 80 députés en plus, donc non, il n’a absolument pas fait rempart, il nous a déroulé le tapis rouge », se réjouit Kévin Mauvieux député RN de l’Eure.
Dans la Vème République, Emmanuel Macron est un cas : c’est la première fois qu’un président est élu deux fois face à l’extrême droite. Deux fois qu’il fait le même coup aux électeurs qui ont voté pour lui uniquement pour faire barrage à Marine Le Pen : je ne vous oublierai pas. Mais qui y croit encore aujourd’hui, tant l’homme du « en même temps » a dit tout et son contraire ?
Ni de gauche, ni de gauche ?
Petit retour en arrière. Le 6 avril 2016, Emmanuel Macron est ministre des finances de François Hollande lorsqu’il annonce la création de son parti, En marche. Ministre d’un gouvernement socialiste, il passe pour un homme de centre gauche. Mais à gauche, on le soupçonne de lorgner principalement vers la droite. Mais où lui-même se situe-t-il dans le spectre politique ? Partout et nul part « en même temps ». Il est d’abord de gauche, puis ni de droite, ni de gauche, puis il n’est plus de gauche, puis il est et de droite et de gauche. Incompréhensible, mais attrape-tout, dans le contexte de l’époque. À gauche, certains, dégoûtés par l’autoritarisme du Premier ministre Manuel Valls auquel Macron s’oppose, croient en cet homme neuf : « J’ai sincèrement cru qu’il était le porteur d’un projet d’émancipation. C’est dur avec le recul de voir que l’on s’est trompé à ce point », dit aujourd’hui, amer, Aurélien Taché, élu député macroniste qui a quitté le navire en 2019, écœuré par la dérive droitière du président. Il est aujourd’hui député NUPES du Val d’Oise.
« La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le Roi n’est plus là ! »
Emmanuel Macron, en 2016
Ce qu’Aurélien Taché et certains macronistes aujourd’hui en rupture de ban n’ont pas vu, ce sont tous ces signes avant-coureurs qui montrent un homme penchant au contraire à droite, et même très à droite. En août 2016, il accorde une interview à l’hebdomadaire Le 1, dans lequel il confesse une certaine fascination pour un pouvoir vertical fort peu démocratique et pour la monarchie. « Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du Roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le Roi n’est plus là ! (…) ».
L’interview est passée complètement inaperçue, sauf de certains milieux monarchistes, comme les maurrassiens de l’Action française (AF). « À l’époque, ça nous avait agréablement surpris, se souvient Olivier Perceval, le secrétaire général de l’AF. Macron nous paraissait alors quelqu’un d’intéressant ». Volontiers disruptif et provocateur, Macron met en scène son attrait pour la vieille monarchie française. Le 8 mai 2016, il se rend à Orléans pour rendre hommage à Jeanne d’Arc, icône de la droite la plus réactionnaire, déclamant sous l’œil des caméras une ôde empreinte de mysticisme et de grandiloquence à la pucelle du cru : « Comme une flèche, sa trajectoire est nette. Jeanne fend le système »
Une visite à Philippe de Villiers
Trois mois plus tard, Macron se rend sur des terres ultraconservatrices, en Vendée, où il assiste au spectacle du Puy du Fou. Il s’affiche, tout sourire et complice, aux côtés d’une figure locale de la droite réactionnaire, l’ancien ministre Philippe de Villiers, inlassable défenseur des contre-révolutionnaires Chouans, qui combattirent les armées républicaines entre 1793 et 1796. Jamais un ministre d’un gouvernement de gauche ne s’était ainsi affiché avec ce sympathisant monarchiste, aujourd’hui soutien d’Eric Zemmour. « Pourquoi aller au Puy du Fou ? Pourquoi parler de monarchie en France ? Ce sont de vraies questions mais à l’époque je ne le voyais pas comme ça, ou en tout cas je n’y voyais pas de traduction politique » réagit Aurélien Tâché.
Macron, en marche vers l’extrême droite ?, Thierry Vincent et Daphné Deschamps, Off investigation, 10 mai 2024.
L’État de droit(e)
Dès le début de sa présidence, Macron met la barre à droite toute. « La première loi qu’on a fait passer, c’était pour rentrer des pans entiers de l’état d’urgence dans le droit commun, raconte, dépité, Jean-Michel Clément, un ancien député macroniste venu du PS. Moi qui, par contraste avec Valls, le prenait pour le candidat des libertés ! Et puis quelques mois plus tard, il y a eu la très répressive loi asile immigration. C’en était trop, j’ai quitté En marche. Après ça, Macron a dérivé de plus en plus à droite, jusqu’à ses franges extrêmes » . Loi sécurité globale et répression brutale des manifestation Gilets jaunes montrent un pouvoir en pleine surenchère autoritaire et multipliant les clins d’œil à l’extrême droite.
En novembre 2019, pour la première fois dans la Vème république, un président en exercice accorde une interview à un journal d’extrême droite. L’hebdo Valeurs actuelles multiplie les unes sensationnalistes et anxiogènes sur l’insécurité ou l’immigration, et a été condamné pour racisme pour cette couverture haineuse, « Roms : l’overdose ». « S’il y était allé pour dire, tout ce que vous dites c’est des conneries, on ne peut pas être ainsi xénophobes, je ne trouverais rien à y redire, mais c’est ce qu’il y a dit qui m’a choqué. Quand il parle par exemple d’associations droits de l’hommistes qui en gros nous emmerde, il reprend la terminologie de l’extrême droite. Et puis il y a ce ton, complice, on se croirait presque entre copains » se souvient Aurélien Taché . Et le chef de l’État, en acceptant de répondre aux questions des journalistes d’extrême droite, a assuré une sacrée promo à l’hebdomadaire d’extrême-droite, qui a doublé ses ventes à l’occasion de cette interview.
Législatives 2022 : Le RN plutôt que la France Insoumise
Après la réélection de Macron en 2022 vient le temps des législatives. Un vrai moment de bascule : « À ce moment-là, décrypte Aurélien Taché, les macronistes ont mis fin au barrage républicain. Jean-Michel Blanquer n’était pas loin de nous expliquer qu’il valait mieux voter RN que pour la gauche ». L’ex-macroniste, candidat cette fois-ci pour Europe écologie les Verts, prend l’exemple de sa collègue Delphine Bagarry, elle aussi sortante macroniste qui se présentait cette fois-ci pour la gauche dans les Alpes de Haute Provence : « Le candidat du pouvoir, éliminé, a refusé d’appeler à voter pour elle contre le candidat du RN, qui l’a emporté à un point près ». La palme de la compromission avec l’extrême-droite revient à Amélie de Montchalin, alors ministre de la Transition écologique qui, en ballotage serré, cherche à draguer les électeurs d’extrême droite, appelant à « faire barrage à ceux qui, repeints de vert et de rose, sont en fait des anarchistes d’extrême gauche ». Son adversaire dans l’Essonne (finalement vainqueur) est pourtant loin d’être un adepte de Bakounine ou Ravachol : il s’agit du socialiste historique Jérôme Guedj, dont mêmes ses adversaires politique locaux reconnaissent le caractère modéré et raisonnable…
À un mois des élections européennes du 9 juin, les digues ont sauté et plus rien ne n’arrête le tourbillon vertigineux qui entraîne les macronistes dans une course folle vers l’extrême droite. Jusqu’à la présidentielle de 2027 ?