Le fonds américain CD&R vient de remporter la bataille pour devenir le premier actionnaire d’Opella, une filiale de Sanofi qui produit en France de nombreux médicaments sans ordonnance. Se voulant d’abord rassurant sur le profil de CD&R, l’exécutif français affirme désormais ne pas s’interdire de bloquer l’opération, si des garanties ne sont pas apportées pour « rassurer sur le moyen terme à la fois les salariés et les Français ».
L’annonce a été relayée dans la presse économique (Les Echos, 10 octobre) : jusqu’à présent détenu majoritairement par Sanofi, le laboratoire Opella, qui produit près d’une centaine de médicaments sans ordonnance (la Lysopaïne, le Dulcolax et surtout le Doliprane, médicament le plus vendu de France), devrait prochainement passer aux mains de CD&R, un fonds d’investissement américain qui a déjà fait son entrée au capital de plusieurs entreprises françaises comme Conforama.
Une fois effectif, ce rachat, fixé à 15,5 milliards de dollars, permettrait à CD&R de faire main basse sur 11 000 salariés, plus de 100 marques présentes dans 150 pays ou encore 5,2 milliards de chiffre d’affaires…
Bercy n’a pas « tous les éléments de langage »
La possibilité d’un tel rachat a fait l’objet, le 11 octobre, d’un premier communiqué des ministres de l’Économie et de l’Industrie Antoine Armand et Marc Ferracci. Le fonds américain CD&R y est qualifié de « sérieux » et les deux ministres y font état de « perspectives positives pour le développement global d’Opella ainsi que pour les sites implantés en France ». En outre, MM. Armand et Ferracci y assurent que l’État mobilisera « l’ensemble des outils à sa disposition » pour « préserver l’empreinte industrielle française d’Opella ».
(Communiqué du Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie daté du 11 octobre 2024).
Deux jours plus tard, interrogé sur BFMTV à propos de la possibilité de s’opposer à ce rachat, Antoine Armand se réfugie dans une formule plus prudente : « Nous demanderons des garanties extrêmement fortes de nature à rassurer sur le moyen terme à la fois les salariés et les Français […] et si ce n’est pas le cas, rien ne me paraîtra interdit au premier abord », assure-t-il.
Antoine Armand: "Mon engagement est que le Doliprane continue à être produit par des salariés en France" pic.twitter.com/aUhhRqXdim
— BFMTV (@BFMTV) October 13, 2024
Contacté ce 14 octobre, le service presse de Bercy nous explique pour sa part ne pas avoir « tous les éléments de langage » à ce sujet et nous redirige vers le communiqué du 11 octobre…
CD&R récemment reçu par Alexis Kohler, un candidat français écarté par Sanofi…
Ainsi que l’a rapporté La Dépêche le 11 octobre, des cadres de CD&R avaient été reçus la semaine précédente par le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler.
Pour sa part, Sanofi compte se désengager de son ancienne filiale de manière progressive, sur une durée de cinq ans. « Le projet potentiel d’indépendance d’Opella s’inscrit dans la stratégie de Sanofi de se concentrer sur les médicaments et les vaccins innovants », a entre autres fait savoir Sanofi dans un communiqué paru le 11 octobre.
Comment expliquer le choix de Sanofi de tourner le dos à une entreprise tricolore ? Un autre candidat à l’achat était pourtant en lice jusqu’au bout : le fonds d’investissement français PAI Partners. Mais c’est le prix, semble-t-il, qui fut déterminant, selon Le Monde. Malgré des engagements sociaux importants apportés par PAI, l’offre américaine était plus alléchante…
La CGT, premier syndicat représentatif chez Opella, a publié un communiqué de presse sur ses réseaux sociaux le 11 octobre : « NON à la vente d’OPELLA ! Une nouvelle fois, Sanofi trahit ses salariés […] ! MOBILISATION GENERALE !!! »
Communiqué de Presse CGT Sanofi : NON à la vente d'Opella ! pic.twitter.com/6Q73FLzROK
— Cgt Sanofi (@CgtSanofi) October 11, 2024
« On connaît la méthodologie des fonds d’investissement », alerte le délégué CGT Fabien Mallet auprès d’Off-investigation.
Sanofi, un groupe gavé d’argent public très généreux avec ses actionnaires
En mars 2022, dans notre documentaire « Sanofi, labo « chouchou » de la Macronie ? » nous analysions déjà comment Sanofi avait servi les intérêts américains et nous nous penchions notamment sur la proximité entre l’ex-président du groupe pharmaceutique et Emmanuel Macron. « Quand Emmanuel Macron se lance dans l’aventure présidentielle dès 2015 […], parmi les rares personnes qu’il prévient dans son entourage, il y a Serge Weinberg [ancien président de Sanofi auquel a depuis succédé Frédéric Oudéa]. »
🚨#Sanofi va vendre à un fonds américain 🇺🇸 sa filiale de santé grand public. #doliprane
— Off Investigation (@Offinvestigatio) October 11, 2024
🎥SANOFI, LABO «CHOUCHOU» DE LA MACRONIE ?
👉https://t.co/1SQsG3EQlD
👉 Retour sur les liens qu'E. Macron entretient de longue date avec le patron de Sanofi :pic.twitter.com/8YqIFK0x7V
« Sanofi, c’est quatre milliards de dividendes reversés à ses actionnaires, c’est énorme », dénonçait de son côté Jean-Louis Peyren, coordinateur national de CGT Sanofi. Comme nous le dévoilions, l’argent public dont a bénéficié Sanofi au cours des dernières années correspond à des montants colossaux. Ainsi que l’a révélé Basta ! en 2021, Sanofi aurait ainsi engrangé plus d’un milliard d’euros d’aides publiques entre 2011 et 2021. Ce pactole provient principalement du « crédit d’impôt en faveur de la recherche », récemment épinglé dans un rapport de l’inspection générale des finances (IGF).
A l’aune de l’affaire Opella, le spectre des trahisons des précédents rachats de fleurons français par l’industrie américaine refait surface, à l’instar du rachat d’Alstom par General Electric et sa promesse de création de 1000 emplois… jamais tenue (Franceinfo, 14 juin 2018).
Vague d’indignation de tous bords
La perspective d’un rachat d’Opella par un fonds américain a rapidement provoqué une levée de boucliers au sein de l’échiquier politique, y compris au sein de la majorité présidentielle. « Des années que nous alertons. Les gouvernements gavent Sanofi d’argent public et laissent l’entreprise brader notre souveraineté à l’étranger », a dénoncé Damien Baudet, député LFI de la Haute-Vienne.
Même son de cloche chez son camarade Hadrien Clouet, qui s’est fendu d’un tweet incendiaire, dénonçant son « dégoût » face à des « traîtres », des « saboteurs » et un « Macron menteur ».
« Nous demandons l’activation du contrôle des investissements étrangers pour évaluer la nécessité de bloquer l’opération », a pour sa part fait savoir Charles Rodwell, député Renaissance des Yvelines.
De son coté, le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, a dénoncé une « vente à la découpe de la France », ainsi que « des risques sur notre souveraineté sanitaire et sur l’emploi ».
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